Avocats : la réforme de l’examen à la barre

Sarah Masson Publié le
Avocats : la réforme de l’examen à la barre
Chaque année, environ 10.000 candidats tentent l'examen du barreau, que le ministère souhaite nationaliser d'ici 2017. // ©  Denis Allard/REA
Thierry Mandon a annoncé une réforme de l’examen d’entrée en école d’avocats à l’horizon 2017. Il souhaite transférer ces épreuves à l’échelon national, ce qui ne fait pas l’unanimité chez les universitaires.

Le secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur, Thierry Mandon, l’a annoncé à la mi-décembre 2015 : l’examen d’entrée en école d’avocats va être réformé. Jusqu’à présent, celui-ci est organisé par chacun des 44 IEJ (Institut d’études judiciaires), des composantes de la fac de droit préparant les étudiants à l'examen.

Vers un examen national

Objectif de la réforme : instaurer un examen national, avec un sujet unique, une grille de correction unique et, bien sûr, une seule date. Une manière de mettre fin à la disparité existant entre les taux de réussite, d’un IEJ à l’autre. Ces derniers oscillent actuellement entre 13% et 58%. Sa mise en œuvre est prévue pour la rentrée 2017, avec un décret annoncé pour juillet 2016.

"Il s’agit d’assurer une meilleure égalité républicaine sur l’ensemble du territoire, défend Thomas Clay, conseiller personnel de Thierry Mandon. Sans oublier qu’aujourd’hui, l’examen constitue une dépense d’énergie inutile : en moyenne, une session représente 16 épreuves organisées dans 44 IEJ. Ce qui fait un total de 704 épreuves !"

La réforme est évoquée depuis plusieurs années par la profession. "Il y a trop de disparités entre les futurs élèves avocats, affirme Elizabeth Menesguen, présidente de la commission formation professionnelle au CNB (Conseil national des barreaux). Aujourd'hui, certains parviennent à la moyenne sans avoir acquis les fondamentaux, ni développé les aptitudes nécessaires à exercer la profession d'avocat." 

La crainte de la disparition des petits IEJ

Chez les universitaires, cet argumentaire ne convainc pas forcément. "Cela promet d'être une usine à gaz", tranche Christian Pigache, directeur de l’IEJ de Rouen. "Ce qu’on nous propose aujourd’hui est un pis-aller, réagit Sandrine Clavel, présidente de la Conférence des doyens de droit. Tout comme les IEJ, nous nous sommes prononcés en faveur d’un examen régional, et non pas national."

"Pour justifier cette réforme, on nous dit que les disparités entre les taux de réussite sont énormes, proteste Christian Pigache. En réalité, ces taux aux deux extrêmes ne concernent que quelques IEJ. La plupart se situent autour de 30 à 35% de réussite." Le responsable pointe surtout un risque de taille : la disparition de certains instituts. "Nous craignons un phénomène de concentration et de fuite de nos étudiants vers les gros IEJ", indique-t-il.

Pierre Crocq, directeur de l’IEJ de Paris 2 et président de l’Association des directeurs d’IEJ, va plus loin. Ce serait "non seulement une remise en cause de la pérennité de certains IEJ, mais plus généralement de certaines facultés de droit", craint-il.

Les instituts refusent en outre de devenir de simples exécutants. Avec la réforme, l’une de leurs principales prérogatives leur est en effet retirée : la conception des sujets. "Les IEJ seront dépossédés de l’aspect intellectuel de l’examen. Ils deviendront uniquement des organisateurs", déplore Christian Pigache.

À l'inverse, au ministère, on défend cette nationalisation de l’examen pour un meilleur respect de l’éthique, afin, justement, d’éviter que ceux qui imaginent les sujets soient, comme aujourd’hui, ceux qui préparent les jeunes à l’examen. "Aujourd’hui, nous sommes en quelque sorte juge et partie", reconnaît Sandrine Clavel.

Université Paris 2 -  Panthéon Assas - Bibliothèque -

Une déclinaison de la réforme encore floue

Plusieurs questions sensibles restent en suspens, concernant ce futur examen. En premier lieu : son organisation logistique. "Il semble acté que nous allons conserver cette forme délocalisée, assure Sandrine Clavel. Mais qui prendra en charge l’organisation matérielle des épreuves écrites : les écoles d’avocats ou toujours les IEJ ?" La présidente de la Conférence des doyens de droit penche pour la seconde option.

Quant à la définition des sujets et de la grille de correction, une commission nationale, composée d’universitaires et d’avocats, doit être mise en place. "En l’état actuel, nous sommes dans le flou le plus complet", s’inquiète Christian Pigache.

Le coût en question

Autre question épineuse à trancher : qui supportera le coût de la réforme ? Le président de l’Association des directeurs d’IEJ, Pierre Crocq, l’évalue en effet à 600.000 euros. Une somme nécessaire, selon lui, pour financer la correction des copies des 10.000 candidats, jusque-là effectuée à titre gratuit ou à un coût très bas, selon les IEJ. D'après Pierre Crocq, l’échelon national de l’examen bouleverserait la donne, nécessitant une harmonisation de la correction.

En revanche, selon le ministère, le système de correction ne change pas, un examen national n'engendrera donc pas de coût supplémentaire. "Si la réforme maintient ce système d’une organisation locale dans les IEJ, le surcoût est nul", confirme Sandrine Clavel. 

Un sujet demeure néanmoins absent de la réforme, alors que les universitaires, tout comme les avocats, soulignent la nécessité de le faire évoluer : le contenu des épreuves. Un volet qui n’interviendra que dans un deuxième temps, promet le ministère.

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