Présidentielle : l'université se rêve sélective mais accessible

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
Présidentielle : l'université se rêve sélective mais accessible
56 % des répondants sont favorables à une sélection à l'entrée des licences. // ©  Julien Revenu
BAROMÈTRE 2017. La majorité des membres de la communauté universitaire ayant répondu au baromètre EducPros se prononce en faveur d'une sélection à l'entrée des licences mais reste très attachée à ce que les droits de scolarité n'augmentent pas. Des opinions qui cassent le clivage droite-gauche et se traduisent par une forte indécision pour la prochaine présidentielle.

L'indécision. C'est la grande gagnante des intentions de vote des personnels de l'enseignement supérieur, pour le premier tour de l'élection présidentielle, d'après les réponses des 1.500 répondants au baromètre EducPros 2017. Ils étaient ainsi 42 % à déclarer ne pas savoir pour qui voter début mars 2017. Loin derrière, Emmanuel Macron recueillait 15 % des intentions de votes, Benoît Hamon 14 % et Jean-Luc Mélenchon 10 % d'entre elles.

Au second tour de l'élection présidentielle de 2012, la communauté avait voté à une forte majorité (61 %) pour le candidat socialiste, François Hollande.

POUR une sélection à l'entrée des licences

Ces résultats témoignent de la déception des personnels de l'enseignement supérieur après le quinquennat Hollande, une communauté traditionnellement à gauche, mais aujourd'hui déboussolée. D'autant que les lignes bougent par rapport aux classiques clivages droite-gauche.

Exemple le plus emblématique, celui de la sélection. Malgré la multiplication de filières sélectives (doubles licences, écoles d'ingénieurs internes...), les universités, épicentres des mouvements de Mai 68 et symboles de la massification de l'enseignement supérieur, ont toujours veillé à accueillir l'ensemble des titulaires du baccalauréat, quelle que soit leur filière d'origine.

Une situation qui ne satisfait plus la majorité de la communauté universitaire, favorable à 56 % à une sélection à l'entrée des licences. Les enseignants-chercheurs sont les plus fervents défenseurs de cette mesure qu'ils plébiscitent aux deux tiers, quand les personnels BIATSS (bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé) sont plus mitigés (45 % pour).

Mais pour François Sarfati, chercheur au Centre d'études de l'emploi et du travail et conseiller scientifique du baromètre, ces résultats doivent être nuancés. Selon lui, "c'est moins la volonté de sélectionner des universités que l'incohérence actuelle entre l'obligation qui leur est faite d'accueillir tout le monde et l'absence de moyens nécessaires, qui met aujourd'hui la sélection sur le devant de la scène."

"Ces chiffres montrent que les présidents d'université sont bien en phase avec la communauté", analyse Gilles Roussel, président de la CPU (Conférence des présidents d'université) et président de l'université Paris-Est Marne-la-Vallée, faisant référence à l'appel lancé par sa conférence aux candidats à la présidentielle. Elle y demandait notamment la mise en place de prérequis en licence, leur "absence conduisant à un échec programmé".

Profitant des commentaires libres du baromètre EducPros, une enseignante-chercheuse d'une université de la Région Occitanie lance également un appel aux politiques : "Facilitez-nous la vie, s'il vous plaît... Moins d'administratif, plus de bras, plus de sélection à l'entrée en première année, plus d'argent mis par étudiant !" Une autre, travaillant cette fois-ci en Auvergne Rhône-Alpes, justifie ainsi son point de vue, très pessimiste : "Une sélection à l'entrée de l'université éviterait d'avoir des groupes de TD à plus de 40 étudiants, la moitié étant incapable de suivre et n'ayant nulle intention d'essayer de le faire."

Facilitez-nous la vie, s'il vous plaît... Moins d'administratif, plus de bras, plus de sélection à l'entrée en première année, plus d'argent mis par étudiant !

Les traditions propres à chaque UFR restent néanmoins vivaces sur ce sujet très politique : 70 % des membres du personnel des UFR de droit et santé sont favorables à une sélection contre 39 % de ceux des UFR de sciences humaines et sociales. 

Parmi les principaux candidats à l'élection présidentielle, seuls François Fillon (Les Républicains), Marine Le Pen (Front national) et Emmanuel Macron (En Marche !) sont favorables à une sélection à l'entrée de l'université. Pour Danièle Tartakowsky, ancienne présidente de l'université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis, "la parole s'est libérée sur ce sujet mais cela ne dit pas grand-chose des modalités de mise en œuvre. Emmanuel Macron propose des universités d'été pour valider des modules, pourquoi pas, mais cela renvoie aux moyens des universités clairement insuffisants." "Tout dépend de ce que l'on appelle sélection, renchérit Gilles Roussel, mais l'entrée en licence sans aucun filtre ou, du moins, sans un certain accompagnement, a clairement atteint ses limites."

Baromètre EducPros 2017 - Sélection

Droits d'inscription, LE dernier tabou à l'université

La volonté de supprimer le principe de non-sélection – qui, jusqu'à présent, distinguait l'université des autres établissements d'enseignement supérieur – témoigne-t-elle alors d'un basculement plus large de la conception de l'université comme service public ?

Non, si l'on en croit les répondants, qui restent très attachés au principe de non-sélection par l'argent, par opposition à une sélection au mérite. Alors que les droits de scolarité sont, depuis 2014, de 184 euros en licence et de 256 euros en master, 57 % des 1.545 répondants sont contre une augmentation des droits de scolarité. Ce chiffre atteint 72 % pour les personnels BIATSS et concerne les deux tiers des enseignants-chercheurs.

Ces résultats sont cohérents avec les réponses obtenues sur le financement de l'enseignement supérieur : seuls 14 % de l'ensemble des personnels des universités pensent qu'une augmentation des moyens des établissements doit passer en priorité par l'augmentation des droits de scolarité. Plus de la moitié d'entre eux (56 %) privilégient l'augmentation des subventions de l'État et 30 % mentionnent, en premier lieu, le développement de partenariats avec le monde économique pour trouver de nouvelles ressources financières.

Baromètre EducPros 2017 - Droits de scolarité

"Il y a une vraie inquiétude sur l'égalité d'accès des étudiants, note Gilles Roussel. Le financement global des universités ne peut pas reposer sur les ménages. Il y a, là-dessus, une totale unanimité."

Une réflexion est néanmoins en cours sur le traitement des étudiants étrangers : "Il y a un dilemme sur le traitement des étudiants extra-communautaires : peut-on les faire payer plus sans distinction des pays concernés, au risque de ne plus accueillir certains excellents étudiants ?" s'interroge le président de la CPU. Parmi les candidats à la présidentielle, seul François Fillon s'est ouvertement prononcé en faveur d'une hausse des frais d'inscription à l'université. Emmanuel Macron, décidément au diapason avec la CPU, est contre, mais se dit "plus ouvert" sur les droits d'inscription des étudiants étrangers.

L'autonomie des universités par-delà le clivage droite-gauche

L'autonomie des universités, telle qu'impulsée par Valérie Pécresse, alors ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche dans le gouvernement Fillon, brouille également les lignes. Alors que la CPU ne cesse de demander toujours plus d'autonomie, ce que proposent également François Fillon et Emmanuel Macron, les réponses au baromètre reflètent une envie de changement, qui n'est pas celle que l'on pourrait croire.

43 % des personnels des universités aimeraient une "transformation" de l'autonomie quand ils ne sont que 16 % à vouloir la renforcer et 26 % à vouloir la réduire. 13 % sont satisfaits de la situation actuelle.

Baromètre EducPros 2017 - Autonomie

"Derrière ce mot d'autonomie, les gens mettent des choses très différentes, souligne Danièle Tartakowsky. Certains y voient une totale libéralisation des universités, d'autres une plus grande liberté, et enfin d'autres encore une meilleure prise en charge des étudiants. Certains peuvent aussi s'opposer à l'autonomie par principe quand d'autres sont contre l'autonomie telle qu'elle a été menée, sans moyens." L'usage même du terme "autonomie" pour décrire les réformes mises en œuvre depuis 2007 est une "ruse du politique", analyse de son côté François Sarfati : "Qui peut être contre l'autonomie ?"

"Il faudrait mettre l'accent sur l'autonomie pédagogique, qui est, finalement, celle qui compte le plus pour nos collègues enseignants-chercheurs", conclut pour sa part Gilles Roussel. Celle-ci est pourtant au cœur de la loi Faure de 1968... Il reste moins de trois semaines aux universitaires pour faire un choix.

Méthodologie

Entre le 1er février et le 8 mars 2017, 1.540 personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche ont répondu à un questionnaire en ligne, qui comprenait une vingtaine de questions sur leur moral, leurs conditions de travail et leurs aspirations pour le prochain quinquennat.

Il a été réalisé avec la collaboration de Romain Pierronnet, chercheur en gestion des ressources humaines, et François Sarfati, chercheur au Centre d’études de l’emploi.
Sur le baromètre EducPros 2017,  lire aussi :

- L'université à la recherche du temps perdu
- Baromètre EducPros 2017 : quel est le profil des répondants ?
- Baromètre EducPros 2017 : tous les résultats en images

Consulter l'édition précédente : Baromètre EducPros 2016. À l'université, le malaise devient politique

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le