Écoles d'ingénieurs : après la fusion, des cursus à réinventer

Laura Makary Publié le
Écoles d'ingénieurs : après la fusion, des cursus à réinventer
IMT Lille-Douai existe officiellement depuis le 1er janvier 2017. Comme IMT Atlantique, son cycle ingénieur fusionné débutera à la rentrée 2018. // ©  IMT Lille Douai
Les fusions se multiplient au sein des écoles d'ingénieurs, entraînant chantiers et réflexions. Parmi eux : la construction du nouveau cursus commun, qui nécessite coordination et compromis. EducPros s'est tourné vers ceux qui réfléchissent à la création de ces nouveaux cycles ingénieurs.

Du travail et des compromis. C'est ainsi que l'on peut résumer la création d'un nouveau cursus dans une école d'ingénieurs fusionnée. Après les études de faisabilité, le choix du modèle de gouvernance, la préparation du rapprochement entre les deux établissements, puis la fusion effective, l'heure d'un autre chantier important arrive : celui de la construction d'un cycle ingénieur unique.

Cependant, toutes les écoles d'ingénieurs "rapprochées" n'optent pas pour une formation fusionnée. Certaines, à l'image de Sigma Clermont, née en 2016 du mariage entre l'IFMA, école de mécanique, et Chimie Clermont-Ferrand, préfèrent conserver deux cursus distincts, avec quelques aménagements de parcours afin de faciliter les rencontres entre les étudiants des deux filières.

Mais lorsque les établissements optent pour une remise à plat des cursus, cela demande de la préparation. Car avant de présenter leur dossier d'habilitation devant la CTI (Commission des titres d'ingénieur), les écoles fraîchement fusionnées – ou sur le point de l'être – doivent franchir un certain nombre d'étapes. La première ? Apprendre à se connaître et à apprivoiser mutuellement ses différences.

Découverte de l'autre et phase de défense

Pour IMT Atlantique, école née en janvier 2017 de la fusion des Mines de Nantes et de Télécom Bretagne, la découverte de l'autre a justement été la phase la plus longue, comme le note Lionel Luquin, directeur de la formation du nouvel établissement : "Le processus a débuté dès 2015. L'objectif était de comprendre comment chaque cursus était organisé et pourquoi."

Si cette étape est nécessaire, elle n'est cependant pas toujours aisée pour les personnels et la direction de l'école. "Cette première phase est aussi une phase de défense. Cela n'est pas simple, lorsque l'on a travaillé sur un cursus pendant des années, d'accepter d'en sortir et de le remettre en cause. Mais il est nécessaire d'accepter ce mécanisme au long cours", souligne Lionel Luquin.

Si rapprocher deux cursus en trois ans s'avère déjà complexe, l'affaire se corse lorsqu'il s'agit de réorganiser des formations recrutant à la fois en bac + 2 et en postbac. C'est le cas d'IMT Lille-Douai, fruit du rapprochement, en janvier 2017, des Mines Douai et de Télécom Lille. "Chaque école était attachée à son propre modèle, concède Raymond Chevallier, directeur des études et de la formation d'IMT Lille-Douai. La décision finale est revenue à la direction et au ministère de tutelle." La nouvelle école proposera ainsi un cursus en cinq ans.

De grands principes fondateurs

Une fois cette première étape franchie, les établissements peuvent se mettre autour de la table et réfléchir aux grands principes fondateurs du nouveau cycle ingénieur. À CentraleSupélec, dont le nouveau cursus devrait débuter à la rentrée 2018, la "phase d'instruction" a duré presque une année, de mai 2015 à mars 2016. Annoncée un temps pour la rentrée 2017, la mise en œuvre du parcours unifié a finalement été repoussée d'une année pour laisser à l'école, issue de la fusion de Centrale Paris et de Supélec, d'investir ses nouveaux locaux sur le plateau de Saclay.

Cela n'est pas simple, lorsque l'on a travaillé sur un cursus pendant des années, d'accepter d'en sortir et de le remettre en cause. Mais il est nécessaire d'accepter ce mécanisme au long cours.
(L. Luquin) 

"Cette phase d'instruction a été l'occasion d'étudier les lignes de force et les marques de fabrique de chacune des deux écoles, pour se positionner face à de grandes institutions reconnues internationalement, comme le MIT, Stanford ou Caltech, mais aussi en fonction des besoins des étudiants et des entreprises en matière d'ingénieurs de très haut niveau", détaille John Cagnol, responsable du nouveau cursus de l'école d'ingénieurs. Résultat : un "cahier des charges" en a découlé, contenant les principes directeurs et les orientations stratégiques du cursus. Il a été approuvé par le conseil d'administration de l'établissement, en mars 2016.

Trancher sur les pratiques

La question des grandes orientations à suivre s'est également posée à UniLaSalle, établissement issu de la fusion de LaSalle Beauvais et de l'Esitpa en 2016. Là où d'autres écoles réfléchissent plusieurs années à leur rapprochement, UniLaSalle est née en un temps record : le nouveau cursus ingénieur a débuté dès la rentrée 2016.

"La direction des études a défini le cadre général du cursus et a commencé très vite à travailler sur la maquette, en particulier pour la première année. Pour cela, nous avons créé des équipes avec des enseignants représentatifs des deux campus, afin d'observer les cursus et leurs positionnements sur le plan des compétences ingénieurs. Le but était de voir comment chaque campus y répondait", rappelle Valérie Leroux, directrice déléguée d'UniLaSalle.

Car entre les deux cursus préexistants, il faut faire des choix, ce qui n'est pas toujours évident. "En matière de mobilité internationale, nous avions des pratiques différentes, détaille Valérie Leroux. Nous avons donc opté pour quelque chose de nouveau : un semestre à l'étranger imposé pendant le parcours ingénieur. Le but n’est pas de prendre tout d’un cursus ou de l’autre, mais de créer quelque de chose de nouveau et de différent."

Ce que confirme John Cagnol. À CentraleSupélec, il a travaillé sur la définition des 20 nouvelles spécialisations proposées en troisième année : "Aujourd'hui, la troisième année est segmentée en options à Centrale et en majeures à Supélec. Dans le cursus CentraleSupélec, nous avons tranché en faveur de 'mentions'. Au-delà du terme, les définir n'était pas simple. Le but n'était pas de retrouver ce qui se faisait auparavant, mais bien de segmenter à nouveau la formation selon les besoins des entreprises.

UN cursus à bâtir, année après année

Une fois les grandes orientations validées et les questions de maquette tranchées, reste encore à articuler chaque année, entre cours, travaux pratiques et projets d'étude. Un travail énorme pour ces écoles, qui débutera à CentraleSupélec à la rentrée 2017.

"Cette troisième phase nous permettra de redéfinir les enseignements : cours, TD, projets, études de cas, etc. Nos professeurs, y travailleront entre octobre 2017 et juin 2018", précise John Cagnol. L'objectif ? Mettre sur pied la première année, avant de remodeler les deux autres, le nouveau cursus étant mis en œuvre progressivement, au fil des nouvelles promotions.

C'est le cas à UniLaSalle pour la première année, les deux autres étant actuellement en gestation. "C'est plus simple aujourd'hui, car nous nous connaissons déjà, nous connaissons notre programme et nous travaillons ensemble depuis plus d'un an", admet Valérie Leroux.

Les écoles fusionnées s'engagent ainsi sur un cycle long d'au moins trois ans, avant de totalement basculer sur leur nouveau programme. Mais le verdict tombera bien avant. "Pour nous, l'enjeu sera le 1er septembre 2018, annonce Lionel Luquin, d'IMT Atlantique. Nous saurons alors si nous réussissons à remplir nos 220 places."

Laura Makary | Publié le