Quand établissements et entreprises partent unis à l’international

Jessica Gourdon Publié le
Quand établissements et entreprises partent unis à l’international
Campus de la CAUC à Tianjin - L'Enac s'est implanté en Chine avec le soutien des industriels aéronautiques ©S.Blitman avril 2013 // © 
Sur un marché mondialisé, la concurrence économique comme la guerre des talents font rage. Les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises l’ont compris : pour résister, mieux vaut partir en rangs serrés. Panorama des partenariats qui font recette.

Dans un cadre français, la méthodologie est souvent bien rodée. De plus en plus d'entreprises, petites ou grosses, savent comment avancer main dans la main avec des écoles ou des universités. Mais qu'en est-il lorsqu'il s'agit de mener des ­actions à l'international ? Comment entreprises et établissements français arrivent-ils à pactiser, lorsque les enjeux dépassent les frontières ?

Les stratégies gagnantes sont celles où les deux parties trouvent leur intérêt. D'un côté, des établissements qui souhaitent renforcer leur ­notoriété à l'international, ­former plus d'élèves étrangers, ou favoriser l'employabilité de leurs étudiants. De l'autre, des entreprises qui veulent, selon les cas, disposer à l'étranger de jeunes formés "à la ­française", repérer de bons ­étudiants aux profils internationaux, ou encore profiter d'une expertise de recherche biculturelle.

Si les formes de ces partenariats sont multiples, une chose est sûre : cette quête n'est pas un long fleuve tranquille. Tout d'abord parce que côté entreprises, ces partenariats sont mis à l'épreuve pendant les périodes de crise. Plus neufs, ces accords sont aussi plus compliqués à mettre en œuvre, et plus fragiles que ceux qui se limitent au cadre français. ­Petit tour d'horizon des montages fructueux.

1. Former à l'étranger des étudiants "à la française"

Total ne cache pas son ambition de se développer en Chine, via ses partenariats avec des entreprises locales. Le recrutement de cadres pour accompagner cette croissance est une question sensible : ­Total cherche des jeunes ingénieurs chinois qui soient formés à la fois à la technique et au management, avec une vraie expérience terrain. Et qui soient aussi capables de comprendre des contextes culturels différents. "C'est le profil de l'ingénieur à la française, affirme Arnaud Poitou, directeur de Centrale Nantes. En Chine, la formation d'ingénieur est bien plus théorique, et n'intègre pas la dimension du leadership. Et c'est sans dire qu'envoyer des Français sur place coûte très cher."

Ce sont des constats de ce type qui ont amené les quatre Écoles centrale, accompagnées par dix entreprises françaises (Total, Safran, EADS...) à créer Centrale Pékin il y a huit ans. Les étudiants chinois sont formés pendant cinq ans par des professeurs français, apprennent la langue, ­réalisent souvent un stage en France. Les entreprises contribuent au financement de l'école (environ 50 .000 € par an), également soutenue par le gouvernement chinois.

À la sortie, ces sociétés raffolent de ces ingénieurs bicultu­rels. "Au cours de notre forum carrière à Pékin, il y avait davantage de postes à pourvoir que d'étudiants ! La moitié de nos diplômés ont trouvé leur emploi dans les filiales chinoises d'entreprises françaises", affirme Arnaud Poitou.

Cette stratégie, les Écoles centrale ne sont pas les seules à la mener. Avec la bénédiction des autorités chinoises, Airbus a créé avec l'ISAE (Institut supérieur d'aéronautique) et l'ENAC (École nationale d'aviation civile) un master en aéronautique, en partenariat avec la Civil Aviation University de Tianjin. ­Depuis 2004, 450 étudiants chinois ont été diplômés, et une bonne partie d'entre eux travaillent dans les filiales d'Airbus.

Outre la nécessité d'obtenir toutes les autorisations et reconnaissances académiques locales, les difficultés de ce type d'accords reposent sur la fragilité financière de ces modèles, dépendant pour beaucoup du soutien des entreprises. Avec la crise, plusieurs sociétés, comme Orange ou PSA, ont décidé de stopper leur soutien financier à Centrale Pékin. De même que la fondation Nicole Bru, qui avait largement aidé l'école à démarrer. Mais conduit Centrale Pékin à rechercher un modèle plus pérenne.

En Chine, la formation d’ingénieur, plus théorique, n’intègre pas la dimension du leadership (A.Poitou)

2. Créer un vivier de profils internationaux

Autres profils, autre méthode : pour pallier les besoins de recrutement de jeunes ­cadres très internationaux, des entreprises se sont alliées à des écoles de management, afin de monter un master sur mesure. De là, est née la CEMS (Community of European Management Schools), association indépendante qui gère un master en management localisé dans une vingtaine de pays.

Démarrée en 1988, la CEMS rassemble aujourd’hui 65 compagnies (dont Google, Deloitte, EADS, L’Oréal, Nestlé, Nokia, Vodafone, Shell, Procter et Gamble, etc.), majoritaires dans la gouvernance. Elles paient chacune 23.000€ par an pour financer ce master dispensé dans 28 business schools partenaires (HEC en France, Bocconi en Italie…). Très sélectif, celui-ci propose un cursus avec des périodes dans différents pays, et rassemble des élèves du monde entier.

Pendant tout le cursus, les entreprises partenaires ont un accès privilégié aux étudiants. "Elles viennent se présenter, interviennent dans les cours, parlent de leur marque employeur, proposent des stages. Elles recrutent 40% de nos diplômés", détaille ­Roland Siegers, directeur de la CEMS.

"L’intérêt pour les entreprises, c’est qu’elles savent que nos étudiants sont de bon niveau, parlent trois langues, et sont très adaptables à différents contextes internationaux, poursuit Roland Siegers. Pour elles, c’est une garantie : elles ne prennent pas le risque de recruter quelqu’un qui ne va pas s’adapter au changement."

Toutefois, si l’entreprise prévoit de réduire son flux de recrutement, ce partenariat vacille. C’est ce qui s’est passé en 2012 : plusieurs banques ont quitté la CEMS. Pas de quoi, toutefois, mettre en péril le modèle.

3. Tester des étudiants à l’international

Tous les partenariats étab­lissements/entreprises à ­l’international ne sont pas aussi lourds à monter. Des programmes plus légers, comme les "missions exports" de l’ISG (Institut supérieur de gestion), permettent également à des entreprises de repérer des profils internationaux. Proposées depuis plus de vingt ans, ces missions, auxquelles participent 200 étudiants par an, sont devenues la marque de fabrique de cette école de commerce parisienne.

Dans le cadre de ces partenariats, des étudiants réalisent par petits groupes des missions à l’étranger pour des entreprises. "Il s’agit souvent d’une étude de marché pour une PME qui voudrait s’installer ou vendre ses produits dans un nouveau pays. La plupart des entreprises sont issues des secteurs de la mode, du luxe, des spiritueux, de l’épicerie fine, secteurs français qui marchent très bien à l’export", raconte Frédéric Eyber, directeur d’une société de logiciels et ­tuteur de plusieurs "missions exports".

Ces jeunes sont envoyés sur place pendant trois ou quatre mois. L’entreprise contribue selon ses moyens, à hauteur de 1.000 à 15.000€. "Pour un patron, cela coûte bien moins cher que d’envoyer un cadre en mission sur place. La plupart du temps, ces sociétés n’ont pas les moyens de mener ce type d’études en interne", commente Frédéric Eyber.

Au-delà des résultats de ­l’étude, l’intérêt pour l’en­treprise est également de ­repérer des étudiants débrouillards qu’elle pourra ­recruter pour des missions à ­caractère international. "Nombre d’étudiants de l’ISG ont été embauchés suite à leur mission export, pour mettre en œuvre leurs recommandations ou développer de nouveaux marchés, assure Frédéric ­Eyber. D’ailleurs, cela a été mon cas !"

Pour un patron, une mission réalisée par un étudiant coûte bien moins cher que d’envoyer un cadre en mission sur place (F.Eyber)

4. S’allier sur la recherche

Au-delà des questions de recrutement, les partenariats établissements-entreprises à l’international peuvent se ­focaliser sur un autre enjeu : la recherche. C’est le cas de l’antenne singapourienne de l’EDHEC, financée par plusieurs banques et par le gouvernement local. C’est ce dernier qui a été moteur pour ­favoriser cette implantation. Objectif : renforcer la place ­financière singapourienne, via la production d’analyses et d’études sur le risk management et les hedges funds appliqués au contexte local. L’EDHEC s’est aussi engagée à former des cadres locaux sur ces problématiques. Deutsche Bank, Amundi, Axa ou Société générale font partie des entreprises qui soutiennent cette implantation.

À l’UTSEUS (Université de technologie sino-européenne de l’université de Shanghai), école d’ingénierie montée en 2005 par les trois universités de technologie françaises (Troyes, Compiègne, Belfort), la recherche sert également de pivot pour assurer le lien avec les entreprises. ­L’établissement monte un laboratoire franco-chinois sur la ville (sécurité, urbanisme, transports) baptisé ComplexCity, et obtenu des financements de Dassault ­System.

"Dassault, très présent à Shanghai, souhaite bénéficier de ­notre implantation en Chine pour travailler sur des outils de gestion du cycle de vie des produits urbains, explique Alain Milley, directeur pédagogique de l’UTT. Ces recherches vont aussi nous permettre de monter un master sur les problématiques liées à la ville."

D’autres projets de recherche franco-chinois liés à la ville sont sur la table, en partenariat avec Xerox et Linkfluence. Une chose est sûre : avec la croissance vertigineuse de Shanghai, ces thématiques ne manqueront pas de susciter l’intérêt.

Des bourses financées par des entreprises : le programme du Quai d’Orsay
Identifier d’excellents étudiants étrangers, les former dans des masters en France, puis les "fournir" à des entreprises – qui, au passage, auront payé leurs études : tel est le concept du programme "Quai d’Orsay-Entreprises".
Dans le cadre de ce programme, le ministère des Affaires étrangères identifie et sélectionne, via ses ambassades, de bons étudiants locaux, en lien avec les établissements et entreprises partenaires.Ces jeunes partent ensuite, selon les besoins des entreprises, suivre un master à Centrale, Dauphine, à l’Esigelec, à Polytechnique…

C’est l’entreprise qui finance les frais de vie de l’étudiant (de l’ordre de 13.000€ par an). Le Quai d’Orsay paie leur couverture sociale, leur accorde le statut de boursier du Crous, et leur offre une session intensive de cours de français à l’Alliance française.

De son côté, l’élève s’engage à réaliser son stage de fin d’études dans l’entreprise qui le sponsorise.Environ 90 entreprises ont participé à ce programme depuis son lancement en 2006. Six d’entre elles le déclinent de façon annuelle, avec une dizaine d’étudiants par an (Air Liquide, Airbus, Crédit agricole, Orange, Thales, et DCNS). Au total, environ 200 étudiants, issus d’Inde, Russie, Chine et de certains pays d’Afrique, ont bénéficié de ce programme.

Interface, la lettre des relations écoles-universités-entreprises
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Dans chaque numéro, huit pages de conseils, d’analyses et de bonnes pratiques mais aussi toute l’actualité du secteur, les manifestations et les nominations qui comptent.

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Jessica Gourdon | Publié le