À 30 ans, Erasmus retourne sur le terrain des valeurs

Jean Chabod-Serieis Publié le
À 30 ans, Erasmus retourne sur le terrain des valeurs
Pour la période 2014-2020, le budget global dédié à Erasmus+ est d'un peu plus de 16 milliards d'euros. // ©  plainpicture/Cultura/WALTER ZERLA
Depuis trente ans, Erasmus a permis à plus de 3 millions d'étudiants de voyager en Europe durant leur formation. Désormais intégré à Erasmus+, le programme de mobilité, à l'origine centré sur l'employabilité des jeunes, renforce aujourd'hui la promotion du vivre ensemble.

"Erasmus a changé la façon dont on pense les rapports internationaux", estime Mark Thomas, directeur des affaires internationales de Grenoble École de Management. En 1987, 3.244 étudiants européens – dont 353 Français – venant de 11 pays bénéficiaient du premier programme Erasmus.

Trente ans plus tard, ils sont plus de 3 millions, issus de 31 pays, à en avoir profité. "C'est un bon exemple de stratégie venant de la base, car Erasmus a été créé par quelques enseignants qui voulaient échanger leurs étudiants. Si, à l'époque, on avait demandé à des ministres de l'enseignement supérieur de réfléchir à un tel système, ils n'auraient jamais abouti à cela", analyse Mark Thomas.

D'Erasmus à Erasmus+

Alors que le programme fête en ce début 2017 ses trente années d'existence, il est désormais intégré à un plus vaste programme, créé en 2014 et dénommé Erasmus+.

"Si vous pouviez clarifier ce qu'est Erasmus+, vous nous rendriez un fier service !", dit avec le sourire Laure Coudret-Laut. La directrice de l'agence Erasmus+ France éducation et formation et ses équipes refont inlassablement la même leçon de vocabulaire : Erasmus+ est le programme de l'UE (Union européenne) dédié à l'éducation, la formation, la jeunesse et le sport pour la période 2014-2020.

Erasmus est donc devenu un rouage parmi d'autres dans un grand mécanisme de l'UE consacré à la mobilité et aux projets de coopération. Le légendaire programme d'échange étudiant a même perdu son nom : désormais, il faut parler de "mobilité d'étude", au sein du volet "mobilité enseignement supérieur" de l'initiative européenne.

"Erasmus+ a fait la synthèse de tous les programmes qui avaient été mis en place depuis 1987 au niveau européen, résume Laure Coudret-Laut. Cette évolution intervenue en 2014, c'est aussi une autre philosophie. Comme si nous étions arrivés à maturité et que l'on pouvait évoluer."

Pour aller plus loin : Erasmus+, toujours plus ?

Davantage de publics concernés

Désormais, sont ainsi concernés par Erasmus+ les collégiens, les lycéens, ainsi que les apprentis, les adultes de la formation continue, les étudiants, les volontaires européens, les enseignants, les formateurs, les personnels administratifs ou encore les acteurs du monde sportif.

Pour la période 2014-2020, le budget global dédié à Erasmus+ s'élève à un peu plus de 16 milliards d'euros. "80 % de ces fonds sont distribués à chacun des pays", reprend Laure Coudret-Laut. En 2014, la France avait obtenu 121 millions d'euros. En 2017, elle devrait se voir attribuer 160 millions d'euros.

Au sein du volet "mobilité enseignement supérieur", pour la France, en 2015, la mobilité d'étude (ex-Erasmus) s'est vu octroyer 31,8 millions d'euros, la mobilité de stage 12,5 millions d'euros, la mobilité d'enseignants 2,1 millions d'euros, et la mobilité du personnel un million d'euros.

La professionnalisation du programme va se renforcer avec de plus gros efforts faits sur les stages, l'apprentissage et la formation continue.
(L. Coudret-Laut)

un Besoin de simplification

"Le nombre de projets proposés est en constante augmentation", se félicite Maryne Brahmi, du service des relations et de la coopération internationale de l'université Paris 8, qui a sondé ses collègues chargés des conventions Erasmus. "Quand nous comparons Erasmus+ aux autres programmes d'échange – le Micefa [Mission interuniversitaire de coordination des échanges franco-américains], le BCI [Bureau de coopération interuniversitaire] ou nos accords bilatéraux par exemple –, il reste le plus simple."

Ce n'est pas l'avis de tous. Avec l'évolution du programme, plusieurs établissements regrettent une complexification des dispositifs.

"C'est difficile de comprendre ce qui est permis et interdit, remarque Mark Thomas. Nos chargés de programme ont du mal à interpréter les textes, rédigés de façon très souple. Et les conventions elles-mêmes font une vingtaine de pages. C'est trop long, même si je comprends que cela doit couvrir toutes les éventualités."

Autre remarque, émanant des acteurs du secteur, au sujet du montant des bourses allouées. "En Europe de l'Est, la bourse est suffisante pour vivre, mais pas en Europe du Nord, ce qui dissuade certains étudiants de partir", constate Maryne Brahmi. C'est l'un des regrets de Laure Coudret-Laut : ne satisfaire "que la moitié des demandes au niveau national. Si l'on veut démocratiser le programme, il faut qu'on ait davantage de financements pour faire partir ceux qui n'auraient pas eu l'idée de partir".

La professionnalisation dans le viseur

Parmi les évolutions annoncées, "la professionnalisation du programme va se renforcer avec de plus gros efforts faits sur les stages, l'apprentissage et la formation continue, annonce la directrice de l'agence Erasmus+ France éducation et formation. La coopération entre les établissements, quant à elle, va se poursuivre."

Enfin, Erasmus+ a réagi aux crises européennes (crise économique, migratoire, attentats, Brexit). "Avant 2019, le Brexit n'est pas un sujet pour nous, poursuit Laure Coudret-Laut. J'insisterai plus sur le fait que, pendant la première période d'Erasmus+, nous étions focalisés sur l'employabilité. Avec les attentats, la dimension 'valeurs' du programme a été amplifiée pour faire travailler ensemble des établissements sur la lutte contre la radicalisation." Car la mobilité n'est pas l'objectif unique du programme : la coopération entre établissements d'origines et de filières différentes y a autant d'importance.

Erasmus +, deux agences de promotion
Deux agences nationales sont chargées par la Commission européenne de la promotion et de la diffusion du programme Erasmus+.
– L'une gère les volets éducation et formation : l'agence Erasmus+ France éducation et formation, qui reçoit 90 % de l'enveloppe annuelle dédiée à la France ;
– L'autre est chargée des volets jeunesse et sport : l'Agence Erasmus+ France jeunesse & sport, rattachée à l'agence du service civique, qui reçoit les 10 % restants.
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