Evaluation, missions, métier : deux universitaires témoignent

Fabienne Guimont Publié le
Evaluation, missions, métier : deux universitaires témoignent
Arnaud Martin et Olivier Milhaud // © 
La réforme du décret statutaire des enseignants-chercheurs introduit formellement la modulation des services. Les instances dirigeantes de l’université en auraient la maîtrise sur la base d’une évaluation individuelle des universitaires sur l’ensemble de leurs missions : enseignement, recherche, fonctions administratives. Comment les enseignants-chercheurs sont aujourd’hui évalués et que pensent-ils du projet de décret ? Deux enseignants-chercheurs témoignent de leur métier et répondent à cette question. Si vous souhaitez partager votre expérience sur ce sujet, laissez votre commentaire (en bas de l’article). Nous publierons d'autres témoignages d'enseignants-chercheurs ultérieurement sur educpros.fr.

Olivier Milhaud, ATER géographe à Paris 4 (30 ans)   

Allocataire moniteur pendant les trois premières années de sa thèse à Bordeaux 3, Olivier Milhaud a décroché un demi service d’ATER (attaché temporaire d’enseignement et de recherche). Pour un an. Aujourd’hui doctorant en quatrième année sur la géographie des prisons, son parcours ressemble à une épreuve jalonnée d’évaluations.  

Trouver des financements  

Pour décrocher ces postes financés, il a d’abord dû soumettre des candidatures auprès de commissions dans plusieurs établissements. Commence ensuite avec son équipe le marathon des dossiers pour la recherche de financements auprès de l’ANR (Agence nationale de la recherche), de l’université, du laboratoire, de la Région, de l’Europe.

« Au tout début du travail de recherche, on est soumis à beaucoup d’évaluations pour obtenir des financements. On est en compétition entre chercheurs », explique-t-il. Des évaluations pas toujours au-dessus de toutes critiques. « Les effets pervers de cette évaluation permanente pour obtenir des financements tiennent à ce qu’il faut quasiment présenter les résultats de recherche à l’avance. Il y a aussi un risque de devoir suivre des modes intellectuelles. Autre grief : on ne sait pas toujours sur quoi l’ANR nous évalue », remarque Olivier Milhaud.  

Dossiers, jurys, oraux  

La suite, il le sait, ne sera pas un long fleuve tranquille. Outre les évaluations liées à la recherche de financements, il faudra compter avec les évaluations scientifiques de sa jeune carrière de chercheur. Jury de thèse, qualifications par le CNU pour devenir maître de conférences, tour de France des postes disponibles dans les universités ou grand oral d’entrée au CNRS. « C’est un parcours du combattant », reconnaît-il. Mais il en accepte les règles. « Cela évite les passe-droits ».

La publication de ses articles passe par les fourches caudines de comités de lecture français ou étrangers. S’ajoutent aussi les évaluations de ses pairs lors des présentations de travaux lors de séminaires ou de colloques. Entre deux évaluations, reste son terrain : la prison. « Je dois demander des autorisations à l’administration pénitentiaire pour  faire mon travail d’enquête. Ensuite, je peux faire mes entretiens de détenus, de personnels, de riverains ».  

L’évaluation des étudiants  

En comparaison, l’évaluation de son enseignement - 64 heures annuels – ressemble à un parcours de santé, même pour ce jeune enseignant friand des retours que peuvent faire ses étudiants sur ses cours.

« L’évaluation la plus efficace, c’est si le cours se vide de ses étudiants. Puis si tout le monde échoue au partiel. Je fais ensuite passer des questionnaires écrits en fin de semestre, anonymes, sans que l’établissement me l’ait demandé. En milieu de semestre, je demande aussi leur évaluation aux étudiants. Ces remontées sont utiles car souvent ils pointent des choses qu’on pressentait », souligne celui que ses collègues ont désigné enseignant référent pour l’Agreg oral et que les étudiants consultent aussi spontanément pour leur donner des sujets d’Agreg à l’écrit. « Un bon signe selon un collègue », sourit-il.  

« On redoute les pleins pouvoirs des présidents »  

Les modulations de services prévues dans le nouveau décret statutaire ? « Le problème est qu’on ne sait pas comment seront réparties les tâches, sur quels critères. L’idée de modulation n’est pas idiote si ce ne sont pas toujours les mêmes qui ont les décharges. On redoute que les pleins pouvoirs du président ne profitent à ses copains. Va-t-on vers une répartition entre la recherche pour les bons, l’enseignement pour les moyens et l’administration pour les nuls ? ».   

Arnaud Martin, maître de conférences en écologie à Montpellier 2 (44 ans)

Depuis des années, il se bat pour faire entrer l’insertion professionnelle dans les cursus de son université. A l’élection du dernier président de Montpellier 2, Arnaud Martin est devenu vice-président délégué chargé à l’insertion professionnelle assortie de la formation continue, de l’apprentissage et des TICE. Une reconnaissance de ses pairs, une décharge de la moitié de son service d’enseignement, trois collaborateurs pour l’épauler… et un emploi du temps de ministre.

3 semaines de congés

Il ne s’accorde que 3 semaines de congés par an loin de l’université, dit « ne pas dormir beaucoup », rentre à 19 heures pour s’occuper de ses enfants avant de répondre à ses mails entre 21 et 23 heures. Quatre cinquièmes de son temps sont consacrés à cette mission de pilotage.

En plus du travail sur le plan Campus, le contrat quadriennal, il passe beaucoup de temps à convaincre toutes les composantes de son université de mutualiser l’insertion professionnelle au sein d’un nouveau service central à structurer, le BAIP (bureau d’aide à l’insertion professionnelle).  

« Des gourous de la recherche »  

La recherche ? Une thésarde à encadrer et un jour par semaine maximum à y consacrer. Mais c’est un bol d’air. Biologiste de terrain, il ira « compter les fleurs » en mai prochain et côté enseignement (60 heures de cours annuels) il partira cinq jours en Corse avec ses étudiants. Si son engagement lui a permis d’accéder aux fonctions politiques de l’établissement, ce manque de recherche intensive bloque sa carrière d’enseignant-chercheur.

Evalué une seule fois par le CNU (conseil national des universités) depuis 1995 lorsqu’il est passé maître de conférences, son école doctorale et sa section disciplinaire ne jugent pas son dossier scientifique suffisamment garni en publications dans les trois dernières années pour présenter son HDR (habilitation à diriger les recherches). C’est pourtant le sésame d’entrée dans le corps des professeurs d’université.

« Manager VRP »  

Le master monté pour quelque 700 étudiants où il s’est investi comme « manager VRP » en coordonnant les équipes ou en faisant sa promotion, sa section de CNU – la 67ème particulièrement – n’en a cure. « Ce sont des gourous de la recherche, qui n’intègrent aucune autre compétence. Mon dossier est très orienté sur l’ingénierie de formation que certains rangent dans l’intitulé tâches administratives ».

"Alors que mon engagement s’est fait au service de l’établissement et de la recherche, au final on ne compte que le nombre de publications », regrette-t-il. Sans amertume. Même si sa prime de vice-président délégué de 3000 euros reste bien inférieure à celle versée pour l’encadrement doctoral et la recherche (PEDR).  

Le nouveau décret statutaire ?

« Il faut bouger les choses même si on casse un peu de vaisselle. L’établissement n’a pas intérêt à cultiver le népotisme ». Lui est surtout motivé par l’après-décret : les moyens que l’université peut débloquer en interne sur des projets ou la stratégie d’établissement qui pourra se mettre en place. Pourtant comme beaucoup de ses collègues, il ne voit pas sur quels critères les tâches d’enseignement et les tâches administratives peuvent être évaluées.

 L'évaluation en Amérique du Nord

Quatre professeurs*, formés en France et vivant en Amérique du Nord, ont publié une tribune dans le Monde du 5 février 2009 intitulée « Une évaluation transparente et collégiale ». « Nous, professeurs formés, vivons par choix, en Amérique du Nord, dans ce monde universitaire qui sert de modèle à la réforme. Nos universités sont "autonomes" », écrivent-ils en introduction. Ils déroulent ensuite une description précise du processus d’évaluation en place au Canada et aux Etat-Unis, collégial et transparent, pour le comparer au système français qui semble, avec la réforme, s’orienter sur des critères « plus bureaucratiques que collégiaux ».

* Martial Foucault, professeur adjoint d'économie politique, université de Montréal, Eléonore Lépinard, professeure adjointe de sciences politiques, université de Montréal, Vincent Lepinay, professeur-assistant au MIT, Grégoire Mallard, professeur-assistant de sociologie, Northwestern University.

Fabienne Guimont | Publié le