Grande-Bretagne : les étudiants passent à la caisse

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À peine étudiant, et déjà endetté ! Depuis septembre dernier en Grande-Bretagne, tout jeune  inscrit en première année entame ses études avec  la perspective de devoir rembourser au minimum  9 000 £ (environ 14 000 €) ! Soit l’équivalent des  trois années de Tuition fees, ces frais de scolarité  introduits avec le vote, à une courte majorité, du  Higher Education Act en juillet 2004. Le National  Union Student (NUS) a déjà fait le compte : ceux qui  s’engagent en premier cycle seront confrontés dans  trois ans à 30 000 £ (46 000 €) de dette (frais d’inscription et une part de dépenses quotidiennes) !  

Une libéralisation rapide.
Initiée par le gouvernement  travailliste de Tony Blair, cette réforme intervient  dix années après l’instauration en 1998 des premiers frais de scolarité (calculés à l’époque selon  les revenus du foyer). Dans les années 90, le principal argument était sociologique : la majorité des  Britanniques n’a pas suivi d’études supérieures.  Pour les supporters des Tuition fees, il est donc  injuste que les contribuables renflouent le supérieur, alors même qu’ils n’en ont pas bénéficié. «La  plupart des étudiants sont issus de milieux favorisés,   souligne ainsi Nicholas Barr, professeur d’économie  publique à la prestigieuse London School of  Economics, fervent défenseur du plan. Un enseignement financé excessivement sur l’impôt signifie  que les taxes payées par le chauffeur de taxi paient  les études de jeunes favorisés. » À la différence des  frais de scolarité première version, acquittés dès  l’inscription, la nouvelle formule profite aux étudiants parce que le remboursement est différé et  qu’il est lié à un salaire minimum (cf. encadré).  Autre garantie pour eux : au terme de vingt-cinq ans  sans activité, une femme qui déciderait par exemple  de se consacrer à ses enfants verra sa dette définitivement effacée. « Le système subventionne les  personnes sur la base de ce qu’elles gagneront une  fois en activité, argumente encore Nicholas Barr.  L’exemple emblématique de ce parcours est Chérie  Blair, la femme du Premier ministre, issue d’une  famille pauvre et qui est devenue une avocate très  célèbre et bien payée. Si les personnes réussissent,  elles remboursent, sinon elles ne paient pas et ce  n’est pas un problème. » Un investissement à long  terme dans l’esprit du gouvernement.   

Un moyen de financer les universités britanniques.
C’est  l’autre argument. « Il nous faut trouver des ressources complémentaires pour être plus compétitifs,  notamment face aux universités américaines, justifie  le Pr David Rhind, vice-chancelier de la City University  à Londres. Et comme ceux qui vont à l’université en  tirent un réel bénéfice, il est normal qu’ils contribuent financièrement. » Enfin, les défenseurs de ce  dispositif font valoir qu’il s’accompagne d’une  gamme de soutiens financiers afin d’aider les plus  démunis à couvrir les dépenses de la vie quotidienne.  Des aides sociales non remboursables de 2700 £  l’année et destinées aux moins fortunés concerneront la moitié des étudiants, d’après l’organisation Universities.

Vers un enseignement à plusieurs vitesses ?
Les syndicats, eux, ne sont pas convaincus et dénoncent  ce risque. Au pire, les plus pauvres renonceront à  poursuivre des études et entreront directement sur  le marché du travail. Au mieux, ils feront un choix  par défaut : facs les plus proches de chez eux, ou  les moins coûteuses. « Les plus favorisés s’orienteront vers les établissements les plus riches, qui militent d’ailleurs pour une augmentation supplémentaire des droits, les autres iront vers les moins dotés »,   pronostique Richard Angell, membre du NUS.  Surtout, les responsables des universités ne souhaitent pas se limiter à 3 000 £. Comme le note  Nicholas Barr,ce plafond a été prévu « pour donner  aux gens le temps de s’habituer au principe des  frais ». Lui comme la plupart de ses collègues universitaires ne masquent pas leur volonté de doubler au minimum ce montant. Et les membres du  Russel Group, qui regroupe les vingt établissements d’excellence au Royaume-Uni (Cambridge,  Oxford...),sont très actifs dans ce lobbying. D’autant  qu’ils accueillent le plus grand nombre d’étudiants  étrangers (Indiens, Chinois, etc.), de jeunes expatriés qui paient trois ou quatre fois le prix des  Britanniques pour assister aux mêmes cours. Au  final, ces institutions ne seront-elles pas tentées  d’attirer les plus riches, quelle que soit leur origine,  plutôt que de remplir les objectifs de service public  fixés par le gouvernement ?

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