L'École de design de Nantes, à mi-chemin entre art et business

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L'École de design de Nantes, à mi-chemin entre art et business
Après Shanghai et Delhi, l'École poursuit son développement à l'international en s'implantant au Brésil. // ©  École de design Nantes-Atlantique
Lorsque Christian Guellerin prend les rênes de l'École de design Nantes-Atlantique, à la fin des années 1990, celle-ci est au bord de l'asphyxie. Près de vingt ans plus tard, l'établissement aura multiplié ses effectifs par 100, décroché le visa et se sera implanté en Chine et en Inde. Récit d'un "cas d'école" qui doit beaucoup à la personnalité de son directeur.

Rien n'était dessiné d'avance quand, en 1997, Christian Guellerin relève le défi de diriger l'École de design Nantes-Atlantique. Elle compte alors une vingtaine de permanents pour une centaine d'étudiants répartis dans un BTS esthétique industrielle et un cycle de design de quatre ans.

Leur sort est incertain. Née sous statut associatif en 1988, reprise par la CCI de Nantes en 1992, l'école n'a plus de trésorerie et aucun projet de développement. La réponse du nouveau directeur pour éviter la fermeture ? Développer sans attendre la professionnalisation sur le modèle des écoles de commerce.

"Le rôle éducatif consiste à donner du travail aux diplômés dans le domaine pour lequel ils ont été formés. Ce qui implique forcément d'avoir des relations avec les milieux économiques", martèle-t-il. Cette conviction, Christian Guellerin se l'est forgée après avoir dirigé pendant sept ans l'IPAC, école de gestion et de commerce nantaise.

Mais... Ce qui est une évidence pour une business school devient une gageure dans le domaine des arts appliqués. "J'ai entendu dire qu'on allait obérer la capacité des étudiants à créer s'ils étaient confrontés à des contraintes économiques et même... que nous allions faire concurrence aux quelques agences de design installées dans la région !"

Mettre la créativité au service des débouchés

Christian Guellerin tire alors parti des faiblesses de son établissement. Il n'existe pas de référentiel académique, pas de rattachement à un ministère de tutelle... Tant mieux. "J'ai pu refondre le programme sans contraintes, en plaçant les entreprises au centre du processus pédagogique, d'autant plus que le design n'est pas une discipline universitaire mais repose sur des cours appliqués", raconte-t-il. Sa méthode ? Définir les besoins des clients via un cahier des charges, demander ensuite aux étudiants de réfléchir et de donner leurs idées.

Les premiers temps, Christian Guellerin doit convaincre les entreprises une à une. Aujourd'hui, il est sollicité de toutes parts, aussi bien par des PME-PMI (pour élaborer des projets de tactique marketing, de packaging de demain...) que par des multinationales (pour de la prospective essentiellement) ou par le secteur public. "On a créé un écosystème vertueux, qui donne du travail aux designers dans la région, ceux-ci étant également embauchés par l'école pour donner des cours, ce qui permet à ceux qui le souhaitent de créer leur agence, tout en ayant, les premiers temps, une source de revenus", souligne-t-il.

L'École de design Nantes-Atlantique.

Négocier les virages

Jocelyne Lebœuf, historienne de l'art, donne des cours à l'école de design depuis sa création. L'arrivée de Christian Guellerin, en décembre 1997, elle s'en souvient comme si c'était hier. "Sa nomination a coïncidé – enfin ! – avec notre installation dans des locaux. Avant, nous campions ! L'Icam Nantes nous hébergeait depuis 1993 ! À partir de ce moment-là, tout est allé très vite et cela ne s'est plus jamais arrêté. Nous avons rapidement obtenu le visa, pris le virage du numérique dans les années 2000, avec un diplôme en design hypermédia, et surtout, nous nous sommes développés à international."

En 1998, l'école comptait deux partenaires étrangers. "Nous n'étions ni connu, ni reconnu ! se souvient Christian Guellerin, mais il fallait absolument développer des accords à l'international." Avant de solliciter des partenaires, le cursus passe de quatre à cinq ans. On est alors aux prémices du LMD. "La quatrième et dernière année, traditionnellement consacrée au projet d'études dans les écoles d'art, est devenue notre cinquième année, pour que la quatrième année soit consacrée à un semestre de stage et un semestre à l'étranger, comme dans les écoles de commerce", détaille Christian Guellerin.

Nous sommes allés voir tous les établissements étrangers, sans se soucier de leur rang et du nôtre. (C. Guellerin)

Exporter l'enseignement du design

Il tente ensuite de s'associer avec des écoles de design françaises dont la cote aurait pu "faire monter" celle de son école. Et n'essuie que des refus. "Finalement, ça nous a désinhibés. Nous sommes allés voir tous les établissements étrangers, sans se soucier de leur rang et du nôtre. Et... ils nous ont ouvert leurs portes très facilement. Le design français s'exporte bien, comme la cuisine ou le luxe", se souvient-il. Aujourd'hui, l'école a 70 partenaires étrangers. Elle a aussi fait le choix de s'implanter, en 2010, à Shanghai et à Delhi. Prochain enracinement : le Brésil. Fini l'opportunisme des débuts. Les pays sont choisis en fonction de la qualité de leur formation au design.

L'équipe des relations internationales regarde aussi attentivement les perspectives de mobilité étudiante dans les deux sens : il faut récupérer de bons étudiants étrangers en France, mais également que les étudiants français aient envie de partir longtemps dans les pays où l'école développe des campus. "D'où le choix de l'Asie, de l'Inde ou de l'Amérique latine, plutôt que de l'Afrique ou de la Russie, où les opportunités sont pourtant réelles", assure Frédéric Degouzon, directeur stratégie, développement et communication de l'école.

Décrocher la reconnaissance

Le déploiement à l'international de l'École de design Nantes-Atlantique est allé de pair avec sa reconnaissance sur le plan national. Il aura fallu cinq ans pour passer d'un niveau 2 au RNCP à l'obtention du label "école reconnue par l'État" et du visa pour le diplôme. "Je ne sais pas si c'est long ou rapide, cinq ans, c'est lourd en tout cas sur le plan administratif : chaque année, il fallait redéposer un dossier", se souvient Christian Guellerin.

Seul le grade de master manque à l'école, mais "nous n'avons pas l'appui suffisant dans le domaine de la recherche", reconnaît le directeur. Il souligne que l'école a été auditée A + par l'AERES, mais il s'interroge sur la place de la recherche dans une école de design : "je préfère que l'on se focalise sur l'innovation". Les onze masters de l'école ont ainsi été regroupés au sein de quatre design labs, qui préfigurent les besoins de demain : culture numérique, nouvelles pratiques alimentaires, care (problématiques de vieillissement), ville durable. Les étudiants y travaillent sur des projets pédagogiques ou commandés.

Le prochain défi de l'école, c'est son déménagement, au plus tard en 2020, sur l'île de Nantes. Elle occupera 8.000 mètres carrés dans le quartier de la création. Ses quelque 1.000 étudiants – et la centaine de personnels – sont aujourd'hui répartis sur sept sites dans toute l'agglomération nantaise. Les nouveaux locaux pourront accueillir jusqu'à 1.300 élèves de toutes nationalités. "En 2014, 53% de nos diplômés travaillaient à l'étranger", souligne Christian Guellerin, qui espère voir ce chiffre grimper car sont eux "les meilleurs vecteurs de communication d'une école".

Christian Guellerin et sa vision du design

Des opinions tranchées, Christian Guellerin n'en manque pas. En 1999, son école intègre le réseau Cumulus, l'équivalent, dans le domaine des écoles de design, de la CGE (Conférence des grandes écoles). Ce nouveau membre bouscule le paysage académique.

"Une école de design n'est pas une école de créatifs, mais une école de professionnels de la création", affirme le directeur général de l'École de design nantaise. Traduction : les écoles de design ne forment pas des artistes (comme aux Beaux-arts) : leurs diplômés ont pour vocation de travailler avec et pour des entreprises. Entre 2007 et 2013, il présidera d'ailleurs le réseau.

Année après année, Christian Guellerin a affiné et réactualisé sa vision de l'enseignement du design. Il dit aujourd'hui diriger "une école de management de projet, car le designer est un individu qui travaille avec d'autres professionnels du marketing, des finances, des ressources humaines, de l'ingénierie".

Christian Guellerin figure, en 2015, parmi les 50 qui font l'innovation en France dans le numéro de février d'Industrie & Technologies, aux côtés de Xavier Niel ou de Vincent Bolloré. Cette reconnaissance, il la doit à son apport, jugé révolutionnaire, à l'apprentissage du design en France ; apport qui a entraîné un regain de dynamisme dans la profession. Christian Guellerin balaie d'un revers de manche ce coup de projecteur, mais il ne nie pas "avoir brisé deux tabous : celui du malthusianisme du design, qui voulait que, pour avoir de bons professionnels, il fallait en former très peu, car il n'y a pas de travail pour tout le monde. Et celui des relations entre les entreprises et les écoles de design, considérées comme forcément suspectes".

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