L’évaluation par les étudiants : la levée d’un tabou ?

Emmanuel Vaillant Publié le
L’évaluation par les étudiants : la levée d’un tabou ?
Amphithéatre - Université de Strasbourg - ©Sylvie Lecherbonnier // © 
Les étudiants doivent-ils évaluer leurs enseignements ? Pour les écoles de commerce et d’ingénieurs, mais aussi quelques filières universitaires, la question n’est plus taboue. À condition que les objectifs soient clairement au service de la pédagogie.

"On peut bien donner notre avis sur un film, un livre ou un restaurant, alors pourquoi pas sur un prof !", lâche avec malice Mathieu, étudiant à l'université de Bordeaux-Segalen. "Être étudiant ce n'est pas être client, nuance Léa qui suit le même cursus, mais c'est quand même important que notre point de vue soit pris en compte pour dire ce qui va et ce qui ne va pas." Depuis cinq ans déjà, les étudiants de Bordeaux-Segalen, de la licence aux masters 2, donnent leur avis sur leurs enseignements.

"Du contenu des cours aux relations avec les enseignants, nos questionnaires permettent de tirer des indices de satisfaction et de proposer des pistes d’amélioration", explique Emmanuel Cuny, professeur de neurochirurgie et responsable du CRAME (Centre de recherches appliquées en méthodes éducatives), qui collecte chaque année ces questionnaires pour en faire des synthèses.

Une évaluation Encore rare dans les universités

Des étudiants qui évaluent leurs cours… le sujet est sensible. Il n’est plus tabou. En janvier dernier, Jean-Yves Le Déaut, député PS en charge du rapport sur la refondation de l’université à la suite des Assises, l’a relancé. Il n’a en fait que remis au goût du jour un principe qui est inscrit dans la loi depuis... 1997 mais peu appliqué.

Adoptée par les IUT et les IEP (instituts d’études politiques), plus rarement par des universités à l'exemple de Bordeaux-Segalen, Cergy-Pontoise, Paris-Sorbonne, Lille 1, Strasbourg ou encore Nice, la démarche est en fait mise en œuvre de façon informelle au niveau de chaque diplôme ou UFR poussée par la volonté d'une équipe pédagogique ou d'un responsable de formation.

"Je l’ai mise en place de ma propre initiative car cela me semble utile pour s’améliorer, mais je n’en fais pas la publicité, souligne par exemple un responsable de master d’une université francilienne qui préfère garder l’anonymat. Mieux vaut laisser chaque enseignant libre de s’emparer de cet outil."

Une «démarche qualité»

Dans les écoles d'ingénieurs et les écoles de management, la question est tranchée depuis longtemps. L’évaluation est quasi systématique à la fin de l'année ou de chaque trimestre pour tous les cours. "On ne se pose plus la question de sa justification : l’évaluation par les élèves est une démarche qualité qui est dans l'ADN de l'école", se vante le directeur délégué de l'EM Lyon, Patrice Houdayer.

"Cela fait des années que nous le faisons, mentionne à son tour Christian Lerminiaux, président de la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs). Mais si les écoles sont en avance par rapport aux universités, ce n’est pas qu’une question de “culture”. C’est aussi parce que l’accréditation du diplôme, qui exige une évaluation, a été incitative. Aujourd’hui, les enseignants l’acceptent, pas toujours de gaieté de cœur, mais c’est la règle du jeu qui est entrée dans les mœurs."

Une évaluation n’est pas si simple qu’elle y paraît. Les réponses peuvent s’avérer parfois peu constructives, sur le mode du j’aime/j’aime pas (C.Lerminiaux).

Évaluer n’est pas noter

Des questionnaires anonymes à remplir en ligne ou sur papier… le mode d’évaluation est souvent le même. Il n’est jamais question de notes. L'approche est qualitative. Les étudiants sont interrogés sur leur intérêt pour tel enseignement, les compétences acquises, les liens avec les autres cours, leurs conditions d'études, les moyens mis à disposition, etc.

Seulement l’élaboration des questions est un sujet délicat dont se plaignent souvent les enseignants. "Gare à la normalisation ! Un cours en amphi en psychologie ne suscite pas les mêmes questions qu’un cours de maths en travaux dirigés", prévient Thierry Thibaut, maître de conférences à l’université de Nice. "Nous avons des efforts à faire sur les questionnaires pour qu'ils soient mieux adaptés à chaque discipline", reconnaît Pascale Bergmann, vice-présidente “Réussite étudiante” à l'université de Strasbourg.

"Une évaluation n’est pas si simple qu’elle y paraît, estime Christian Lerminiaux. Les réponses peuvent s’avérer parfois peu constructives, sur le mode du j’aime/j’aime pas, surtout s’il s’agit d’y faire passer ses frustrations. Tout l’enjeu est alors de construire des questionnaires qui permettent de distinguer les réponses selon qu’elles sont liées à des problèmes de logistique, de contenu de cours ou de personnes…"

Il faut [...] qu’un enseignant qui a des retours négatifs puisse bénéficier d’outils pour être mieux accompagné (P.Bergmann).

Les enseignements, pas les enseignants...

Aussi, entre juger d’un cours et évaluer celui ou celle qui l’énonce, la frontière est étroite, le terrain glissant. "L’évaluation est bien acceptée à condition d'évaluer les enseignements et non pas les enseignants, car l'objectif est d'améliorer les formations, pas de sanctionner tel ou tel enseignant", prévient Pascale Bergmann. "C’est un outil pédagogique qui ne doit pas servir à nous évaluer", insiste Thierry Thibaut. Le message est passé. Sans ambiguïté.

"Il n’a jamais été question d’instituer une évaluation sanction", a rappelé Jean-Yves Le Déaut lors de la présentation de son rapport, évoquant l’existence d’une jurisprudence du Conseil d'État qui a validé la procédure d'évaluation des enseignements par les étudiants à condition qu'il n'y ait pas d'incidence sur les prérogatives ou la carrière des enseignants.

Après une évaluation, des actions...

Seulement, une fois ces précautions posées, les enseignants qui se lancent dans cette démarche d’évaluation restent assez peu nombreux. Comme si, à la différence des pays anglo-saxons ou de la Belgique, l’évaluation en France restait ancrée dans la culture de la recherche, et jamais dans celle de l’enseignement.

"Pour convaincre de l’intérêt de la démarche, il faut que des réponses claires soient proposées, et notamment qu’un enseignant qui a des retours négatifs puisse bénéficier d’outils pour être mieux accompagné", considère Pascale Bergmann.

Et de l’évaluation, pourquoi pas, faut-il encore que les étudiants participent... Il ne suffit pas de leur demander leur avis pour qu’ils le donnent. Certains établissements, notamment des écoles de commerce, rendent cela obligatoire pour l'élève, d'autres non.

"La participation aux évaluations est assez décevante, autour de 30 à 50%, parce que les étudiants ne voient pas toujours à quoi elles servent", note par exemple Emmanuel Cuny à l’université Bordeaux-Segalen, qui pense qu'un effort est à faire pour démontrer aux enseignants comme aux étudiants "l’utilité de ces questionnaires". Autrement dit, pas d'évaluation sans plan d'action.

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