Sélection et frais d'inscription illégaux : les universités remettent en cause l'enquête de l'Unef

Camille Stromboni et Sophie Blitman Publié le
Sélection et frais d'inscription illégaux : les universités remettent en cause l'enquête de l'Unef
Le campus Bourget-du-Lac de l'université de Savoie © UDS // © 
Comme chaque année, l'Unef dresse sa liste noire des établissements d'enseignement supérieur. Avec une nouveauté pour l'édition de juillet 2013 : à la dénonciation des frais d'inscription illégaux s'ajoute désormais celle des filières sélectives "illégales" à l'université. Des accusations démenties par un nombre toujours plus grand d'universités, qui s'interrogent sur les méthodes d'investigation du syndicat étudiant.

Voilà neuf ans que l'Unef dénonce des tarifs d'inscription illégaux pratiqués dans certains établissements d'enseignement supérieur, le plus souvent liés à des frais complémentaires demandés pour accéder aux infrastructures sportives ou équipements informatiques. En 2005, 50 établissements étaient concernés, ils ne seraient plus que 24 aujourd'hui d'après le syndicat étudiant. Cependant, malgré cette baisse de moitié, l'Unef souligne "une stagnation de ces mauvaises pratiques chez quelques irréductibles".

Frais d'inscription : l'INPT, l'IAE de Grenoble 2 et rennes 1 visés

En tête de ce "palmarès", l'INP Toulouse est épinglé pour un "master ingénieur" accessible à condition de s'acquitter de pas moins de 9.000€. Cependant, si l'on retrouve bien ce montant sur le formulaire détaillant les frais d'inscription des différentes formations, téléchargeable sur le site de l'Institut, l'appellation "master ingénieur" recouvre en réalité les "masters of sciences and technologies" délivrés par l'INPT.

"Entièrement en anglais, ces formations sont destinées à des étudiants étrangers. Elles en concernent une vingtaine chaque année", explique l'Institut qui précise que "les 9.000€ correspondent à un plafond : c'est un tarif de référence, modulé en fonction des accords de partenariat avec les universités étrangères, ou de l'excellence académique du candidat". L'intitulé "master ingénieur" serait donc un raccourci pour le moins malvenu, qui vaut à l'INPT cette mauvaise publicité, mais bien loin en revanche de concerner les étudiants français.

L'IAE de l'UPMF - Grenoble 2 (Université Pierre Mendès-France), qui propose des "services spécifiques facultatifs concernant l'informatique et les multimédias" à hauteur de 800€, arrive lui en deuxième position du classement. Pour William Martinet, responsable de la commission universitaire de l'Unef, "la jurisprudence acte le fait qu'une université ne peut proposer, même de manière facultative, une prestation aussi peu clairement définie". Version que contredit l'université dans un communiqué, en affirmant à l'inverse que le caractère facultatif et clairement identifié de ces frais [équipements informatiques supplémentaires et intranet particulier] leur donnent justement un caractère légal.

Vient ensuite l'université Rennes 1, dont l'Unef dénonce les frais illégaux à hauteur de 750€. "Rennes 1 fait partie de cette liste à tort", s'indigne le vice-président Finance et patrimoine de l'université, Gabriel Caloz. Les masters épinglés par l'Unef sont cohabilités avec AgroCampus Ouest et les quatre spécialités pouvant donner lieu à ces frais supplémentaires ne sont dispensées que par l'école d'ingénieurs, explique l'université. "Les étudiants concernés s'inscrivent uniquement dans cet établissement, et obtiennent son diplôme, et non un diplôme de l'université Rennes 1", ajoute le vice-président (voir la convention de co-habilitation).

quid des frais de concours des écoles centrale ?

Parmi les autres établissements pointés du doigt, quatre Ecoles centrale (Lille et Marseille, Nantes et Paris Lyon étant étonnamment épargnée par l'Unef) voient leurs frais de concours, d'un montant de 92€, mis en avant comme illégaux. Ce qui s'explique cette fois-ci par un vide juridique.

En effet, explique William Martinet, "il n'existe pas de décret fixant de montant autorisé, comme c'est le cas pour les Insa ou depuis cette année les UT (universités de technologie). Dès lors, les Ecoles centrale n'ont pas le droit de demander davantage que leurs frais d'inscription de 606€, tarif en vigueur pour les écoles d'ingénieurs publiques".

Sans remettre en cause ce point, Patrice Cartraud, directeur de la formation de Centrale Nantes, souligne que "le concours commun est une machinerie bien huilée mais extrêmement subtile et complexe. C'est vrai qu'il y a des frais de dossier, mais nous ne faisons pas de bénéfices sur le concours. Nous accueillons plus de 10.000 étudiants, certains établissements mettent leurs locaux gracieusement à disposition". En outre, ajoute-t-il, "ce n'est ni une nouveauté, ni une singularité par rapport aux autres écoles d'ingénieurs".

Le document de l'Unef incitera peut-être le ministère à publier un décret, non pour réduire le montant des frais de concours, mais pour inscrire la pratique dans la légalité, comme il l'a fait pour les UT.

"Sélection illégale à l'université" : 27 établissements mis en accusation

Par ailleurs, le syndicat étudiant s'attaque cette année à une "sélection illégale" à l'université : "certaines universités préfèrent réduire le nombre d'étudiants inscrits dans leurs formations plutôt que d'affecter leurs moyens à l'embauche d'enseignants et au maintien de leurs capacités d'accueil", avance-t-il. Au total, le syndicat recense 27 établissements qui limiteraient les inscriptions dans des licences "classiques" en raison d'une augmentation des candidats ou bien dans des diplômes très spécialisés nécessitant des pré-requis.

En tête de ce nouveau palmarès : l'université de Savoie, avec pas moins de 13 licences "sélectives illégales" d'après l'Unef. A Chambéry, l'étonnement est total. "C'est un véritable malentendu, explique une responsable. Nos effectifs de primo-entrants à l'université ne cessent d'augmenter, et tous les bacheliers qui ont mis notre établissement en premier vœu sur APB l'ont obtenu. Nous avons appelé l'Unef pour essayer de comprendre sur quoi ils se fondaient : il s'agissait des fiches présentant nos licences qui indiquaient "bac S conseillé" par exemple, ce qu'ils ont considéré comme 'sélectif'. Alors que nous n'opérons aucune sélection, il s'agit simplement d'un conseil d'orientation…"

parcours internationaux : un niveau minimum en langues ?

Egalement au banc des accusées : Bordeaux 1 et Paris Ouest. "C'est d'une hypocrisie monstrueuse, lâche le vice-président CEVU (Conseil des études et de la vie universitaire) de Nanterre, Paul Fontayne. Ils savent très bien ce qui se passe à Nanterre  la moitié du bureau du syndicat en est issue  ils ne peuvent pas faire semblant de ne pas savoir, c'est une attaque politique."

Où se situerait l'illégalité dans son établissement ? Paris Ouest dispose d'une palette de doubles cursus, avec une dimension internationale (droit français-droit allemand par exemple), où un niveau minimum dans la langue étrangère est demandé, notamment en raison des échanges prévus avec les universités étrangères partenaires, parfois dès la L1.

"Plus de 7.000 bacheliers passent le test en avril. Tous ceux qui obtiennent le niveau ont leur chance, c'est ensuite le grand mystère d'APB. Nous ne sélectionnons absolument pas tel ou tel profil, nous voulons simplement nous assurer qu'ils ont une chance de réussir", explique Paul Fontayne.

"Je veux bien essayer d'envoyer des milliers d'étudiants dans nos universités partenaires  ce qui en pratique n'est pas possible  sans vérifier qu'ils maitrisent la langue... pour être sûr de les faire échouer. Quand on sait en outre que nous accueillons près d'un quart des bacheliers qui n'ont rien obtenu sur APB en septembre, c'est quand même douloureux de figurer dans cette liste", ajoute le responsable, désabusé.

A Bordeaux 1, deuxième dans le palmarès, où l'Unef affirme que neuf licences seraient illégales, ce sont également des parcours internationaux qui sont visés (mathématiques et anglais par exemple), explique l'université. "Si l'étudiant n'est pas pris dans ce parcours spécifique, il a de toutes façons accès à la licence classique de la matière en question", se défend l'établissement.

Reste que si les universités mettent en avant les contraintes de leurs capacités d'accueil et leur souci de faire réussir leurs étudiants, un vide juridique subsiste. En effet, les doubles cursus, avec un effectif maximal justifié par l'infrastructure ou le corps professoral, sont autorisés.

En revanche, comme le rappelle l'ancien DGESIP (Directeur général pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle) Patrick Hetzel, "la demande de pré-requis à l'entrée d'une licence générale n'est pas légale, bien que les établissements la pratiquent depuis des années. C'est pourquoi j'avais déposé un amendement à la loi ESR pour sécuriser ces parcours, qui a été malheureusement rejeté, poursuit le député du Bas-Rhin. Il est pourtant nécessaire de mettre le droit en conformité avec la pratique".

Le 9e palmarès de l'Unef serait-il l'occasion de combler le flou juridique en la matière ?

Le ministère demande un examen "rigoureux" des dossiers
La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a demandé à ce que "soit procédé à l'examen rigoureux des informations rendues publiques". Elle a assuré que "les recteurs seront saisis pour rappeler à l'ordre celles qui sortiraient de la légalité. Le cas échéant, l'Etat prendra ses responsabilités pour y mettre fin".

Lire le communiqué du MESR (pdf)
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- L'enquête 2013 de l'Unef (pdf)
- Plusieurs établissements présents sur la liste noire de l'Unef ont publié un démenti, notamment Lille 2 ou l'université de Bourgogne.
- Le billet de Romain Pierronnet : Le marronnier des pratiques illégales des méchantes universités
- Le billet de Pierre Dubois : Geneviève Fioraso a peur de l’UNEF

Camille Stromboni et Sophie Blitman | Publié le