Prépas-universités : un mariage raté

Erwin Canard Publié le
Prépas-universités : un mariage raté
La grande majorité des prépas littéraires bénéficiaient déjà de partenariats similaires avec les universités. La processus est inédit pour beaucoup de prépas scientifiques et commerciales. // ©  Lycée Louis-le-Grand
C’était l’une des mesures phares de la loi Fioraso de 2013 : rapprocher les classes prépas et les universités, à travers, notamment, la signature de conventions et la double inscription des étudiants de prépa. Mais la montagne a, semble-t-il, accouché d’une souris.

Il y a eu du retard, mais c'est fait. Tous les lycées disposant de classes préparatoires aux grandes écoles – ou presque – ont signé une convention avec un ou plusieurs EPCSCP (Établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel) de leur académie.

Si la loi ESR de juillet 2013 laissait aux établissements jusqu'en juillet 2015 pour la signature de ces conventions, certaines n'ont été officialisées qu'à l'automne, voire pour les plus tardives, en janvier 2016. Ces conventions devaient être le prélude d'un rapprochement entre classes préparatoires et universités, en pédagogie comme en recherche. Le texte de loi prévoyait même la "mise en œuvre d'enseignements communs".

Des équivalences généralisées

Après des mois de négociations, ce rapprochement a trouvé sa raison d'être dans les équivalences entre les cursus de prépa et de l'université. "Elles sécurisent les parcours des étudiants dont le passage en classe prépa permet de valider des L1, L2, voire des L3", indique Jean Bastianelli, proviseur du lycée Louis-le-Grand et président de l'APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles).

"Les conventions permettent des passerelles entre les deux mondes, renchérit Gilles Roussel, président de la commission formation de la CPU (Conférence des présidents d'université). C'est la cohérence du système de l'enseignement supérieur qui est en jeu."

La grande majorité des prépas littéraires bénéficiaient déjà de ce type de partenariat avec des universités. Les places dans les grandes écoles, telles que les ENS, étant rares pour leurs étudiants, ceux-ci arrivent en majorité à l'université après la prépa. En revanche, le processus est nouveau pour beaucoup de prépas scientifiques et commerciales.

Toutefois, les conventions en restent généralement là dans le processus de rapprochement des deux entités, loin, notamment, de la perspective d'échanges de cours et d'enseignants espérés. "Sans ce système d'équivalence, les conventions n'apporteraient pas grand-chose", admet ainsi Jean Bastianelli.

Des droits d'inscription générateurs de tension

Pour certains, à l'instar de Sylvie Bonnet, présidente de l'Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques (UPS), là est bien le problème. Selon elle, même ces équivalences ne permettent pas de justifier le décret qui oblige les étudiants de CPGE à s'inscrire, et donc à payer des droits, à l'université.

"Environ 85% des étudiants de prépas scientifiques vont en école d'ingénieurs, et non à l'université. Les équivalences ne concernent pas beaucoup de monde." "Exiger alors d'un étudiant en prépa scientifique qu'il paie des frais d'inscription à la fac est déplacé", ajoute Julien Luis, responsable du secteur CPGE au Snes.

Même si les conventions permettent généralement aux étudiants de prépa de profiter de certaines installations de l'université – bibliothèque, sport... –, cela est insuffisant pour Sylvie Bonnet : "Ils n'en ont pas le temps ! De plus, pour les lycées éloignés des centres universitaires et donc de leurs installations, en province notamment, ils ne le pourraient pas. Les conventions sont complètement vides ! "

"Elles n'apportent strictement rien aux étudiants et aux lycées, assure Denis Le Cléac'h, proviseur du lycée Dumont-d'Urville, à Caen. En revanche, par exemple, à Caen, il y a 1.000 étudiants en prépa. 1.000 multiplié par 184 [le tarif de l'inscription], cela fait 184.000 euros dans les poches de l'université, sans faire grand-chose. Il n'y a aucun intérêt, c'est une pompe à fric."

À Caen, il y a 1.000 étudiants en prépa. 1.000 multiplié par 184 [le tarif de l'inscription], cela fait 184.000 euros dans les poches de l'université, sans faire grand-chose. Il n'y a aucun intérêt, c'est une pompe à fric.
(D. Le Cléac'h)

des négociations difficiles

La question des droits d'inscription est le gros point de tension autour de ces conventions. Pour les étudiants de prépas scientifiques, la note paraît salée au regard du peu d'avantages qu'ils retirent des conventions, alors que ceux de prépas littéraires doivent désormais payer pour des équivalences qu'ils obtenaient gratuitement auparavant.

"Sur le principe, il y a une incohérence à payer des droits à l'université, car la vie étudiante se passe dans les lycées, estime Jean Bastianelli. Mais, selon le décret, comme il s'agit de formation postbac, c'est à l'université de percevoir les droits."

Seule l'académie de Nancy-Metz a établi un montant réduit des frais d'inscription (100 euros), mais cela ne devrait pas durer. "Nous avons estimé que les étudiants de prépa, ne bénéficiant pas des mêmes services que ceux de l'université, ne devaient pas payer un taux plein, détaille Étienne Baumgartner, vice-président de la formation de l'académie. Mais comme nous étions les seuls à le faire, les remontées du ministère nous laissent à penser que, l'an prochain, nous devrons nous aligner..."

La demande de certains lycées de percevoir un pourcentage des frais d'inscription est, dans la plupart des cas, elle, restée lettre morte. "Les universités ne voulaient pas reverser de l'argent qui aurait servi aux frais généraux, justifie Gilles Roussel. Elles admettaient toutefois qu'il y avait bien quelque chose à payer, puisque ce sont les lycées qui gèrent les inscriptions, mais le montant posait problème." "Dans la majorité des cas, pour ne pas crisper les négociations, les proviseurs n'ont pas fait de cas de cette question", souffle Jean Bastianelli.

Les inégalités entre lycées évitées

En revanche, une autre crainte des proviseurs au moment des négociations semble avoir été balayée. Des lycées, notamment parisiens, redoutaient que certaines conventions renforcent les liens entre les universités et certains lycées, en particuliers les plus prestigieux, et que leurs étudiants soient mis de côté.

"On souhaitait que tous les lycées, quels qu'ils soient, reçoivent un traitement identique et que les dossiers de tous les étudiants, d'où qu'ils viennent, soient traités de la même manière", se souvient Marie-Ève Leroux-Langlois, proviseure du lycée Raspail à Paris. "À Paris, les conventions ont été organisées de manière homogène et égale, déclare Jean Bastianelli. Toutes les CPGE ont une convention commune avec toutes les universités."

Plus largement, dans toutes les académies, des conventions cadres ont été signées, évitant de possibles inégalités entre établissements.

Susciter des rencontres

Si ces conventions ne sont pas aussi denses qu'escomptées au départ, l'espoir qu'elles soient un point de départ d'un rapprochement entre classes prépas et universités demeure. "Cette réforme permet une meilleure connaissance des deux systèmes, affirme Gilles Roussel. L'ensemble est plus cohérent, gagne en fluidité."

"Elles auront au moins eu le mérite de susciter des rencontres, et de faire en sorte que les uns et les autres se connaissent mieux", rajoute Jean Bastianelli. Avec, d'ici à quelques mois, les premiers défis à relever : gérer les nouvelles procédures d'équivalence, modifier les conventions selon leur efficacité et améliorer les procédures d'inscription des étudiants.

Des menaces de radiation d’APB en cas de refus de signer ?

Les conventions se sont établies ainsi : des représentants du rectorat, d’une université et des lycées conviennent d’une convention cadre. Puis chaque lycée signe une convention spécifique pour chacune de ses filières avec des UFR de l’université. Par exemple, une filière PTSI d’une prépa va établir et négocier une convention avec un UFR de physique. À la fin, les conseils d’administration des lycées votent la convention pour la rendre effective.

Or, à certains endroits, les négociations ne se sont pas toujours bien déroulées. “Les conventions ont été rejetées par le conseil d’administration en juin, rappelle Denis Le Cléac'h, proviseur du lycée Dumont-d’Urville de Caen. On nous a proposé une convention sans aucune discussion préalable. Ce qui posait problème, c’est que nous n’avions pas d’équivalence en physique alors que nous avons une filière physique… La demande a été faite au président de l’université, qui nous a opposé un refus. Un autre point qui nous déplaisait, était l’impossibilité de la rétrocession des droits d’inscription aux lycées.” “La plupart du temps, souligne Julien Luis, responsable du secteur CPGE au Snes, les conventions ne se sont pas faites en collaboration avec les enseignants, mais entre le rectorat, les présidents d’université et les proviseurs.”

À l’automne, le conseil d’administration du lycée normand se réunit pour un nouveau vote, espérant voir sa demande prise en compte dans la nouvelle convention. “Mais c’était la même ! peste le proviseur. Le recteur nous a sommés de faire passer la convention, sans quoi il nous retirerait du portail APB. Il a clairement dit qu’il le ferait, car c’était la loi. Or, si nous sommes plus sur APB, c’est sacrément ennuyeux…”

En effet, pour être présente sur APB, une CPGE doit désormais être conventionnée avec un établissement d’enseignement supérieur. La convention a donc fini par être signée. Au rectorat de Caen, on estime que les négociations se sont bien passées. “J’ai trouvé tout cela plutôt sain, estime Patrick Vautier, directeur de cabinet du recteur de Caen. Le calendrier était contraint, il a fallu enclencher les choses. Nous avons choisi d’amener tout le monde dans un même mouvement, en profitant du fait qu’on ait qu’une université.”

Des problèmes similaires ont été rencontrés dans les académies de Clermont-Ferrand et de Dijon. “À chaque fois, le proviseur a dit aux professeurs et aux autres membres du conseil d’administration que si la convention n'était pas signée, la formation n'apparaîtrait pas sur APB”, soutient Sylvie Bonnet.

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