Le RNCP, un "label" victime de son succès ?

Catherine de Coppet Publié le
Le RNCP, un "label" victime de son succès ?
Mieux informés, les étudiants consultent eux-mêmes le RNCP. // ©  PlainPicture / Fancy Images
Indispensable pour ouvrir ses formations à la formation professionnelle, à l'apprentissage ou aux contrats de professionnalisation, l'inscription au RNCP est devenue également incontournable pour les établissements en termes d'image. Une évolution qui se traduit par des délais de traitement plus longs, au point que la CNCP a dû renforcer ses moyens.

Une condition sine qua non ? Un gage de qualité ? Un coup de pouce à l'attractivité ? C'est un peu tout cela que recouvre aujourd'hui pour les établissements du supérieur l'inscription de leurs formations au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles), géré par la CNCP (Commission nationale de la certification professionnelle). Une inscription attribuée de droit aux établissements publics ou visés par l'État, ainsi qu'aux titres d'ingénieurs, mais nécessitant le dépôt d'une demande pour tous les autres.

Evolution et répartition du nombre de certifications publiées

Indispensable pour ouvrir ses formations à l'apprentissage ou en contrat de professionnalisation, l'inscription au RNCP est désormais encouragée par la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle. Elle crée des listes de formations éligibles au CPF (compte personnel de formation), dans lesquelles ne peuvent figurer que des formations certifiées par la CNCP. "Cette loi et l'introduction du CPF ne font qu'accélérer un processus déjà engagé vis-à-vis du financement de la formation professionnelle, commencé avec la VAE", commente Georges Asseraf, président de la CNCP.

De plus en plus de demandes

Un mouvement qui pousse de plus en plus d'établissements à déposer des demandes. "J'ai eu affaire l'année dernière à des grandes écoles, qui, jusque-là, n'étaient pas dans cette logique de certification et n'avaient pas besoin de cette reconnaissance", indique Marie-Luce Raigneau, du cabinet MLR Consultants, qui aide à la constitution des dossiers d'enregistrement.

Evolution des demandes d'enregistrement 2009-2014 (CNCP)

"L'inscription au RNCP est devenue une obligation pour survivre", estime même un responsable d'école de commerce souhaitant rester anonyme. "Sans parler de l'attractivité auprès des étudiants, qui sont mieux informés et consultent désormais le RNCP."

Des exigences qui croisent souvent les stratégies des établissements. "La certification de nos mastères spécialisés, décidée il y a deux ans, est cruciale en particulier vis-à-vis des étudiants étrangers", renchérit Pascal Vidal directeur des programmes under et postgraduate de Skema. "Pour prétendre à certaines bourses ou accéder à certains emplois, la reconnaissance de l'État est essentielle, c'est cohérent avec le positionnement de l'école à l'international."

Des délais de traitement allongés

Dans les faits, l'activité de la CNCP ne cesse d'augmenter au fil des ans. "Au troisième trimestre 2015, on comptabilise déjà 569 demandes enregistrées, contre 575 sur l'ensemble de 2014", indique Georges Asseraf, "un saut en volume a été franchi dès 2013. À nous de maintenir la qualité de la certification !"

Face à l'inflation des demandes, les délais de traitement se sont allongés. "Il faut compter environ 18 mois en Île-de-France entre le dépôt de la demande et l'enregistrement au répertoire", estime Marie-Luce Raigneau. "Il y a aussi une certaine tendance à la rigidité dans le traitement des dossiers, on insiste plus sur la conformité administrative."

Nous avons perdu 50% des effectifs d'une formation dans le laps de temps entre la lettre d'enregistrement au RNCP et la publication au JO six mois plus tard !
(Un responsable d'école de commerce)

Une réalité diversement ressentie sur le terrain. "Pour un renouvellement, nous avons attendu jusqu'à deux ans. Auparavant, les renouvellements allaient plus vite qu'une première demande", souligne le même responsable d'école. "Ces délais s'ajoutent à ceux de l'État, ce qui peut être très préjudiciable : nous avons perdu 50% des effectifs d'une formation dans le laps de temps entre la lettre d'enregistrement au RNCP et la publication au JO six mois plus tard !"

À l'Essec, pour parer à ces difficultés, la décision a été prise d'articuler les calendriers d'ouverture de certaines formations aux démarches d'inscription RNCP. Autre école, autre situation : à Skema, l'inscription des mastères spécialisés a été vécue comme une démarche enrichissante. "Nous avons eu des échanges très intéressants avec les délégués de la CNCP, ils jouent le rôle d'observateurs du marché de l'emploi et nous font progresser", indique Pascal Vidal.

un rôle d'expertise défendu

Un rôle d'expertise que la CNCP continue à défendre. "La démarche permet aux établissements de monter en qualité, de changer leur regard", affirme George Asseraf.  "Je reçois tous les établissements qui obtiennent un avis défavorable, dans un souci de pédagogie."

Associant chaque programme de formation à des "blocs" de compétences identifiables et à un métier précis, la procédure d'inscription donne l'opportunité aux établissements d'adapter leur ingénierie de formation. "Le processus d'inscription est exigeant, car il nécessite un suivi permanent de l'insertion et de l'évolution professionnelles des diplômés et une interaction régulière avec les professionnels du métier enregistré", souligne la direction de l'Essec, "de ce fait, cette inscription est pour nous d'abord un gage de qualité."

Le processus d'inscription est exigeant. Il nécessite un suivi permanent des diplômés et une interaction régulière avec les professionnels du métier enregistré.

"Le positionnement métier est intéressant, et complète l'adaptation des formations que nous menons avec nos comités scientifiques. À l'arrivée, les intitulés et contenus sont plus précis pour les futurs étudiants", indique Pascal Vidal, de Skema. Pour certains, cette valeur ajoutée serait moins perceptible aujourd'hui qu'avant. "Il y a un certain dévoiement de la qualité, car beaucoup d'organismes demandent cette inscription pour des raisons uniquement mercantiles", nuance le responsable d'école anonyme.

Pour maintenir la qualité en dépit des volumes importants de demandes, la CNCP a dû elle-même s'adapter ces derniers mois. Une prolongation d'un an de la certification a été accordée d'office à 125 dossiers reçus pour un renouvellement en 2014. Par ailleurs, la Commission a augmenté ses effectifs de cinq équivalents temps plein. "Nous sommes aujourd'hui environ à 20 ETP au niveau national, 28 délégués régionaux, sans parler des anciens experts de la commission", souligne George Asseraf, "nous visons une réduction des délais de traitement à cinq à sept mois à la fin du premier semestre 2016."

Parmi les autres pistes d'amélioration, la simplification du traitement des dossiers pour un quatrième ou cinquième renouvellement. Du côté des établissements, certaines écoles ont demandé à la Commission de prolonger la durée de la certification tant que le renouvellement n'était pas validé, afin d'éviter la fuite d'étudiants. Une requête restée sans réponse pour le moment.

Catherine de Coppet | Publié le