En Israël, les royalties financent la recherche

Nathalie Hamou Publié le
En Israël, les royalties financent la recherche
Hossam Haick, chercheur en nanotechnologies, a convaincu l'Institut Technion de miser sur son invention à un stade très précoce. // ©  Institut Technion
OFF TO START-UP NATION (4/4). Les universités israéliennes ont été parmi les premières au monde à se doter de bureaux de transfert de technologies. Chaque année, la valorisation de la recherche universitaire du pays génère 250 millions d'euros de royalties. Retour sur les clés du succès d'Israël dans ce domaine, en amont de la Learning Expédition dans la Start-up Nation, fin mai 2016.

Hossam Haick est à n'en point douter l'un des scientifiques vedettes du Technion. Non seulement ce natif de Nazareth âgé de 41 ans et titulaire d'un doctorat de génie chimique de l'Institut technologique de Haïfa, collectionne les récompenses : en 2008, il a fait partie du classement des 35 jeunes chercheurs les plus prometteurs du monde par le MIT. Mais il est parvenu à convaincre l'institut centenaire de miser sur son invention à un stade très précoce : à savoir un "nez électronique" équipé de nanocapteurs capable de dépister les cancers et autres pathologies graves à partir de l'haleine des patients.

Dix ans après avoir recruté Hossam Haick et financé son premier laboratoire de recherche, le Technion ne regrette pas son choix. L'Institut de Haïfa a signé début 2014 un accord avec l'Inserm afin de créer un laboratoire international sur le sujet dirigé par ce chercheur arabo-israélien ainsi qu'un joint-venture avec la société américaine Alpha Szenszor pour commercialiser le "Na Nose" à l'horizon de 2020.

"Le Technion est une institution qui sait prendre des risques, car c'est finalement la seule façon de générer de l'innovation", concède l'intéressé dans son petit bureau de la faculté de génie chimique et de l'Institut de nanotechnologie. Au total, le scientifique qui pilote une équipe de 36 collaborateurs, répartis sur neuf laboratoires pour une trouvaille totalisant 28 brevets, est parvenu à lever près de 15 millions de dollars – notamment auprès de l'Union européenne.

un bureau de transfert de technologies dès 1959

C'est un fait : les universités israéliennes excellent dans le domaine de la valorisation commerciale de la recherche. Elles ont été parmi les premières au monde à se doter d'un bureau de transfert de technologies : dès 1959 pour l'Institut Weizmann. But de la manœuvre : encourager le dépôt de brevets, encourager la recherche appliquée, et les vocations de chercheurs entrepreneurs. 

Cette politique a permis d'attirer dans le voisinage des grands campus des entreprises de stature internationale comme Intel ou Hewlett-Packard et de créer des parcs industriels autour des universités, à l'instar de celui de Rehovot qui jouxte l'Institut Weizmann.

Le Technion est une institution qui sait prendre des risques, car c'est finalement la seule façon de générer de l'innovation.
(H. Haick)

des bureaux de transfert de technologies très puissants

Au travers de sa structure T3, l'Institut Technion possède 50 sociétés dans son portfolio, auxquelles s'ajoutent 30 entreprises dont le Technion a licencié la technologie (et dans lesquelles il n'est pas actionnaire). 

Parmi les investissements qui ont payé, celui dans Invision Biometrics – dont le Technion avait 14% du capital, une société de capteurs 3D pour la reconnaissance gestuelle. Cofondée en 2007 par le chercheur du Technion Ron Kimmel et par Sagi Ben Moshe (diplômé de la fac d'informatique du Technion), elle a été cédée à Intel fin 2011 pour 50 millions de dollars. 

À raison de 80 dépôts de brevets par an gérés en partie par des étudiants en MBA, l'institut de Haïfa finance aujourd'hui 40% de son budget de recherche de 80 millions de dollars à partir des royalties.


Autre TTO (Office of Technology Transfer) très actif : celui de l'université hébraïque de Jérusalem baptisé Yissum. À l'heure où 40% de la recherche nationale dans les biotechnologies émanent de l'université hébraïque, Yissum aligne plusieurs partenaires internationaux, comme Novartis, Johnson & Johnson ou Merck. Et un nombre incalculable de "success stories". À commencer par Mobileye, le leader mondial de l'assistance à la conduite coté au Nasdaq. Fondée en 1999 par Amnon Shashua, professeur de sciences informatiques à l'université hébraïque de Jérusalem, la société a mis au point le "troisième œil du conducteur". 

Au final, chaque année, le transfert de technologies génère 1 milliard de shekels (250 millions d'euros) de royalties en Israël ; une quinzaine d'entreprises nées d'un brevet développé sur un campus israélien voient le jour ; tandis qu'environ 150 technologies israéliennes issues d'une université ou d'un institut de recherche font l'objet d'un accord de licence.

Trois questions à Daniel Rouach, professeur à l'ESCP Europe et visiting professor à l'université de Tel-Aviv et au Technion
"Ici le chercheur-inventeur bénéficie directement des retombées de son invention"
Quelle est la particularité du transfert de technologie des universités israéliennes par rapport à la France ?

Il existe un état d'esprit très différent. En Israël, les scientifiques reçoivent un salaire de 30 à 40% inférieur à celui de leurs homologues français. Donc c'est une nécessité pour eux de trouver un revenu complémentaire. Ils sont aussi très attirés par la possibilité de tisser des liens à l'international. En France, où les chercheurs sont plus fonctionnarisés, quelqu'un qui touche de l'argent est mal perçu, cela créé des conflits dans les équipes.

Comment les universités israéliennes arrivent-elles à motiver les enseignants-chercheurs ?

Dès l'origine, un système performant a été mis en place pour valoriser les inventions, et "partager le travail" : les chercheurs s'occupent des découvertes, des mises au point et du développement ; les sociétés privées filiales des universités ont en charge toute la politique de propriété intellectuelle de l'établissement, le dépôt des brevets, le licensing, le reversement des royalties à la maison mère (l'université) et au chercheur.

Israël s'est inspiré du modèle de Stanford, le pionnier mondial du transfert de technologie, mais en professionnalisant la démarche et en adoptant une réglementation très claire. Ici le chercheur-inventeur bénéficie directement des retombées de son invention, même s'il n'est jamais le propriétaire du brevet.

Que peut apprendre la filière recherche universitaire tricolore de l'expérience israélienne ?

Le message principal est qu'il ne faut pas avoir de complexes par rapport à l'argent. Il est juste important de mettre en place des règles permettant aux chercheurs français de bénéficier de leurs innovations. Israël a compris très tôt que son système de valorisation de la recherche l'aiderait à lutter contre le "brain drain" académique en direction des États-Unis. Les chercheurs français doivent eux aussi trouver un intérêt direct à rester dans les laboratoires situés dans l'Hexagone.


Learning Expedition Start-Up Nation, du 22 au 27 mai 2016
Après New York, Boston et San Francisco, EducPros emmène, en partenariat avec la Cdefi, la CPU et la CGE, une délégation de professionnels de l'enseignement supérieur à la découverte de l'écosystème d'Israël, la Start-up Nation.

Au programme : visites du Technion, de l'Institut Weizmann, de l'université hébraïque de Jérusalem, de l'incubateur MindCet, du Jerusalem Venture Partners, mais aussi des échanges avec des patrons de start-up innovantes et le French Tech Hub.

Ce voyage d'étude est l'occasion pour les participants de nouer de nouveaux partenariats et de faire émerger de nombreux projets.

Programme complet et inscriptions de la #LexSN.

Nathalie Hamou | Publié le