Les campus américains sont-ils transposables en France ?

Marine Relinger Publié le
Ce n’est pas parce que les premières places des palmarès internationaux sont trustées par Harvard, Stanford et Berkeley qu’il faut faire du système américain LE modèle en matière d’enseignement supérieur. Lors d’une table ronde (1) organisée sur ce thème fin 2007, des spécialistes de la civilisation américaine comme François Weil ou Gérard Grunberg, ainsi que Christine Musselin pour les questions universitaires en particulier, se sont attachés à faire la part entre fantasme et réalité afin de dégager les bonnes pratiques mises en oeuvre outre-Atlantique.

Un système très diversifié

Il n’y a pas que des stars aux États-Unis, et cela vaut aussi pour les universités. Qui, en effet, peut se vanter d’avoir entendu parler de plus de quelques dizaines des... 2 500 établissements qui assurent des formations longues (quatre ans et plus) aux États-Unis ? « L’attention internationale reste focalisée sur les plus prestigieux, privés, qui trustent les rankings internationaux. Or, 80 % des étudiants américains sont inscrits dans le système public, où seuls quelques établissements peuvent rivaliser », a rappelé Christine Musselin, directrice du Centre de recherche des organisations (CSO-CNRS), lors de la table ronde précitée. Le système d’enseignement supérieur et de recherche américain est en réalité très stratifié, entre les research universities (où se concentre l’activité de recherche), les master’s colleges and universities (en général jusqu’au niveau master), les baccalaureate colleges de niveau bachelor et, enfin, les nombreuses écoles professionnelles de deux ans qui le composent.

Le « fundraising »

Au sein de ce paysage déréglementé, les moyens sont plus qu’inégalement répartis. Certes, le budget de recherche et développement consacré aux universités américaines se monte à 45 milliards de dollars (2) par an, contre quelque 37 milliards d’euros en 2005 pour l’ensemble – et pas seulement les universités – de la dépense intérieure de R&D de la France (3)... Mais seule une centaine d’établissements a véritablement accès aux subventions fédérales (25 milliards de dollars annuels) et peut revendiquer une stratégie internationale. Contrairement aux idées reçues, l’industrie américaine n’investit pas massivement dans ses universités (soit l’équivalent de 5 % de leurs budgets... comme en France), ces dernières misant sur leurs activités de fund-raising (ou levée de fonds), auprès des anciens élèves et de mécènes privés, pour remplir les caisses. « Mais [globalement], le gros des moyens se concentre dans une dizaine d’universités stars. La question est de se demander si, en France, on veut aller vers ça ? » interroge Gérard Grunberg, chercheur au CNRS et ancien directeur scientifique de Sciences po.

Muse ou modèle ?

François Weil, directeur du centre d’études nord-américaines de l’EHESS, dégage « déjà, pour l’heure, deux pistes de transposition possibles en France. D’abord, le développement des partenariats de recherche public-privé, mais cela a pris du temps aux États-Unis et cela prendra du temps chez nous. Et, bien sûr, l’injection indispensable de fonds pour faire face à la massification de l’enseignement supérieur [ce que les Américains ont fait au lendemain de la Seconde Guerre. Mais, pour ce dernier, il ne s’agit pas « d’agiter le modèle américain » pour justifier les réformes françaises. Christine Musselin observe à ce titre plusieurs « confusions » dans le discours gouvernemental : « La loi relative aux libertés et responsabilités des universités [LRU, août 2007] concentre, par exemple, les pouvoirs entre les mains du président, alors que les grandes universités de recherche internationales s’appuient sur une colonne vertébrale président- doyen-responsables de département. Le conseil d’administration à la française remplit en outre le double rôle d’organe de discussion interne et d’organe de contrôle externe... » En même temps, jouer avec les symboles, c’est très américain...

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