Masters en ingénierie et écoles d'ingénieurs, entre tensions et synergies

Delphine Dauvergne Publié le
Masters en ingénierie et écoles d'ingénieurs, entre tensions et synergies
L'UPMC, son Polytech' et son cursus en ingénierie // © 
Les tensions perdurent entre les écoles d'ingénieurs et les cursus master en ingénierie (CMI), même si sur le terrain, du fait de budgets contraints, des mutualisations se mettent en place.

En deux ans, les universités ont réussi à développer leur offre de CMI (cursus master en ingénierie). Elles proposent aujourd'hui 68 cursus différents pour la rentrée 2014, alors qu'il n'en existait que 27 lors de la mise en place de ces parcours en 2012. Chimie, maths appliquées, environnement, sciences des matériaux... mais aussi économie, géographie et urbanisme, les spécialisations sont variées et proposent aux étudiants des formations moins généralistes que dans les écoles d'ingénieurs. 

Le nombre d'universités partenaires du Réseau FiGuRe, qui regroupe et valide les parcours CMI, a aussi augmenté, il est passé de 12 à 18 en deux ans. "On observe un élargissement rapide du réseau, ce développement s'explique par la réelle motivation des laboratoires et des équipes pédagogiques", commente Rodolphe Vauzelle, vice-président du Réseau FiGuRe et professeur de sciences à l'université de Poitiers.

Néanmoins, les effectifs sont encore peu conséquents et ces cursus peu connus. Seuls 600 étudiants suivent aujourd'hui un parcours CMI. "Nous travaillons pour améliorer la communication auprès des étudiants, même si on a pu constater une amélioration au niveau des admissions postbac", remarque Rodolphe Vauzelle.

Les écoles d'ingénieurs toujours méfiantes

Si les CMI commencent à se faire une place, les tensions perdurent avec les écoles d'ingénieurs. Quand on lui demande la différence entre les masters d'ingénierie et les formations d'ingénieurs, Christian Lerminiaux, président de la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs), répond d'un air dubitatif : "c'est une bonne question..." Sur le papier, les deux formations "sont censées apporter les mêmes compétences, on ne comprend donc pas pourquoi il y aurait deux diplômes différents", tacle le président de la CDEFI. Il n'hésite pas à qualifier ces cursus master en ingénierie (CMI) de "tromperies qui induisent en erreur les étudiants qui pensent y trouver le même contenu que dans une école d'ingénieurs". Rodolphe Vauzelle dément une telle stratégie : "Il n'y a pas d'ambiguïté, les jeunes savent que nous ne délivrons pas le titre d'ingénieur".

Il peut y avoir une ou deux unités d'enseignement mutualisées entre école et CMI, plutôt de niveau master (R. Vauzelle)

Pour Christian Lerminiaux, il faudrait que "les caractéristiques des masters CMI soient mieux définies et correspondent à des besoins spécifiques". Il se dit "très favorable au déploiement de diplômes d'ingénierie à l'université, mais il faut plus de concertation avec les écoles d'ingénieurs pour que les positionnements soient clairs". Pourtant, "la mise en place de chaque formation CMI se fait en consultant les écoles d'ingénieurs internes aux universités, pour éviter qu'ils se placent sur les mêmes spécialisations", rétorque Pierre Leblond, directeur de la formation CMI Biologie-Santé-Environnement à l'université de Lorraine.

Mutualiser pour économiser

Sur le terrain pourtant, des synergies se développent entre écoles d'ingénieurs internes aux universités et CMI. Des cours sont même donnés en commun. "Tout dépend du contexte local, mais il peut y avoir une ou deux unités d'enseignement mutualisées entre école et CMI, plutôt de niveau master", détaille Rodolphe Vauzelle.

Le directeur de Télécom Physique Strasbourg, Éric Fogarassy, défavorable au développement des CMI, juge cette vision "optimiste". Il concède pourtant qu'à Strasbourg, les matières d’expertise technique sont enseignées dans des cours communs, où les élèves de l’école et les étudiants en CMI partagent les mêmes bancs. "Cela nous permet de faire des économies, mais des cours mutualisés avec des formations universitaires existent déjà depuis une dizaine d’années", souligne-t-il. 

À Polytech Marseille, pas de cours en commun, mais "une mutualisation de moyens et de locaux est envisagée dans le cadre d’un fablab qui implique aussi l’École centrale de Marseille", annonce Philippe Dumas, le directeur de l'école. Les laboratoires de l'université peuvent proposer indifféremment aux étudiants de CMI et aux élèves ingénieurs des projets et des stages.

L'insertion professionnelle pourrait cependant mettre tout le monde d'accord. Anas Sakout, chargé de mission pour le CMI à l'université La Rochelle, tente la synthèse : "il n'y a pas de concurrence, mais de la complémentarité, l'université répond au besoin sociétal de former plus de jeunes dans le domaine de l'ingénierie". "Des personnes ne sortant pas d'écoles d'ingénieurs occupent déjà des postes d'ingénieurs, précise le vice-président du Réseau FiGuRe. Il faut distinguer le titre et la fonction d'ingénieur."

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