Pour attirer les meilleurs chercheurs étrangers, universités et écoles rivalisent d'imagination

Jean Chabod-Serieis Publié le
Pour attirer les meilleurs chercheurs étrangers, universités et écoles rivalisent d'imagination
En France, la part des enseignants-chercheurs étrangers présents dans le secteur public reste constante – environ 16,5 % des maîtres de conférences. // ©  plainpicture/Cultura/Monty Rakusen
La recherche mondiale est devenue un marché compétitif. Pour attirer les chercheurs étrangers, les établissements ont réfléchi à des solutions : améliorer l'accueil (logement, administratif) des personnes ou encore adhérer à des standards internationaux en matière de recrutement. Enquête, en amont de la conférence EducPros du 15 juin 2017.

"Il y a une tendance, chez les recruteurs du secteur public comme du secteur privé, à considérer qu'il suffit de donner au chercheur étranger qu'on a recruté une petite fiche de bienvenue avec quelques conseils pour que tout se passe bien. Or, ça ne suffit pas." Jean Bertsch est président de Science Accueil, une association conçue et portée par la communauté d'agglomération Paris-Saclay pour s'occuper de l'accueil des chercheurs étrangers recrutés dans cette zone hautement scientifique du sud de Paris. "Les chercheurs que nous accueillons viennent pour deux ou trois ans et, parfois, s'installent en France. Ils ont besoin d'acculturation."

Science Accueil, dont le budget annuel s'élève à 310.000 euros, s'occupe des titres de séjour, du logement, de l'ouverture d'un compte en banque, de l'inscription des enfants à l'école, de la mutuelle, des assurances. "Nous faisons aussi en sorte que le chercheur et sa famille puissent s'intégrer dans l'environnement français via des cours de français, des visites culturelles dédiées, des soirées thématiques, etc.", ajoute Jean Bertsch.

Car, à ses yeux, le premier facteur d'attractivité d'un pays est bien la qualité de l'hospitalité et la simplification du voyage : faire en sorte que ce soit facile et chaleureux. La recette paraît évidente.

Commencer le recrutement un an et demi avant

En France, la part des enseignants-chercheurs étrangers présents dans le secteur public reste constante – environ 16,5 % des maîtres de conférences –, selon une étude du ministère de l'Enseignement supérieur parue en juin 2016. Mais tous les étrangers ne sont pas maîtres de conférences, et si l'attractivité de la France est forte auprès des doctorants, elle l'est beaucoup moins auprès des profils dits de haut niveau. "Recruter des jeunes chercheurs ou des doctorants étrangers, c'est facile, confirme Bruno Bachimont, directeur à la recherche de l'UTC (université de technologie de Compiègne). Recruter des profils de haut niveau, donc plus âgés et avec une famille, c'est autre chose. La France attire globalement ; mais si le candidat s'aperçoit que se loger ou scolariser ses enfants est compliqué ou trop cher, cela le dissuade."

Le meilleur argument de vente, c'est d'avoir dans ses équipes des personnalités qui donnent envie aux chercheurs de nous rejoindre.
(T. Froehlicher)

Thomas Froehlicher, directeur général et doyen de Kedge Business School, renchérit : "Une des clés, c'est d'entamer très tôt le cycle de recrutement, au moins un an et demi avant. Les chercheurs étrangers doivent préparer le voyage avec leur famille. C'est pourquoi nos commissions de recrutement fonctionnent toute l'année pour pouvoir recruter au fil de l'eau. De plus, nous sommes souples sur la date de début du contrat : si un chercheur doit retarder de six mois son arrivée, nous acceptons. Les enseignants-chercheurs doivent quitter leur institution, clore proprement leurs cours, préparer le voyage pour leur conjoint." L'école de commerce en emploie 193 (dont 43 % d'étrangers) et vise d'en faire travailler "entre  230 et 240" d'ici à quatre ans.

Les outils mobilisés pour assurer les recrutements sont multiples : "Nous relayons l'information sur des plates-formes spécialisées dans le recrutement de professeurs (par exemple Akadeus), ou sur les plates-formes de nos associations professionnelles (par exemple l'AFMD). Nous utilisons des communautés scientifiques très structurées (par exemple l'Académie du management). Et il y a l'approche directe : lors de grandes conférences, il est facile de toucher les chercheurs. Enfin, le meilleur argument de vente, c'est d'avoir dans ses équipes des personnalités qui donnent envie aux chercheurs de nous rejoindre."

Statut et rémunération : le double défi français

Ces outils et solutions ne sont pas multipliables, dans un secteur très compétitif où les places sont rares. "Le problème réside dans les postes offerts aux chercheurs étrangers de haut niveau, se désole Georges Bismuth, président de la Fondation Paris-Descartes. Souvent, ce sont des chercheurs qui avaient une bonne position dans leur pays. En France, on ne peut pas leur proposer grand-chose si ce n'est des postes dans la fonction publique pour lesquels ils doivent attendre deux ou trois ans. Pendant cette période, nous n'avons rien à leur offrir."

Selon le biologiste, qui est également directeur de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), il manque, en France, un statut intermédiaire. "Certains pays  offrent des postes pour quatre ou cinq ans, sans garantie de renouvellement. En France, il n'y a pas cette possibilité dans un cadre formel et légal, car la recherche académique est considérée comme une émanation exclusive de la fonction publique : en dehors, il n'y a rien."

Certains pays  offrent des postes pour quatre ou cinq ans, sans garantie de renouvellement. En France, il n'y a pas cette possibilité dans un cadre formel et légal.
(G. Bismuth)

À ce problème du statut s'ajoute celui de la rémunération : là encore, la comparaison avec l'étranger est inévitable. "Il faut être dans les normes internationales, assure Thomas Froehlicher, ce qui est très difficile dans certains domaines tels que la finance quantitative ou le marketing. C'est pourquoi nous pratiquons la part variable : en plus d'un salaire entre 50.000 et 110.000 euros par an, nous délivrons des primes allant de 1.500 euros, pour une publication à comité de lecture dans une revue classée dans une seule de nos listes de référence, à 22.000 euros, pour une publication dans une revue de rang A reconnue par le 'Financial Times'."

Le choix du label européen

Pour répondre au besoin de comparaison des candidats chercheurs, l'UTC (240 enseignants-chercheurs dont 30 % d'étrangers, 330 doctorants dont 50 % d'étrangers) a opté pour la labellisation. Fin 2016, l'école d'ingénieurs a décroché le label "Human resources Excellence in research". Délivré par la Commission européenne, il atteste que l'établissement respecte la Charte européenne des chercheurs, qui définit et standardise les relations entre chercheurs et employeurs.

"Notre objectif est double, explique Bruno Bachimont : pouvoir afficher la qualité des procédures de recrutement et décrocher des financements européens de recherche, la Commission envisageant de faire de ce label une condition suspensive aux financements." Dans le monde, 336 universités et centres de recherche ont décroché ce label. En France, ils sont seulement sept.

"C'est normal : le recrutement en France est régi par des règlements nationaux définis par le ministère, poursuit Bruno Bachimont. À l'étranger, les établissements ont une plus grande marge de manœuvre, depuis plusieurs années ; de fait, ils ont normalisé les procédures RH dans la recherche. Chez nous, il n'y a pas de tradition RH : jusque récemment, c'était un service administratif qui suivait la carrière du chercheur. Le seul terrain sur lequel nous avons une marge de manœuvre comparable à celle des pays étrangers, c'est le recrutement des enseignants-chercheurs contractuels : ce sont des procédures locales définies par chaque université, avec des salaires hors grilles." L'approche RH semble s'imposer désormais.

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Répondre aux appels à projets nationaux ou européens, tisser des liens avec des partenaires publics et privés grâce à des conventions de collaboration, monter des dossiers de partenariat, de prestation, des Cifre, assurer le transfert technologique... Aujourd'hui, les enjeux de valorisation de la recherche passent par les bons partenariats et une agilité qui permet de créer de nouvelles opportunités de financement.

EducPros propose de faire un point sur l'état de l'art et de voir comment autour de cas pratiques : attirer des fonds pour la recherche, développer les collaborations internationales dans la recherche et améliorer la visibilité des institutions.

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