Stages : entreprises et établissements se préparent à appliquer la loi

Morgane Taquet Publié le
Encadrer le recours aux stages et limiter leur durée afin de protéger les étudiants sont les finalités de la loi adoptée en juin 2014 à l’Assemblée nationale. Son application suscite déjà quelques crispations. Tour d’horizon.

Suicidaire pour les uns, protectrice pour les autres, la loi sur les stages promulguée à l'été 2014 fait toujours parler d'elle, à l'heure des signatures des premières conventions de stages dans les écoles et les universités. Quatrième texte sur le sujet depuis 2006, elle prévoit de limiter la durée maximum des stages à six mois et de fixer un quota d'étudiants accueillis en entreprise.

Elle prévoit également une augmentation de la gratification du stagiaire, l'octroi de nouveaux droits (tickets restaurant, indemnités transport), l'inscription au registre unique du personnel et la limitation du nombre d'étudiants par tuteur enseignant. Avec un objectif assumé : limiter les stages “photocopies” et protéger les étudiants des contrats déguisés.

Car le nombre de stages connaît, depuis une dizaine d'années en France, une croissance spectaculaire : les stagiaires qui étaient 600.000 en 2006 sont passés en 2012 à plus d'un million et demi. Pour l'année 2014, ils sont 5.000 stagiaires chez Vinci, 6.000 au Crédit agricole, 4.600 chez Bouygues... Dans les grands groupes, les stagiaires se comptent chaque année par milliers. Dans les PME, le recrutement est plus complexe. Mais les start-up et entreprises innovantes attirent de plus en plus d'étudiants.

La limite de six mois en question

L'une des dispositions de la loi, la limitation de la durée du stage à six mois, suscite pourtant des crispations. “La loi a mélangé deux problématiques, à savoir : les étudiants qui vont entrer en première année dans le supérieur et un étudiant de cinquième année d'école, par exemple. Ces deux étudiants n'ont rien à voir et on ne peut donc pas leur appliquer les mêmes modalités de stage”, estime Francis Jouanjean, délégué général de la CGE (Conférence des grandes écoles), qui regrette un texte qui “met tout le monde dans le même panier”.

Si le décret rassemblant l'ensemble des dispositions de la loi semble plutôt faire consensus, celui qui fixe un quota de stagiaires en entreprises est toujours en négociation.

Même analyse au sujet du quota de stagiaires en fonction de la taille de l'entreprise. “Des entreprises qui prennent des stagiaires pour combler les trous, il y en a, des excès, il y en a... mais le pourcentage est faible, 5% tout au plus !”, s'indigne-t-il. Preuve que le sujet fait débat, les décrets d'application de la loi n'ont toujours pas été publiés alors que la rentrée est déjà bien entamée. Si le décret rassemblant l'ensemble des dispositions de la loi semble plutôt faire consensus, celui, en revanche, qui fixe un quota de stagiaires en entreprise est toujours en négociation.

Ce texte provoque également un débat du côté des établissements, notamment des écoles de commerce. Au banc des récriminations figure en premier lieu cette limitation de la durée des stages.

“Un stage de moins de six mois n'intéresse pas les entreprises. Une entreprise qui souhaite proposer une mission d'un an comme un projet innovant ne pourra techniquement plus le faire. Dommage pour nos étudiants !”, résume Marc Pérennès, responsable Relations employeurs et Accompagnement carrières à l'EM Lyon. Avec 2.000 stages traités par an, la business school place essentiellement ses étudiants dans la finance, le contrôle de gestion et les cabinets d'audit mais aussi de plus en plus dans l'ESS (économie sociale et solidaire).

À l'EM Lyon, les étudiants construisent un “parcours à la carte” : dans le programme grande école en cinq ans, douze mois d'expérience en entreprise sont prévus et peuvent être “agencés” tout au long du cursus en fonction des choix de l'étudiant. “Chaque étudiant peut choisir quand un stage lui sera utile et donc construire sa stratégie de carrière comme il l'entend, explique Marc Pérennès. Avec la loi, les étudiants vont perdre en fluidité.”

Alors, comment protéger les étudiants ? “L'école et le service des stages constituent déjà un rempart contre des entreprises qui abuseraient, assure-t-il. Dans le cas classique de l'entreprise qui souhaiterait prolonger un stage de six mois et qui nous ferait du chantage à l'emploi, nous sommes fermes, même vis-à-vis de l'étudiant qui parfois voudrait se laisser tenter.”

Comment l'école lyonnaise se prépare-t-elle à ces changements ? Le responsable assure ne plus accepter aucune demande de stages de plus de six mois depuis plus d'un an et renseigne les étudiants sur le futur cadre législatif. Sans retour de son réseau d'entreprises pour le moment, il estime que, “pour les grands groupes, qui sont très visibles, il n'y a pas d'inquiétude à se faire. En revanche, pour les PME qui ont déjà du mal à faire venir les stagiaires, en dépit des efforts croissants déployés en ce sens, ce sera encore plus difficile”.

Les quotas de stagiaires dans le viseur

Suicidaire. C'est le premier mot qui vient à l'esprit de Jean-Michel Pottier, en charge de la formation et de l'éducation à la CGPME (Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises), lorsqu'il évoque la loi promulguée en juillet.

Un texte désastreux pour l'insertion professionnelle des jeunes, regrette le responsable qui prévoit qu'“en 2016, 100.000 à 150.000 jeunes ne pourront pas obtenir leur diplôme faute d'avoir trouvé le stage validant leur cursus”. “Plutôt que de réglementer les abus, on a érigé la même règle pour tout le monde”, souligne Jean-Michel Pottier. Il dénonce “une loi idéologique qui consiste à dire que toutes les entreprises fraudent”.

Comment une PME peut-elle se préparer à ces nouvelles modalités ? Difficilement, estime Jean-Michel Pottier, qui prévoit une baisse drastique du recours aux stagiaires dans les petites et moyennes entreprises. Dans son viseur, la question des quotas, bien sûr, mais aussi l'obligation de former, “qui n'est pas le rôle d'une entreprise”, et l'attribution de nouveaux avantages salariaux.

Dans son entreprise valenciennoise de fabrication de textiles publicitaires, Jean-Michel Pottier se dit “hypersollicité” par les stagiaires. La PME, qui emploie 16 salariés, a recours à quatre ou cinq stagiaires par an, lycéens de bac pro ou étudiants.

“Désormais, je ne pourrais plus en prendre que trois. Ainsi, non seulement, on nous impose d'en laisser sur le carreau mais, en plus, ceux que nous accueillons vont devenir une charge impossible à supporter par une PME”, dénonce-t-il. Sa solution ? Mettre en place des réglementations plus strictes dans les organismes de formation. Les universités sont notamment visées : “Elles sont parfois très généreuses et signent trop de conventions de stages sans en vérifier le contenu.”

À terme, explique Francis Jouanjean de la CGE, il y a un risque que cela freine le développement de certaines jeunes entreprises. “Prenons comme exemple la société Aldebaran, qui a conçu le robot NAO. Aujourd'hui, c'est une société de 200 personnes internationalement reconnue mais, à l'origine, c'était une start-up qui s'est montée avec quelques ingénieurs et des stagiaires d'écoles d'ingénieurs. Avec la nouvelle loi, ce genre de success story, ce sera plus compliqué !”, s'indigne-t-il.

Si l'inquiétude guette les grandes écoles, dans les universités, la loi est accueillie avec davantage de bienveillance.

Une harmonisation des règles "bienvenue"

Si l'inquiétude guette les grandes écoles, dans les universités, en revanche, la loi est accueillie avec davantage de bienveillance. C'est le cas à l'université Paris-Diderot qui traite chaque année entre 4.000 et 5.000 stages d'une durée moyenne de trois mois, essentiellement dans l'offre de masters.

En effet, selon un rapport de l'Éducation nationale (avril 2014), à l'université, les stagiaires se comptent d'abord parmi les étudiants de master (43% en M1, 63% en M2) alors qu'en licence, ils ne sont que 32% en L3 et... 3% en L1. Des disparités entre les niveaux d'études qui font dire à Isabelle Bourgeat-Lami, responsable des stages pour l'université parisienne, qu'une harmonisation des règles serait la bienvenue. Et, dans ce domaine, la limitation des stages à six mois est une très bonne chose, estime-t-elle.

Plus juste, plus forte, c'est ainsi qu'Isabelle Bourgeat-Lami définit la loi de juillet. Face à des entreprises aux pratiques frauduleuses, “la loi permet d'installer un nouvel arsenal de sanctions”, assure la responsable, qui estime mener “une chasse aux stages déguisés”. Si les stages “photocopies” ne concernent qu'une dizaine de cas par an dans son établissement, il est difficile de les débusquer dans un établissement comme Paris-Diderot qui conventionne massivement, avance-t-elle. “Si l'étudiant ne nous fait pas de ‘retour’, impossible de savoir si le stage s'est mal passé”, estime Isabelle Bourgeat-Lami. “Ce qui signifie que l'étudiant devra faire encore plus attention en cherchant un stage”, assure-t-elle.

Pour aider les étudiants à s'y préparer, Paris-Diderot poursuit sa politique d'accompagnement des étudiants par des ateliers d'aide à la recherche du “bon stage”. Être plus sélectif sur le choix de son stage, c'est l'un des effets bénéfiques de la loi, selon elle, qui permet à l'étudiant de “donner davantage de sens” à ce temps passé en entreprise et d'atteindre ainsi l'objectif fixé par le gouvernement : faire du stage un outil réellement au service de la formation.

L'année de césure en question
Quid de l'année de césure ? Si elle n'est pas obligatoire, elle est proposée par la quasi-totalité des écoles de commerce et largement par les écoles d'ingénieurs. Habituellement, explique Francis Jouanjean, délégué général de la CGE, cette interruption des études pour une durée d'un an peut être utilisée par l'étudiant pour un projet humanitaire, une préparation à la création d'une start-up ou pour un stage en entreprise. Le plus souvent, l'étudiant signe une convention de stage avec son école et l'entreprise qui l'emploie. C'est là que le bât blesse !

Sécurité sociale, frais de scolarité, couverture administrative, quel statut alors pour l'étudiant en césure ? Le secrétariat d'Etat à l'Enseignement supérieur et de la Recherche, la CGE (conférence des grandes écoles), la CPU (conférence des présidents d'université) et la Cdefi (conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs) ont d'ores et déjà prévu de se réunir en groupe de travail, “dans les prochains jours”, afin de préparer une circulaire spécifique sur l'année de césure, précise Francis Jouanjean.

“Rien n'est encore décidé, tout est sur la table”, assure le délégué général. Mais, attention, prévient le secrétariat d'État, aucun statut dérogatoire ne sera acté.
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