Une journée avec… le chief digital officer de Rennes School of Business

Céline Authemayou Publié le
Une journée avec… le chief digital officer de Rennes School of Business
Pour transformer l'école de commerce rennaise, Pierre-Paul Cavalié (à gauche) a mis sur pied une Digital Factory : toutes les semaines, la petite équipe se réunit pour échanger sur les dossiers en cours. // ©  Céline Authemayou
Pour amplifier sa transformation numérique, en novembre 2015, Rennes School of Business a recruté un chief digital officer. Courant dans les grandes entreprises, ce poste est encore rare dans l’enseignement supérieur. Rencontre avec Pierre-Paul Cavalié, en amont de la conférence EducPros du 27 janvier.

Sur les murs, un tableau blanc recouvert d'une fine écriture cohabite avec une armée de post-it. Un peu plus loin, une affiche annonce, en anglais, la couleur : "une chose faite est mieux qu'une chose parfaite" [done is better than perfect]. Dans le bureau de Pierre-Paul Cavalié, les clins d'œil au monde des start-up et à la Silicon Valley sont légion.

Recruté en novembre 2015, cet ancien directeur marketing de grands groupes industriels, qui a fait ses armes d'entrepreneur en créant sa propre start-up, œuvre à la transformation numérique de Rennes School of Business. Derrière son immense écran d'ordinateur, devant sa tablette numérique ou avec les équipes de l'école de commerce bretonne, le CDO (chief digital officer) fait souffler sur l'établissement un vent de changement. En vogue dans les grandes entreprises, son poste fait encore figure d'exception dans le monde de l'enseignement supérieur.

9 heures : entre urgences et travail de fond

À la tête de la direction de l'innovation et des systèmes d'information qui compte une petite quinzaine de personnes, Pierre-Paul Cavalié gravite à l'interface de tous les autres services. "Il faut être agile", reconnaît-il en commençant sa journée.

Malgré tout, pour éviter de multiplier les réunions et de se laisser ensevelir sous la masse des informations échangées sur les réseaux sociaux, le CDO s'est fixé quelques règles, "à la limite de la psychorigidité", sourit-il. Sur son agenda, aucune réunion n'est prévue le matin. Il se réserve ce temps pour avancer sur ses dossiers, gérer les urgences et se consacrer aux réflexions de fond.

"En arrivant à Rennes, je me suis très vite rendu compte que mon poste dépassait la seule sphère numérique, se souvient Pierre-Paul Cavalié. En réalité, c'est un travail de 'chief transformation officer', qui consiste à améliorer les processus au sein de l'école, que ce soit en s'appuyant sur le numérique ou pas."

10 h 30 : accueil d'un nouvel administrateur réseau au sein de la DSI

Ce matin, le CDO tolère une entorse à son règlement. L'école accueille un nouvel administrateur réseau au sein de sa DSI (direction des systèmes d'informations). L'occasion pour tout le service de se rassembler autour d'un café de bienvenue. "Profitez-en, ça ne sera pas tous les matins comme ça", plaisante Pierre-Paul Cavalié, qui dirige désormais la DSI.

En créant le poste de chief digital officer, le directeur général de Rennes SB, Olivier Aptel, a pris le parti de l'intégrer au sein même du comité de direction. Un acte politique fort, qui fait du CDO l'un des personnages clés de la stratégie de développement de l'établissement. "Notre public, constitué de millennials, recherche une approche de la communication qui ressemble à ses usages, constate Olivier Aptel. Cela nécessite à la fois de mettre à niveau nos systèmes d'informations, mais aussi de mener des initiatives plus transverses, au sein de toutes les directions de l'école."

Pour définir cette approche "client", Pierre-Paul Cavalié évoque l'importance de "l'expérience étudiante", appelée dans d'autres secteurs "expérience utilisateur".

Cette utilisation décomplexée de la rhétorique et des codes marketing a pu égratigner quelques oreilles, à son arrivée. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les équipes de la DSI ont été renouvelées au cours des derniers mois... "On compare trop souvent l'éducation à un mammouth. À partir du moment où l'on donne aux équipes les outils adéquats, elles sont en capacité d'insuffler le changement, préfère rappeler Pierre-Paul Cavalié. Pour ma part, j'ai vécu l'échec et les réussites, j'ai planté ma start-up... J'ai appris à ne pas avoir peur !"

12 h 30 : pause sportive

"Vous voulez déjeuner ?" Entre deux portes, alors que des dossiers sont en attente sur son bureau, le CDO pose sérieusement la question. L'ancien directeur marketing, au profil sec de marathonien, ne s'arrête jamais. Dans un coin de son bureau, attend patiemment son sac de sport. Vélo, course à pied, yoga...

À l'heure du repas, il délaisse fourchette et couteau et rejoint les équipements sportifs de l'école de commerce pour une séance d'entraînement. "Il est comme ça, il ne prend jamais le temps de déjeuner", glisse l'une de ses collègues.

13 h 30 : inauguration du "Aloha square" de la DSI

Au deuxième étage du bâtiment historique de Rennes School of Business, surplombant le grand hall où se détendent les étudiants, une petite salle vitrée accueille la pause-café du jour. Pierre-Paul Cavalié et ses équipes inaugurent le Aloha Square ["bienvenue" en hawaïen]. Pour le clin d'œil, des colliers de fleurs ont été achetés.

Tenu par les équipes informatiques, ce bureau d'accueil est ouvert à tous les étudiants et personnels de l'établissement. De 8 heures à 18 heures, chacun peut venir demander de l'aide aux techniciens : problème d'impression de documents, disque dur qui tombe en rade... Avec ce "helpdesk" – un anglicisme de plus au compteur du CDO –, l'objectif est clair : améliorer l'expérience étudiante au sein de l'école.

nullÀ la tête de la DSI, Pierre-Paul Cavalié accueille ce matin un nouveau salarié.  // © Céline Authemayou

Et c'est l'un des trois piliers qui guident Pierre-Paul Cavalié au quotidien : l'expérience étudiante. Cela passe par la création d'une application mobile, développée avec la start-up Appscho [dont l'Etudiant est actionnaire minoritaire]. Ou par l'introduction de nouveaux outils dans les cours, avec, entre autres, les services proposés par Klaxoon.

Les deux autres piliers, sur lesquels travaille le CDO, concernent à la fois la transformation interne et la croissance de l'école. "Comment le numérique peut-il nous aider à travailler mieux ? s'interroge l'ancien directeur marketing. L'école a grossi vite au cours des dernières années et les outils utilisés atteignent leurs limites..." Ses équipes se penchent sur les outils de gestion de scolarité, mais aussi sur le déploiement de solutions d'examens en ligne. Pour travailler sur ce dossier, Pierre-Paul Cavalié est allé chercher une start-up française, TestWe. "Nous pourrions développer certains outils en interne. Mais réinventer la roue ne sert à rien..."

14 heures : réunion de la Digital Factory

Toutes les semaines, le CDO réunit son équipe pour trente minutes de réunion. Il a baptisé ce petit groupe la Digital Factory. On y trouve la community manager, le responsable de la DSI, le digital learning manager... Ils sont sept à faire le point, debout, sur leurs chantiers du jour.

Parmi eux, Nathanaël Rahamefy. Arrivé il y a quelques semaines à Rennes, c'est le student happiness officer. Littéralement, en charge du bonheur des étudiants. Derrière ce titre coup de com, le jeune homme, issu du monde des start-up, est l'interface entre les étudiants et les différentes directions de l'école. Un visage rassurant pour les étudiants anxieux, qui ne savent pas toujours à qui adresser leurs demandes.

À partir du moment où l'on donne aux équipes les outils adéquats, elles sont en capacité d'insuffler le changement.
(P.-P. Cavalié) 

"J'aimerais pouvoir faire partir un mailing pour annoncer l'ouverture du Aloha Square", indique Nathanaël. À ses côtés, Clara Houeix, responsable des réseaux sociaux et de leur contenu, propose de mettre en valeur une étudiante cubaine, arrivée à l'école il y a quelques jours. Et fait un retour rapide sur les ateliers dédiés à Twitter et à LinkedIn qu'elle a animés pour la direction du développement. "C'est notre côté breton, s'amuse Pierre-Paul Cavalié. L'école est trop discrète sur ses actions. Il faut insuffler un nouveau souffle à la communication, qu'elle soit externe ou interne et engager le personnel dans cette démarche."

Dans cette même optique, il a créé une équipe de Digital champions, une dizaine d'enseignants moteurs en matière de transformation numérique, avec qui il échange sur les nouvelles pratiques pédagogiques à instaurer.

15 h 30 : rendez-vous avec une start-up EdTech

Rendez-vous téléphonique avec une start-up. Depuis son arrivée, Pierre-Paul Cavalié fait travailler plusieurs entreprises, parmi lesquelles bon nombre de sociétés françaises. "Cela apporte un regard extérieur riche et un niveau d'engagement très important", souligne-t-il.

Avec TestWe, il travaille depuis plusieurs mois au déploiement d'une solution d'examens en ligne. Le travail est long, il faut adapter le contenu pédagogique au format, convaincre les enseignants du bien-fondé de l'initiative, tester, analyser les résultats... Aujourd'hui, une dizaine d'examens ont d'ores et déjà été proposés sous forme de questionnaires.

"Si j'avais attendu un retour enthousiaste sur tous les projets, bon nombre seraient encore dans les cartons, affirme Pierre-Paul Cavalié. Mon métier est constitué pour trois quart d'une grande capacité d'agilité et pour un quart de doigté. L'école a beaucoup grossi au cours des dernières années et le personnel n'a pas été formé, accompagné dans ces transformations. C'est aussi mon rôle de conduire ce changement."

19 heures : fin de la journée du chief digital officer

La nuit est tombée depuis un bon moment sur le campus rennais de l'école de management et Pierre-Paul Cavalié termine sa journée. Arrivé il y a un peu plus de douze mois, ce dernier évoque sans complexe la disparition de son poste, intimement liée à la réussite de sa mission. "Le chief digital officer accompagne le changement. Il est donc tout à fait logique que d'ici deux à cinq ans, la fonction même disparaisse." 

Olivier Aptel est moins affirmatif. " Certes, dans deux ans, nous aurons installé de nombreuses initiatives et la fonction sera entrée dans les mœurs, concède le directeur général. Mais d'autres questions se poseront, cela ne fait aucun doute. Et avec elles, naîtra le besoin d'y répondre..."

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Le 27 janvier 2017, dans le cadre de la prochaine conférence EducPros, ils viennent partager ce que cette immersion a changé pour eux, leurs équipes, ce qu'ils ont pu accélérer, développer et mettre en œuvre concrètement dans leurs établissements.

Céline Authemayou | Publié le