Portrait d'université. La Nouvelle-Calédonie, une fac hors normes

Camille Stromboni Publié le
Portrait d'université. La Nouvelle-Calédonie, une fac hors normes
De la licence au master, en passant par le doctorat et les laboratoires de recherche, l'université de Nouvelle-Calédonie joue à fond la carte calédonienne. // ©  Camille Stromboni
À 17.000 kilomètres de la métropole, l’université de Nouvelle-Calédonie a porté le processus d’adaptation à son territoire à son extrême : des enseignements d’ouverture en licence aux spécialités de master, en passant par les thématiques de recherche, tout est mis à la saveur calédonienne. Une manière d’assumer sa seconde casquette, le soutien au développement de l’île.

"Nous travaillons au développement du pays." L'objectif sonne comme une évidence dans la bouche des enseignants de l’université de Nouvelle-Calédonie. Dans la collectivité d’outre-mer, les deux casquettes sont clairement assumées, quand la question de distinguer différents types d’université fait régulièrement débat en métropole.

"L’université de Nouvelle-Calédonie a une double mission, rappelle Étienne Cornut, vice-président du conseil d’administration de l’établissement. Celle de toutes les universités françaises, avec les mêmes exigences, et celle inscrite dans l’accord de Nouméa de 1998, qui consiste à répondre aux besoins de formation et de recherche propres à la Nouvelle-Calédonie." Une ligne directrice qui se décline à tous les niveaux de l’offre de formation.

Des licences avec une touche 'Pacifique'

Sur le campus de Nouville à Nouméa, face à la mer, la coloration calédonienne apparaît dès la licence, qui regroupe les deux tiers des 3.000 étudiants de la fac. Avec des enseignements d’ouverture spécifiques. En droit par exemple, ce sont des cours sur l’histoire des outre-mer, les institutions de Nouvelle-Calédonie ou encore la géopolitique du Pacifique que découvrent les étudiants calédoniens. "Seules quelques licences ne sont pas contextualisées, comme les maths, car cela n’aurait pas d’intérêt", précise Étienne Cornut.

"Quand nous avons des choix à faire dans les maquettes, nous arbitrons en fonction des besoins locaux", ajoute sa consœur juriste, Carine David. Tandis que les discussions ou les sujets d’exercice permettent eux aussi de traiter ces sujets qui touchent plus directement les étudiants. "Nos débats sur les libertés fondamentales, par exemple, dérivent toujours sur les questions de l’emploi local ou du corps électoral [un sujet sensible en Nouvelle-Calédonie, à la veille du potentiel référendum sur l’autodétermination prévu d’ici à 2018]", pointe la maître de conférences en droit public.

"Mais notre licence respecte avant tout le niveau des exigences nationales, souligne-t-elle. Les taux de réussite en master de nos étudiants en métropole le prouvent bien : environ 80 % l’obtiennent en deux ans."

Université de Nouvelle-Calédonie Campus Nouville mai 2016

Des formations pour répondre aux besoins du territoire

L’ouverture de nouvelles formations suit elle aussi cette logique. Un IUT a été créé en 2015, conformément aux souhaits des signataires du comité des accords de Nouméa exprimés deux ans plus tôt. "Nous avons une vraie demande du territoire pour des cadres intermédiaires de niveau bac+2/3, avec cette particularité d’avoir 90 % de TPE (très petites entreprises)", déclare Catherine Ris, directrice de l’IUT.

La licence en langues océaniennes correspond elle directement aux exigences de l’accord de Nouméa, qui posait la nécessité d’avoir des formations sur la langue et la culture kanak.

La Paces (première année d’études de santé), lancée en 2002 en partenariat avec l’UPMC (université Pierre-et-Marie-Curie), et le projet de CUPGE (cycle universitaire préparatoire aux grandes écoles) pour 2017 répondent aussi au manque de main-d’œuvre de l’île dans le domaine médical et chez les ingénieurs.

La carte 100 % calédonienne pour les masters

C’est un autre manque qui a été comblé il y a à peine deux ans : l’université a rétabli un deuxième cycle, absent depuis plus de dix ans entre la licence et le doctorat, en créant quatre masters : un par département (droit, science pour l’environnement, arts, lettres et civilisation, Meef).

"Nous avions deux possibilités, indique Étienne Cornut. Ouvrir des masters très généraux, n’ayant pas assez de spécialistes dans un domaine précis. Avec le risque d’avoir une offre bien moins intéressante et 'cotée' qu’en métropole. Ou bien créer des masters 'locaux'. C’est cette dernière alternative que nous avons choisie. Cela donne une vraie plus-value à nos diplômés et nous permet de former une élite calédonienne qui maîtrise les connaissances du territoire."

"Au fil des transfert de compétences à la Nouvelle-Calédonie s’est constitué un véritable droit local, très technique, illustre Carine David, directrice du master en droit calédonien, qui compte une quarantaine d’étudiants en M1, 25 en M2, en formation initiale et continue. Nos étudiants revenaient de métropole après un master sans être opérationnels."

Université de Nouvelle-Calédonie Campus Nouville mai 2016

Une recherche difficilement reconnue au niveau national

Quant au dernier maillon de la chaîne, la recherche, le virage calédonien a été pris il y a une dizaine d’années. "Tout le monde travaille sur des problématiques qui ne peuvent se poser qu’ici", décrit Yves Letourneur, biologiste et directeur de l’école doctorale. Y compris les enseignants-chercheurs en délégation, qui viennent pour deux à quatre ans, et représentent environ 10 % de l’effectif.

Pour le responsable du Labex Corail, qui porte sur les récifs coralliens face au changement climatique, cela n’est absolument pas incompatible avec la valorisation de ses recherches. "Nous décrochons aussi des financements de l'ANR, souligne-t-il. À notre échelle, bien sûr."

Le chercheur en biologie marine reconnaît néanmoins qu’en termes d’image, cela peut être parfois dévalué. "Pour certains en métropole, les chercheurs d’outre-mer sont 'à la plage'", résume-t-il.

"Au niveau national, ça pose problème", confirme Carine David. La maître de conférences en droit public vient de se faire recaler par le CNU (Conseil national des universités) pour devenir professeur. "Pour l’un des deux rapporteurs, faire des recherches 'locales', cela n’était pas possible. Alors que le droit calédonien n’a rien à envier à d’autres en termes de technicité. C’était déjà difficile pour ma qualification d’enseignant-chercheur, j’ai dû aller en appel. Mais tant pis, je travaille sur un champ expérimental incroyable et je fais ce que j’aime", raconte l’universitaire, qui mène ses recherches sur les évolutions institutionnelles en Nouvelle-Calédonie.

Elle conseille tout de même à ses doctorants voulant épouser une carrière à l’université de plancher sur des sujets de thèse théoriques et nationaux. "Pour que cela soit plus simple pour eux", avoue-t-elle.

L’originalité : un atout pour publier

"En termes de publication en revanche, c’est payant, souligne la juriste. Car c’est original et technique."

"Il y a toujours un a priori sur les recherches locales et appliquées, confirme Samuel Gorohouna, 34 ans, maître de conférences en sciences économiques. Mais l’aspect original est un vrai atout : nous avons la particularité, en Nouvelle-Calédonie, de pouvoir effectuer des recensements ethniques, ce qui apporte des données très intéressantes. Et cela n’empêche pas de développer des méthodes et outils très théoriques, au service de cette recherche appliquée."

Quand on fait de la recherche en Nouvelle-Calédonie, on est lu !
(C. Ris)

Ce travail sur des thématiques touchant directement le territoire engendre un lien particulier entre les chercheurs et les acteurs locaux. "Quand on fait de la recherche en Nouvelle-Calédonie, on est lu ! sourit Catherine Ris, maître de conférences en sciences économiques et directrice du Larje (Laboratoire de recherches juridique et économique). Nous sommes consultés. L’utilité sociale de notre travail est évidente, nous participons à la construction du pays."

Illustration avec le prochain colloque organisé par son labo : il portera sur la question de l’indépendance potentielle de l’université – l’enseignement supérieur fait en effet partie des compétences qui pourraient être transférées à la Nouvelle-Calédonie dans l’année qui vient. Le débat promet d'être au rendez-vous.

L'université de Nouvelle-Calédonie en chiffres
– 3.083 étudiants (2.000 en licence, 188 en master [dont 115 en Meef], 47 en doctorat et 848 dans d'autres cursus [DUT, DAEU...]).
– 23 % d'étudiants boursiers.
– 5 % d'étudiants internationaux.

– 210 enseignants, enseignants-chercheurs, personnels administratifs.
– Budget : 30,2 millions d'euros.
– Site : campus de Nouville.

1987. L’université française du Pacifique est scindée en deux établissements : le centre universitaire de Polynésie française et le centre universitaire de Nouvelle-Calédonie. Ce dernier devient l'université de Nouvelle-Calédonie en 1999, à la suite de la signature de l'accord de Nouméa. L’école doctorale reste commune aux deux établissements.

1998. L'accord de Nouméa – et sa traduction juridique : la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie promulguée en 1999 – prévoit, dans son article 4.1.1., que l’enseignement supérieur et la recherche doivent participer au développement du pays.

2016-2017. La loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit, dans son article 27, la possibilité de transférer certaines compétences de l'État à la collectivité. L'enseignement supérieur fait partie du dernier lot de compétences transférables sur lequel la collectivité doit se prononcer avant 2018, année prévue pour la "consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté".
Camille Stromboni | Publié le