Forces et faiblesses de la loi Fioraso, trois ans plus tard

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
Forces et faiblesses de la loi Fioraso, trois ans plus tard
Benoist Apparu, député LR de la Marne, et Sandrine Doucet, députée PS de Gironde, ont analysé les effets de la loi Fioraso, trois ans après. // ©  Franck Grusiaux et Baptiste Fenouil - REA
Rapporteurs d'une mission d'information sur l'application de la loi Fioraso, les députés Sandrine Doucet (PS, Gironde) et Benoist Apparu (LR, Marne), dressent le bilan de ce texte en matière de réussite étudiante et de gouvernance, dans un rapport publié mercredi 28 septembre 2016. Si leurs analyses divergent sur beaucoup de points, ils s'accordent néanmoins sur le fait que la loi n'a pas encore produit tous ses effets.

Vous êtes tous deux rapporteurs de la mission d'information sur l'application de la loi Fioraso dont le rapport est rendu public aujourd'hui. Quel était le but de cette mission ?

Benoist Apparu : Après toutes les lois importantes, les commissions font un rapport d'évaluation sur l'application de la loi. A-t-elle atteint ses objectifs ? Fonctionne-t-elle ? Ces rapports ne comportent pas de propositions et sont très factuels.


Sandrine Doucet : L'objectif était de comprendre dans quelles conditions la loi est appliquée, pour mieux accompagner les acteurs de terrain.

À l'issue des nombreuses auditions menées, quel bilan faites-vous de la loi Fioraso en matière de réussite en licence ?

Sandrine Doucet : La loi a permis de renforcer la prise de conscience des acteurs quant à l'importance de l'orientation pour la réussite des bacheliers dans le supérieur. La spécialisation progressive, en licence notamment, est une mesure très importante. De même que la mise en place de quotas de bacheliers professionnels et technologiques en STS et en IUT. Ces mesures permettent de sortir d'une approche purement comptable de la démocratisation de l'enseignement supérieur pour réfléchir aux conditions de cette démocratisation.

À cet égard, le succès de la loi peut se mesurer à l'attractivité des universités : au cours des trois dernières années, elles ont attiré toujours plus d'étudiants.

Le succès de la loi peut se mesurer à l'attractivité des universités : au cours des trois dernières années, elles ont attiré toujours plus d'étudiants. (S. Doucet)

Benoist Apparu : En matière de réussite des étudiants, la mise en place des quotas de bacheliers professionnels en STS et de bacheliers technologiques en IUT fait effectivement partie des "bonnes mesures" de la loi.

Mais cela ne règle pas le problème plus général des universités, confrontées à une démocratisation de l'enseignement supérieur sans pour autant avoir les moyens d'augmenter le nombre de places dans les mêmes proportions. Il y a donc un problème d'orientation et, très clairement, APB ne répond pas aux contraintes actuelles.

Face à cet afflux massif d'étudiants, on peut soit décider d'instaurer une sélection à l'entrée de l'université – ce qui reviendrait à limiter l'accès à l'enseignement supérieur —, soit développer une orientation prescriptive, c'est-à-dire placer les jeunes dans les filières qui leur correspondent. C'est vers cette voie qu'il faut se diriger.

La loi Fioraso ne s'est pas emparée non plus de la question de la sélection en master : il faut permettre aux universités de sélectionner dès l'entrée en M1 et cela va de pair avec de vraies sorties professionnelles à bac + 3. La France a besoin de cadres intermédiaires.

Quelle évaluation faites-vous de l'impact de la loi Fioraso sur la gouvernance des établissements d'enseignement supérieur  ?

Benoist Apparu : En matière de gouvernance, la loi Fioraso apparaît clairement comme une loi de plus qui ne sert pas à grand-chose. Les Comue (Communauté d'universités et d'établissements supérieurs), qui ont remplacé les Pres (Pôles de recherche et d'enseignement supérieur) ne sont pas révolutionnaires. Au cours des auditions, plusieurs acteurs ont estimé qu'il aurait été souhaitable de garder les Pres. Cela aurait évité deux ans de paperasse. Chaque réforme entraîne un temps administratif très long pendant lequel les personnels ne peuvent pas s'impliquer sur leur cœur de métier.

La loi Fioraso n'a pas non plus réussi à faire l'acte II de l'autonomie : les universités gèrent leurs masses salariales mais celles-ci sont très encadrées au niveau réglementaire. Elles n'ont pas non plus la liberté de recruter qui elles veulent comme elles le veulent. Il ne faut pas avoir peur de donner des responsabilités aux acteurs de terrain.

En matière de gouvernance, la loi Fioraso apparaît clairement comme une loi de plus qui ne sert pas à grand-chose. (B. Apparu)

Sandrine Doucet : En matière de gouvernance, la loi Fioraso, c'est à la fois l'autonomie et le territoire. Les Comue sont directement liées aux bassins de vie. Elles doivent être à la fois des lieux de rayonnement international et des lieux d'aménagement du territoire.

Plusieurs personnes auditionnées ont cité l'exemple des grandes universités américaines du type Harvard ou Princeton qui ne comptent que 10.000 à 20.000 étudiants tout en ayant une recherche d'excellence. Sauf que ces universités sont hors-sol. En France, on a une vision territoriale de l'enseignement supérieur. Les auditions ont d'ailleurs permis de constater que les acteurs vivent la création des regroupements de manière radicalement différente selon le contexte local.

Plusieurs acteurs ont également insisté sur l'existence de doublons entre les structures des Comue et les structures universitaires. Cela étant dit, la Comue apporte vraiment un plus par rapport au Pres (Pôle de recherche et d'enseignement supérieur), en obligeant les établissements d'enseignement supérieurs à développer un projet stratégique au niveau du site, que ce soit en matière de formation ou de recherche... Elle est aussi un palier de réflexion pour les établissements qui songent à fusionner.

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le