Benoît de Saint Sernin, directeur général de l'EEIE : « Mon principal critère pour sélectionner mes élèves ? Savoir si j’ai envie de travailler avec eux »

Propos recueillis par Céline Manceau Publié le
Benoît de Saint Sernin, directeur général de l'EEIE : « Mon principal critère pour sélectionner mes élèves ? Savoir si j’ai envie de travailler avec eux »
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Ancien dircom chez Disneyland Paris, Benoît de Saint Sernin est le fondateur de l'EEIE (École européenne d'intelligence économique). Créé en 2006, son établissement est venu concurrencer une école similaire lancée par le même homme à la fin de ses études : l'École de guerre économique. Aujourd'hui, l'EEIE compte une vingtaine d'étudiants qui préparent un troisième cycle. À partir de la rentrée 2010, elle proposera un nouveau cursus en partenariat avec l'UVSQ. Nouveau volet de notre série "Les entrepreneurs pédagogiques".

Après vos études à l'ESLSCA , vous êtes devenu salarié de l'école. Pour quelles raisons ?
Juste après avoir obtenu mon diplôme, j'ai écrit au directeur de l'école, Alain Joseph, pour lui faire part des manques dans la formation que j'avais reçue, notamment dans le domaine de l'informatique ou des langues. Il m'a pris au mot et m'a embauché pour mettre en œuvre ce que je proposais. D'une seconde à l'autre, je suis passé du statut d'étudiant à celui de salarié. Quelques mois plus tard, c'est au cours d'un déjeuner avec le général Pichot-Duclos, un ami de mon père, qu'est née l'idée de créer une formation dans le domaine de l'intelligence économique. J'en ai parlé à Alain Joseph, qui m'a donné son feu vert pour ouvrir un troisième cycle qui deviendra l'École de guerre économique .

Comment crée-t-on de toutes pièces un troisième cycle à 28 ans ?
Mon travail a surtout consisté à faire comprendre aux théoriciens de l'intelligence économique, essentiellement des militaires, comment traduire les connaissances en compétences. Mon objectif était de donner aux élèves un métier plus qu'une culture générale. J'ai aussi monté le processus de sélection des candidats, sur dossier, puis entretiens. Au final, la première promotion comptait 30 élèves, dont deux étaient issus de l'ESLSCA.

Pourquoi avez-vous quitté l'ESLSCA ?
Avec Christian Harbulot, un collaborateur du général Pichot-Duclos, nous étions deux à la tête d'un programme de troisième cycle. Il y en avait un de trop. J'ai alors accepté de quitter mon CDI pour lui céder la place. J'avais, à l'époque, trois enfants, et quand je me suis retrouvé au chômage et que j'ai voulu toucher mes allocations, je suis rendu compte que l'école m'avait déclaré comme simple employé de bureau ! Je suis allé au tribunal, avec la plaquette de l'ESLSCA, sur laquelle on lisait que l'école formait « des cadres à haut potentiel ». Avec cet argument et mon salaire de 21.000 francs mensuels, je n'ai eu aucun mal à obtenir l'indemnisation à laquelle j'avais droit.

Vous avez ensuite cumulé plusieurs emplois dans la presse et la communication...
J'ai travaillé à KTO TV comme animateur journaliste, puis pour l'agence de communication Angie en tant que directeur du département webcasting à l'époque des balbutiements du Web. Ensuite, j'ai été chassé par deux fois. La première fois, j'ai intégré ING Bank comme directeur du marketing et de la communication du groupe et, la seconde, je suis entré chez Disney en qualité de directeur des alliances marketing. Quand le président du parc est parti, en 2005, j'ai été licencié. Une situation classique, même si j'étais triste de partir.

Comment prenez-vous la décision de fonder une nouvelle école ?
Quand j'étais directeur de la communication, je recevais beaucoup de candidats qui connaissaient par cœur les théories macroéconomiques. Mais aucun d'entre eux n'était capable de m'expliquer concrètement ce qu'il savait faire. Je ne trouvais pas de jeunes formés pour occuper des postes de renseignements dans la communication. D'où mon envie de créer une école qui serait professionnalisante et qui fonctionnerait comme une entreprise avec des professeurs, consultants dans le privé. Je me suis inspiré de mon parcours professionnel, mais aussi de mes études pour mettre en place ce que j'avais aimé et ce qui m'avait manqué.

Ce sont vos indemnités de départ de chez Disneyland qui ont financé l'EEIE ?
Oui, principalement. J'ai investi 100.000 €, essentiellement pour restaurer les anciens locaux de l'office du tourisme de Versailles, situés dans l'aile droite du château. J'ai acheté aussi du mobilier de bureau. J'ai mis pratiquement un an à définir le concept de mon école, avec l'aide de mon actuel directeur associé, Frédéric Leclerc. Nous nous sommes connus à l'ESLSCA et, par la suite, il a travaillé pour moi en free-lance. Notre tandem est complémentaire. Chaque fois que j'avais une bonne idée, je devais le convaincre. Lui prouver que tel cours était très important. Plusieurs fois, il m'a montré que j'avais tort ! Ensuite, j'ai recruté les consultants, puis mes onze premiers élèves pour la rentrée 2006 (après en avoir reçu cinq fois plus en entretien). Cette année, ils sont 19 et mon principal critère pour les sélectionner est de savoir si j'ai envie de travailler avec eux.

Comment votre école fonctionne-t-elle aujourd'hui ?
Les frais de scolarité s'élèvent à 9.700 € par an, auxquels il faut enlever 1.200 € d'indemnités reversées par l'école à chaque élève qu'elle prend en stage pendant quatre mois, de février à mai. Les étudiants travaillent alors, en toute discrétion car c'est la base de leur futur métier, sur des missions pour lesquelles les entreprises rémunèrent l'école, les frais de scolarité ne représentant qu'un tiers des revenus. Les analyses sont ensuite corrigées par nos profs (au nombre d'une quarantaine) avant d'être présentées par l'étudiant devant le client. Au mois de février, les étudiants passent aussi un partiel dont le sujet est une problématique non résolue fournie par une entreprise. Celle-ci assure la notation sur un simple critère : au-delà de 10 uniquement si la copie apporte une plus-value.

En fin de parcours, les étudiants obtiennent un DIEA (diplôme d'intelligence économique appliquée) délivré par l'EEIE et un MBA de stratégie des affaires et intelligence européenne décerné par le groupe ISC Paris . Ensuite, ils sont pris en charge par un chasseur de têtes jusqu'à ce qu'ils trouvent un poste dans des cabinets-conseils ou des collectivités territoriales.

Comment l'École de guerre économique a-t-elle réagi à cette concurrence ?
Mon nom a disparu de la rubrique historique de l'école. Et certains profs ou futurs étudiants subissent des pressions. J'ai été très affecté au moment où je suis parti de l'ESLSCA, mais aujourd'hui, j'ai des projets pour développer mon école. Je viens d'obtenir l'accord d'Olivier Buquen, que j'ai rencontré quelques jours avant qu'il soit nommé délégué interministériel à l'Intelligence économique , pour parrainer la quatrième promotion de l'école.

À la rentrée 2010, en partenariat avec l'université de Versailles-Saint-Quentin , je crée un nouveau cursus en développement durable et intelligence économique qui débouchera sur la délivrance d'un master. J'aimerais par ailleurs que l'école déploie ses ailes à l'étranger. En Inde et en Europe. À terme, les étudiants devraient pouvoir passer une année à l'étranger et une année en France.

Quels sont vos projets personnels ?
J'aimerais bien, d'ici deux à trois ans, intégrer un grand groupe, dans un secteur que je ne connais pas, pour m'occuper de l'information et de la communication. L'avenir, dans ce domaine, c'est la fusion des directions de la communication et de l'intelligence économique en un seul poste. Si je devais rester dans l'éducation, il me plairait de diriger une école de commerce, à Toulouse, dans ma région d'origine.

Envisagez-vous de revendre votre école ?
Non. Je la garderai toujours pour conserver une certaine liberté si j'occupe un autre poste. Je ne sais pas si mes enfants en voudront et peu importe. Ce qui me plaît, c'est d'avoir pu développer mes idées sur le plan pédagogique et d'avoir fait un métier de l'intelligence économique. Et puis, après avoir travaillé avec deux assistantes chez Disney, je m'occupe de l'école uniquement avec Frédéric. Je suis reparti en bas de l'échelle et j'apprécie, chaque jour, ce chemin d'humilité qu'est la gestion au quotidien d'une entreprise.

Propos recueillis par Céline Manceau | Publié le