Bertrand Monthubert (président de Sauvons la recherche) : "Il y a un vrai risque qu'une partie des sciences humaines et sociales soit évincée du CNRS"

Propos recueillis par Frédérique Letourneux Publié le
Bertrand Monthubert (président de Sauvons la recherche) : "Il y a un vrai risque qu'une partie des sciences humaines et sociales soit évincée du CNRS"
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La communauté scientifique est de nouveau très mobilisée, notamment sur la défense des Sciences humaines et sociales (SHS) après le blocage du conseil d'administration le 19 juin 2008. Retour avec Bertrand Monthubert, président de SLR (Sauvons la recherche) sur les mobilisations passées, en cours et à venir.

Vous avez été particulièrement mobilisés ces dernières semaines autour de la question de la défense des SHS (Sciences humaines et sociales). Dans quelle mesure sont-elles menacées ?  

D'abord, quand on parle des SHS en général, on mélange des disciplines aussi différentes que l'économie ou l'histoire médiévale, qui ne sont pas du tout confrontées aux mêmes difficultés. Mais d'une manière générale, les SHS sont historiquement sous financées. Il est courant qu'un laboratoire d'une cinquantaine de personnes soit obligé de fonctionner avec un budget annuel total de 15 000 €. Parallèlement, la tendance depuis plusieurs années, est à la valorisation de la pluridisciplinarité, les sciences de l'homme étant convoquées au même titre que les sciences dures autour de sujets de société, comme l'environnement, par exemple. Résultat, c'est toujours une toute petite partie des SHS qui est mobilisée et qui récolte les crédits. Or, nous savons bien que que dans la science, les résultats se bâtissent petit à petit et qu'il faut donc financer largement en amont.  

C'est donc avant tout une question budgétaire ?

Ce que nous constatons c'est que le financement par projets autour de thématiques prioritaires piloté par l'ANR (Agence nationale de la recherche) se fait aujourd'hui au détriment des crédits de base. Ce nouveau mode de pilotage, directement actionné par le gouvernement, touche de plein fouet les SHS qui sont vues comme les premières disciplines jugées inutiles. Mais c'est finalement ce qui arrive plus généralement à toutes les thématiques non prioritaires. C'est ce que nous pourrions appeler « l'effet ANR » : certaines équipes remportent de gros projets et obtiennent des sommes colossales pour fonctionner pendant que d'autres se partagent les miettes. Avant, c'était la culture du pauvre partout.... Maintenant, c'est toujours essentiellement la culture du pauvre mais la nouveauté, c'est que les écarts se creusent entre les pauvres et les quelques riches.   

Dans ce contexte, comment appréciez-vous la réorganisation tant annoncée du CNRS en instituts ? 

Celle-ci s'inscrit dans un processus visant à priver le CNRS de la capacité à couvrir tous les champs du savoir, et à élaborer une politique scientifique globale. Il y a un vrai risque qu'une partie des SHS soit évincée du CNRS, et que les sciences de la vie soient « englouties » par l'INSERM et l'informatique par l'Inria (*). Reste à savoir également comment seront gérés les personnels et les budgets. Les déclarations de Valérie Pécresse affirmant que les budgets des instituts seraient votés par le parlement signifient qu'il ne sera plus possible d'établir une politique scientifique, puisque les budgets auront été prédéterminés.  

Sur la question des UMR (unités mixtes de recherche), les conclusions du rapport d'Aubert vous satisfont-elles ?

Le premier constat c'est que nous avons réussi par notre mobilisation à gagner le maintien d'une double tutelle sur les UMR, avec un pilotage national au niveau des organismes de recherche et local au niveau des universités. Mais beaucoup de choses restent très floues, notamment la question du mandat unique de gestion. Il est bien sûr possible de le voir d'un point de vue pragmatique et penser qu'il est plus simple d'avoir une seule tutelle gestionnaire [Ndlr, qui devrait être l'université dans la très grande majorité des cas]. Mais si la logique budgétaire de la LOLF est poussée jusqu'au bout, la tutelle devrait avoir à rendre des comptes sur l'ensemble des budgets engagés, personnels compris. Dans cette perspective, le risque est grand que l'on bascule lentement vers une gestion des chercheurs par l'université. Or, cela entraînera nécessairement une remise en cause du statut même de chercheur qui est pour l'instant très différent de celui d'enseignant-chercheur. Et il est certain que si des évolutions sont possibles, nous ne devons pas perdre nos atouts. Le statut de chercheur est un des facteurs d'attractivité de la France, comme le montre le taux d'étrangers recrutés au CNRS : entre 20 et 25% chaque année.  

(*) D'après le « Point d'étape de la politique du CNRS sur les instituts nationaux du CNRS », qui a été présenté par la direction du CNRS au conseil scientifique du 9-10 juin 2008, le CNRS comprendrait 6 instituts. Mais pour les SHS, il est recommandé un « travail supplémentaire de structuration du champ » avant d'envisager la transformation du département en institut lors de l'établissement du contrat pluriannuel d'objectifs du CNRS (prévu pour décembre 2008).

Propos recueillis par Frédérique Letourneux | Publié le