Bertrand Monthubert (SLR) : "Le gouvernement n’a pas maîtrisé l’impact de la réforme du crédit impôt recherche (CIR)"

Propos recueillis par Frédérique Letourneux Publié le
Bertrand Monthubert (SLR) : "Le gouvernement n’a pas maîtrisé l’impact de la réforme du crédit impôt recherche (CIR)"
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En discussion au Sénat à partir du 20 novembre 2008, le budget 2009 sera examiné sur l'enseignement supérieur et la recherche en particulier le 28 novembre. Si le gouvernement Fillon a fait de ce poste budgétaire une « priorité absolue », Bertrand Monthubert, président de Sauvons la recherche (SLR), déclare ne pas en être convaincu.

Comment réagissez-vous au projet de budget 2009 ?

Cette promesse de 1,8 milliard est en grande partie fictive... D’autant plus qu’elle s’accompagne d’une suppression de 900 postes dans l’emploi scientifique. Sur les 863 millions supplémentaires consacrés en 2009 à la recherche, il faut compter 620 millions d’euros de crédit impôt recherche (CIR) (*), ce qui est considérable. En fait, le gouvernement n’a pas maîtrisé l’impact de la réforme de ce crédit. Il y a donc un véritable effet d’aubaine pour les entreprises. Mais avec un impact sur la recherche qui reste encore à démontrer. Il faudrait au moins mettre des garde-fous à l’attribution de ce crédit, comme l’embauche par l’entreprise bénéficiaire de doctorants et de chercheurs. Or aujourd’hui, sur l’ensemble des personnels dits de recherche au sein des entreprises, seuls 13 % ont fait une thèse.

Valérie Pécresse défend le CIR comme étant le meilleur outil contre les délocalisations des centres de recherche et comme un élément d'attractivité des laboratoires privés de grandes entreprises étrangères. Qu'en pensez-vous ?

Existe-t-il une étude économique sérieuse le démontrant ? Pas à ma connaissance, cet argument ne me semble donc pas tenir. Ce qui est susceptible d'attirer les laboratoires étrangers, ce n'est pas quelques rabais fiscaux, c'est avant tout la qualité de la formation de leurs futurs employés, et la proximité avec des laboratoires de recherche publique de haut niveau. Or la France, malgré un financement de la recherche académique (par rapport au PIB) qui nous place à la 18ème place mondiale, se situe au 5ème rang en termes de publications. Par ailleurs, entre 2002 et 2006 les aides de l'Etat au privé se sont accrues de 1636 millions (en euro constant) tandis que, une fois ces aides touchées, les dépenses des entreprises n'ont progressé que de 458 millions : cela montre l'inefficacité du CIR, une inefficacité encore accrue depuis sa réforme l'an dernier, puisqu'auparavant l'essentiel du CIR était attribué lorsque l'entreprise augmentait ses dépense de recherche, ce qui n'est plus le cas...

Dans ce budget, 57 % des moyens nouveaux sont dédiés à la recherche privée et 43 % à la recherche publique, ce qui correspond à la volonté de Valérie Pécresse de parvenir à un meilleur « équilibre ».

C’est bien que la recherche privée soit aidée, car elle reste le maillon faible en France. Il faut d’ailleurs surtout soutenir les PME et les startup. Mais, pour inciter les entreprises privées, il ne suffit pas uniquement de leur fournir de l’argent à coup de crédit d'impôt recherche, car, à force, elles considèrent comme tout à fait naturel que la recherche privée soit financée en partie par l’État. On constate déjà un écart considérable entre le financement de la recherche et son exécution. Au total, le privé ne finance que 50 % de la recherche française, mais en exécute 65 %. L’écart de 15 points est donc supporté par l’État. Il est urgent de trouver d'autres formes d'aides au privé, qui soient mieux équilibrées au profit des PME, et qui développe l'emploi des docteurs dans le secteur privé, ce qui est une clé essentielle de leur dynamisme en matière d'innovation. En face, avec les effets d’inflation, le budget de la recherche publique stagne. Et plus globalement, on observe une baisse des crédits de base au profit des financements sur appels à projet qui sous-tendent une vision à court terme de la recherche. Nous en voyons déjà les conséquences avec une explosion des embauches en CDD dans les laboratoires.

Une évolution du statut des enseignants-chercheurs a été annoncée le 20 octobre 2008 par la ministre. Les jeunes seront davantage rémunérés et des allègements de charge d’enseignement interviendront à certains moments de la carrière. Des annonces qui rejoignent vos revendications.

Il y a un point positif : la meilleure prise en compte de l'ancienneté lors du recrutement, ce que nous demandions, avec d'autres, depuis longtemps. Mais pour le reste, il y a surtout des effets d'annonces. On nous parle de primes allant jusqu'à 15 000 euros, mais personne n'imagine sur quels critères donner, par exemple une prime pédagogique aussi importante à quelqu'un ! La ministre annonce aussi la création de chaires universitaires financées par les organismes de recherche, mais nous avons découvert que cela conduit à supprimer 130 recrutements dans les organismes, portant les suppressions d'emplois à plus de 1 000.

Comment voyez-vous la mise en place de la modulation des services d'enseignement ?

La modulation des services d'enseignement se traduira par une augmentation du service d'enseignement pour de très nombreux collègues, au risque de les écarter définitivement de la recherche, ce qui sera préjudiciable aussi bien pour les laboratoires que pour la qualité de la formation. Aujourd’hui, il est question de gérer l'amélioration de l'encadrement en premier cycle à coups d’heures supplémentaires, au détriment de l'activité de recherche. Par ailleurs, pour qu’il y ait une vraie modulation de services, il faut nécessairement des créations de postes. Faute de quoi cette réforme ne fera qu’envenimer la concurrence entre collègues d’un même département. L’autre vrai danger est une augmentation des postes de contractuels. Or, le statut de fonctionnaire de l’enseignant-chercheur est fondamental car son activité scientifique et de formation ne doit pas souffrir de conflits d’intérêts. Les contractuels sont dans un rapport de dépendance beaucoup plus fort. On nous répond que c’est un moyen d’introduire un peu de souplesse dans le système... La véritable souplesse serait par exemple d’envisager des carrières accélérées avec un passage d’échelon plus rapide. Enfin, l'essentiel du dispositif repose sur des mesures décidées localement, comme l'attribution des primes ou une grande partie de l'évaluation. Cela peut conduire à d'énormes dérives, à des alliances tactiques, et des conflits internes renforcés. Alors que nous avons besoin d'équipes pédagogiques soudées, de laboratoires de recherche dynamiques, nous allons avoir une balkanisation des départements universitaires.

(*) Le CIR permet aux entreprises de déduire de l’impôt sur les sociétés les montants des dépenses de recherche investies dans le développement de nouveaux produits et de procédés industriels à contenu technologique.

Propos recueillis par Frédérique Letourneux | Publié le