Betsy Corcoran : "Les investisseurs privilégient les start-up EdTech qui ont un modèle de revenus clair"

Jessica Gourdon Publié le
Betsy Corcoran : "Les investisseurs privilégient les start-up EdTech qui ont un modèle de revenus clair"
Créé en 2011, EdSurge peut compter, entre autres, sur des levées de fonds pour se développer. // ©  EdSurge
Après cinq ans de croissance, le secteur des EdTech se stabilise aux États-Unis. Si de nombreuses start-up ont levé des sommes conséquentes, cette époque touche à sa fin. Betsy Corcoran, fondatrice d’EdSurge, magazine spécialisé dans les EdTech basé dans la Silicon Valley, livre ses observations en amont de la Learning Expedition EducPros.

Betsy CorcoranAprès une année 2015 record en termes d'investissements dans les EdTech, le marché se calme, aussi bien en nombre de "deals" que de montants investis. Est-ce un bon ou un mauvais signe pour le secteur ?

Du point de vue des étudiants et des établissements, c'est une bonne chose car cela va consolider le secteur, rendre les start-up qui résistent plus fortes, et leurs produits et services plus durables.

Ce qui est sûr, c'est que ce ralentissement des investissements ne concerne pas que les EdTech, mais toute la sphère technologique. Les investisseurs sont plus inquiets, ils demandent aux start-up de générer des revenus, d'être rentables.

C'est une barre très haute à franchir pour nombre de ces entreprises, en particulier les plates-formes de Mooc, ou celles qui se sont construites sur un modèle freemium [avec certains services gratuits et d'autres payants]. La pression est d'autant plus forte pour celles qui ont levé beaucoup d'argent.

Quelles sont les start-up qui suscitent aujourd'hui le plus d'intérêt chez les investisseurs américains ?

Celles qui ont un modèle de revenus clair, comme celles qui vendent des logiciels de gestion aux établissements pour les aider dans leurs opérations courantes ou leur management.

Les investisseurs continuent aussi de soutenir tout ce qui concerne le "digital curriculum" [logiciels ou contenus permettant l'enseignement numérique]. Mais la situation est plus contrastée car beaucoup de ces entreprises se sont construites sur un modèle freemium et sont peu rentables. Toutefois, certaines s'en sortent bien. Je pense à Newsela [start-up qui propose des contenus éducatifs à destination des enseignants ou des parents, et qui a levé 15 millions de dollars fin 2015], qui a vraiment réussi à transformer son business model et à faire payer ses clients.

Les start-up qui visent le marché de la formation en entreprise constituent aussi un secteur solide.

L'un des défis de l'enseignement supérieur américain est de combler l'écart entre les compétences développées à l'université, d'une part, et les besoins des recruteurs, d'autre part. Y a-t-il des nouveautés intéressantes sur ce front ?

C'est un domaine de réflexion majeur, et qui touche au développement de ce qu'on appelle la "competency based education" [pédagogie fondée sur l'expérience, l'individualisation et l'acquisition de compétences], un mouvement de plus en plus important aux États-Unis. De nombreux établissements dispensant des diplômes on line s'en réclament.

Dans cette même optique, les bootcamps [stages de formation accélérée, accès sur la maîtrise d'une compétence] se multiplient, et sont reconnus – notamment par le gouvernement, qui les prend en compte dans sa politique de bourses.

Les plates-formes de Mooc développent des contenus créés avec des entreprises, afin de permettre l'acquisition de notions précises. On voit aussi que les établissements sont de plus en plus nombreux à se doter de makerspaces, même dans les community colleges. L'une de leurs utilités est de prouver l'efficacité d'un enseignement, de permettre aux étudiants de tester et démontrer l'acquisition de certaines compétences.

Comment analysez-vous l'évolution des plates-formes de Mooc ?

L'idée originelle des Mooc, universitaires, diffusant un savoir gratuit pour tous partout dans le monde, semble peu tenable sur le long terme – même s'il sera sans doute toujours possible de trouver des cours en ligne gratuits. Le problème, c'est qu'il n'y a pas de business model derrière ! Les plates-formes sont toutes en train d'évoluer.

Pour l'instant, le domaine où il semble y avoir le plus de rentabilité, c'est l'interface avec les entreprises, la création de Mooc adaptés à leurs besoins, comme le fait Udacity avec ses nanodegrees par exemple.

L'idée originelle des Mooc – universitaires, diffusant un savoir gratuit pour tous partout dans le monde – semble peu tenable sur le long terme.

Suivez-vous de près une start-up des EdTech ?

La nôtre ! Mais je suis très partiale ! EdSurge couvre l'actualité des EdTech ; nous organisons aussi des conférences spécialisées, rassemblons des études de cas sur l'utilisation de certaines technologies dans les classes... Nous avons aussi lancé un service pour aider les établissements à trouver les meilleurs outils technologiques pour eux.

Nous mettons à leur disposition notre expertise journalistique, notre investigation et notre impartialité pour les appuyer dans cette recherche. On essaie, dans le secteur des EdTech, d'innover et de trouver un modèle alternatif au financement de la presse.

Learning Expedition San Francisco/Silicon Valley, du 6 au 11 novembre 2016
En plein Election Day et trois ans après son premier voyage, EducPros repart au cœur de la Silicon Valley pour une nouvelle Learning Expedition, organisée en partenariat avec Prime, agence régionale de développement Paris Île-de-France, la Cdefi, la CPU et la Fnege.

Du 6 au 11 novembre 2016, une délégation de professionnels de l'enseignement supérieur partira à la découverte de l'écosystème californien.

Au programme : rencontre avec EdSurge, visite de Stanford (D.school, center for entrepreneurship), de Berkeley (executive education, innovation center), de Google, de la Gates Foundation et d'entreprises EdTech emblématiques.
Jessica Gourdon | Publié le