Bruno Ravaz (centre Fernando Pessoa): "Nous sommes dans la légalité mais le législateur a peur des établissements comme le nôtre"

Céline Authemayou Publié le
Bruno Ravaz (centre Fernando Pessoa): "Nous sommes dans la légalité mais le législateur a peur des établissements comme le nôtre"
Centre universitaire Fernando Pessoa - Site de Toulon (La Garde) // © 
Objet de vives critiques depuis son implantation en France, le centre universitaire Fernando Pessoa s’est invité bien malgré lui au cœur des débats sur la loi ESR. Un amendement, adopté à l’Assemblée nationale fin mai 2013, vise directement les antennes françaises de l’université privée portugaise. Bruno Ravaz, responsable de la structure, avocat et ancien président de l'université de Toulon, dénonce cette mesure qui pourrait le conduire à mettre la clé sous la porte, revendiquant la "liberté de l’enseignement supérieur".

Bruno Ravaz - responsable du centre universitaire Fernando Pessoa -1Le 24 mai 2013, lors de l’examen de la loi ESR à l’Assemblée nationale, Geneviève Fioraso qualifiait d’"arnaque" l’installation d'une antenne de l’université privée Fernando Pessoa en France. Quelle est votre réaction, suite au dépôt d’un amendement vous visant explicitement ?

Puisqu’il est nécessaire de faire des amendements à une loi pour "contrer Pessoa", cela veut tout simplement dire que nous sommes aujourd’hui dans la légalité. Mais le législateur a peur. Peur de voir se développer des établissements comme le nôtre. Dans les textes, la liberté de l’enseignement supérieur existe mais dans le secteur de la santé, l’Etat et l’université publique se sont arrogés une situation de monopole. Et voir ce monopole houspillé les inquiète.

Nous ne sommes pas contre une réglementation. Il paraît normal que les étudiants formés dans des établissements privés – qu’ils soient ou non habilités par l’Etat – puissent être rassurés quant au sérieux de leur formation. Cela ne me choque pas, mais c’est à peu près tout ce qu’il faudrait faire. Rien de plus.

Si la loi ESR est promulguée en l’état, les deux antennes françaises de l’établissement portugais (Toulon et Béziers) seront contraintes de fermer leurs portes. Et ce, alors que le site biterrois ouvre à la rentrée prochaine. Etes-vous inquiets ?

Si la loi prévoit qu’on doit fermer, nous fermerons, que dire de plus ? Ce serait la perte d’une chance pour les étudiants français. On fermerait un établissement qui a recruté, qui est en croissance et qui investit dans des infrastructures… Mais si un agrément doit être obtenu pour poursuivre notre activité, nous avons bien l’intention de le demander.

Certains font mine de ne pas comprendre notre fonctionnement, pourtant la convention pédagogique qui nous lie à l’université privée Fernando Pessoa est consultable sur notre site Internet. L’association UPF (Association université Fernando-Pessoa [émanation française de l'établissement portugais]) ne délivre aucun diplôme et il n’en a jamais été question. En revanche, elle forme des étudiants, pour qu’ils puissent faire l’objet d’une validation des acquis universitaires et rejoindre ensuite Porto pour poursuivre leurs études.

Les étudiants qui s’inscrivent chez vous doivent donc être prêts à rejoindre le Portugal plusieurs mois voire plusieurs années pour poursuivre leurs études. Ce n’est pas anodin…

Tout ceci est indiqué dans notre convention, encore une fois. En sciences humaines, par exemple, les étudiants rejoignent Porto uniquement pour les examens – qui peuvent être passés en français – et pour leur soutenance de mémoire. Quant aux formations de santé, les jeunes sont formés au Portugal dans un établissement à l’infrastructure moderne, avec un hôpital-école mis à leur disposition. Et je peux vous dire que nous croulons sous les candidatures…

L’argument du coût de la formation est spécieux car les familles préfèrent payer deux années d’études chez nous que de financer une installation en Roumanie pour leurs enfants.

Malgré des coûts de scolarité très élevés (de 7.000 € à 9.500 € l’année) ?

Vous croyez que les études en école de commerce ou en écoles d’ingénieurs privées sont gratuites ? Aux Etats-Unis, les frais sont trois fois plus importants. Certains parents nous demandent même comment nous pouvons tenir avec des tarifs si bas. Il faut savoir que notre budget de fonctionnement (environ 3 millions d’euros) est financé par ces frais de scolarité. Non, l’argument du coût de la formation est spécieux car les familles préfèrent payer deux années d’études chez nous que de financer une installation en Roumanie pour leurs enfants.

Vous êtes accusé de profiter du désarroi des étudiants ayant échoué en formation de médecine. Entendez-vous cet argument ?

Mais c’est un argument pantois ! En France, des étudiants brillants échouent car la voie publique ne leur propose pas assez de places. Les jeunes sont face à un avenir bouché alors que le pays manque de professionnels. Le nombre de médecins et de dentistes venus de l’étranger est incroyablement élevé. Nous voulons seulement donner une chance à des jeunes motivés.

Vous disposez aujourd'hui de deux antennes en France (la Garde à Toulon et Béziers). Comptez-vous développer de nouvelles implantations ?

Non, l’objectif est de nous concentrer sur ces deux antennes. Des projets immobiliers importants sont en cours sur les deux sites et Béziers pourrait accueillir de nouvelles filières, en psychomotricité, architecture, commerce international et psychologie. Mais aujourd’hui, nous sommes dans l’expectative suite aux dispositions prises par le législateur…


Jean-Yves Le Déaut dénonce le passage en force d'un "objet universitaire non identifié"

Dans sa version votée le 28 mai 2013 à l’Assemblée nationale, l’article 42 du projet de loi ESR met en place différents verrous visant à mieux contrôler les formations privées, dispensant notamment des formations de santé. Obtention d’un agrément pour les formations d’odontologie, de maïeutique et paramédicales ; obligation de signer une convention avec un établissement de santé public ; présentation d’un dossier attestant de la qualité pédagogique des cursus…

Le centre universitaire Fernando Pessoa, explicitement cité durant les débats apparaît donc en première ligne. "Ce n’est pas une loi de circonstance, tient à souligner Jean-Yves Le Déaut, député et auteur de l’amendement à l’origine de l’article. Le texte rappelle qu’il y a des conditions à respecter lorsqu’on souhaite dispenser un enseignement sur le territoire français."

Voté à l’unanimité, l’article semble faire également consensus du côté des sénateurs, se réjouit le député. "On a l’impression que cette implantation est uniquement motivée par des raisons financières. Il y a un marché en France auprès des étudiants en situation d’échec, ils sont prêts à payer, alors installons-nous ! Mais les responsables du centre - objet universitaire non identifié !- se sont-ils posés la question de la reconnaissance des diplômes, des débouchés ? Nous ne sommes pas sectaires, mais nous sommes attachés au service public de l’enseignement", assure-t-il.

Si le texte passe en l’état, le centre universitaire Fernando Pessoa pourrait fermer ses portes. "Sauf s’il accepte de se rapprocher de l’université de Toulon et des centres hospitaliers régionaux et qu’il défend son dossier auprès des ministères", précise Jean-Yves Le Déaut. Et en cas de fermeture, quel sort réservé aux étudiants de Pessoa ? "Le ministère travaille actuellement sur le dossier", avoue le député. Si l’article 42 précise que les formations suivies dans des établissements non reconnus par l’Etat ne peuvent pas faire l’objet d’équivalence, le parlementaire se veut rassurant : "des recommandations seront émises, pour que les dossiers des étudiants soient examinés au cas par cas."
Céline Authemayou | Publié le