Christine Musselin, directrice du CSO, "Le problème du recrutement des universitaires n'est pas le localisme mais le temps"

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
Christine Musselin, directrice du CSO, "Le problème du recrutement des universitaires n'est pas le localisme mais le temps"
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Christine Musselin, directrice du laboratoire CSO (centre de sociologie des organisations) Sciences Po/CNRS vient de publier Les universitaires (La Découverte, mars 2008). Une somme sociologique sur cette population en France. Y sont abordés la nature du travail universitaire, les modalités d’accès, la gestion des carrières académiques ou les rémunérations... Une approche comparative avec les enseignants-chercheurs en Allemagne et aux Etats-Unis vient éclairer cette synthèse. L’occasion pour EducPros de demander son analyse à Christine Musselin sur les nouveaux défis que ces enseignants du supérieur vont devoir relever avec l’autonomie à venir des universités.  

Quelles sont les transformations les plus notables ces dernières années chez les enseignants-chercheurs ?

Il y a beaucoup de réformes en préparation mais aucune transformation profonde ne s'est produite ces dernières années. On vit encore avec l'ancien système. Les discours et l'environnement en revanche remettent de plus en plus en cause des pratiques considérées jusqu'à présent comme légitimes. On voit par exemple resurgir les critiques sur le " localisme " dans les recrutements sans qu'il y ait de changements dans la pratique. La proportion de maîtres de conférences recrutés à l'endroit où ils ont réalisé leur thèse, soit 35 %, n'a pas évolué. De la même façon, on entend des discours sur l'internationalisation des recrutements - ou des étudiants - mais dans les faits, il n'y a pas eu de transformation radicale.

Qu'est-ce que la loi LRU va changer dans leur recrutement ?

Même s'il est difficile de savoir comment la loi va changer les choses, les modalités de recrutement vont être transformées. L'idée est de lutter contre le localisme en faisant rentrer des personnalités extérieures, de contrôler davantage les universitaires en poste dans la mesure où l'établissement compose les comités de sélection et où le président peut opposer un droit de veto. Cela conduit à retirer du pouvoir au département qui, de facto, avait la main sur les créations et les réaffectations de postes. Le localisme est pour moi un faux problème car il ne concerne qu'un faible pourcentage des recrutements en France. Le problème le plus important - et qui n'est pas traité par le décret - est le faible temps laissé aux commissions de spécialistes pour sélectionner les candidats. Ils ont deux mois pour regarder les dossiers et prendre une décision alors qu'aux Etats-Unis, il peut s'écouler entre six et neuf mois entre la publication de poste et la décision, voire un an en Allemagne. De même pour l'audition des candidats sélectionnés, généralement restreinte à 30 minutes. A l'étranger, on demande au candidat de présenter un cours, un séminaire de recherche, il passe un entretien de recrutement, rencontre le doyen...Il est au moins une journée sur place. Faute de temps, il est plus facile de se rabattre sur quelqu'un qu'on connaît et cela favorise le localisme. Le problème du recrutement en France est là alors que tout le monde se focalise sur la composition des comités de sélection.

Est-ce que les comités de sélection répondent aux problèmes posés ?

Avec les comités de sélection, on risque d'aller chercher des personnalités extérieures qui se trouvent à proximité pour pouvoir réaliser le quorum le jour de leur tenue. Le localisme va se déplacer de l'établissement au territoire local ou au PRES. Il est par ailleurs paradoxal de demander à nos concurrents de recruter des enseignants pour nous. Est-ce que Renault recrute pour Peugeot ? La manière de constituer les comités de sélection est enfin très différente de ce qui se passe à l'étranger. A ma connaissance, aucun pays n'a de commissions choisies par les instances de l'université, on fait confiance aux gens du département. Cela va renforcer le rôle du président d'université, mais il ne faudrait pas aller vers un modèle où leprésident est un responsable hiérarchique, car c'est le modèle des établissements d'enseignement, pas celui des universités de recherche.

Y-a-t-il dans les réformes à venir des tendances au rapprochement avec les systèmes étrangers ?

De plus en plus d'établissements gèrent leurs personnels et leurs postes. La délégation concerne la gestion des carrières, la répartition des temps de travail, des moyens mis à disposition...L'établissement se présente davantage comme un employeur. L'autre tendance observée concerne le pouvoir hiérarchique accru des responsables de département et des doyens : ce n'est pas encore le cas en France. Cela dit, le métier d'universitaire reste partout très spécifique. Même dans les universités privées américaines, on sait que ce n'est pas en disant à un enseignant ce qu'il doit faire qu'on obtiendra des prix Nobel. Mais en faisant en sorte que les conditions soient réunies pour qu'il y ait de l'émulation, des initiatives...Dans la LRU, l'esprit est très " top down " avec le pouvoir du président très centralisé. Tout dépend cependant de la mise en œuvre. La question est de savoir ce que les présidents vont faire de ce pouvoir, s'ils vont trouver les relais leur permettant d'exercer leurs pouvoirs.

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le