Christine Musselin (sociologue) : "Les communautés d’universités, c’est risqué !"

Olivier Monod Publié le
Directrice du Centre de sociologie des organisations de Sciences po, Christine Musselin livre pour EducPros son analyse du projet de loi ESR, à l'occasion des débats parlementaires.

Le projet de loi ESR en débat à l'Assemblée veut transformer les PRES (Pôles de recherche et d'enseignement supérieur) en des communautés d'universités dotées d'un conseil d'administration et signant un contrat de site avec l'Etat. Que pensez-vous de cette évolution ?

C'est risqué ! La sociologue des organisations que je suis s'interroge sur ce qui se met en place. Il s'agit d'ajouter un nouveau niveau d'organisation au-dessus des universités qui fonctionne sur le même modèle que les universités. Cela résout la question du déficit démocratique reproché aux PRES mais la solution choisie risque d'entraîner beaucoup de lourdeur !

Et comme la loi ne définit pas ce qui relève de la communauté et ce qui relève des établissements, qu'est-ce qui va pousser les conseils d'administration des établissements à céder des compétences au conseil d'administration de la communauté ?

La volonté est d'augmenter la coopération entre établissements sur un même site et de mettre en place des structures de dialogue.

La question est de savoir si les communautés d'universités et d'établissements susciteront plus de coopération et de dialogue. La surimposition d'un niveau ou d'une structure va certes permettre au ministère de limiter le nombre de têtes avec lesquelles il va discuter.

Mais cela facilitera-t-il le fonctionnement du site et rendre plus facile la gestion des établissements ? Cela devrait être la préoccupation première.

Si j'ai bien compris, on est en train de créer l'équivalent d'une trentaine d'université de Londres en France… On verra, peut-être que dans dix ans notre modèle sera copié partout dans le monde. Mais en termes de taille et de fonctionnement, cela me semble très lourd.

L'exemple de Paris Saclay est révélateur de la difficulté de l'exercice. Il s'agit d'un chantier gigantesque. Peut-être arrivera-t-on à faire quelque chose mais on peut se demander si la débauche d'énergie que cela va demander pendant plusieurs années n'aurait pas été mieux investie dans l'enseignement et de la recherche.

Il y a peut-être aussi la volonté de préparer l'acte III de la décentralisation et de rationaliser l'organisation de l'ESR en région afin de faciliter les négociations.

Peut-être. Mais que devient l'autonomie des établissements ? Il est déjà difficile d'établir une stratégie au niveau d'un établissement, ces difficultés vont être décuplées sur un site. Comment cela va-t-il fonctionner concrètement ? Si au sein d'une communauté, un ou plusieurs établissements ont une stature internationale, les discussions de site sont-elles un niveau pertinent ? Comment ces établissements vont-ils se présenter à l'étranger ?

Il y a tout de même des sites très cohérents qui se dirigent vers une fusion ou l'ont déjà mise en place.

Oui, et certaines fusions sont logiques en termes de taille ou de trajectoire mais elles ne concernent bien souvent que des universités. Elles englobent rarement des écoles situées en dehors de celles-ci et même l'intégration des instituts nationaux polytechniques, pourtant proches des universités, ne va déjà pas de soi comme on l'a vu à Bordeaux.

Justement, comment peut-on s'y prendre pour rapprocher les organismes de recherche, les universités et les écoles ?

Le vrai défi selon moi : le rapprochement avec les grandes écoles. Du côté des organismes de recherche, nous avons en France une organisation assez unique dans le monde mais pas nécessairement mauvaise. Les UMR (Unités mixtes de recherche) permettent une réelle intégration du CNRS et de l'Inserm dans les universités. Depuis quelques années, les relations entre la direction du CNRS et les présidences d'université se sont aussi améliorées et sont devenues coopératives, ce qui est une excellente chose. Ceci dit, d'autres organismes, comme le CEA, le CNES, l'INRA sont encore souvent éloignés de l'université. Tout comme les grandes écoles.

C'est plus par les opportunités de travail en commun et les échanges, que par les structures formelles que les établissements existent.


Alors comment les rapproche-t-on ?

Je ne crois pas aux grandes solutions nationales mais plus aux arrangements locaux. L'idée, présente dans la loi, de mettre en place des conventions entre les CPGE et les universités me semble par exemple une bonne initiative. Ces conventions se développeront de manière ad hoc. Chacun peut y trouver son compte.

Les grandes réformes venant d'en haut sont souvent éloignées de la réalité quotidienne.

Que voulez-vous dire ?

Quand vous créez une "communauté" composée d'établissements situés à plusieurs kilomètres les uns des autres et sans moyen de transport rapide et direct entre eux, cela pose des problèmes concrets tous les jours. Les chercheurs ne peuvent pas se croiser à la machine à café, organiser rapidement une réunion, développer le sentiment d'appartenir à un même ensemble…

C'est plus par les opportunités de travail en commun et les échanges, que par les structures formelles que les établissements existent. On continue à passer beaucoup de temps sur la composition du conseil d'administration mais c'est souvent dans le quotidien que se construisent la démocratie et la collégialité.

Cette loi veut modifier la structure de l'ESR mais comment s'assurer que les décisions seront suivies d'actions ?

Il me semble très compliqué de faire des réformes structurelles en période de pénurie. On peut certainement améliorer la gestion et dégager quelques marges. Mais malgré tout, négocier un gel budgétaire tout en mettant en place des réformes me semble difficile. Si la contractualisation des établissements a réussi à s'imposer en son temps, c'est parce qu'il y avait de l'argent pour enclencher le mouvement.

Olivier Monod | Publié le