Claude Vidon (proviseur du lycée Corbon à Paris) : "Abandonner les notes, ce n’est pas perdre du pouvoir"

Propos recueillis par Emmanuel Vaillant Publié le
A la rentrée, le lycée professionnel Corbon à Paris (15e) expérimente un premier semestre sans note pour les élèves de seconde. Une petite "révolution copernicienne", que nous explique Claude Vidon, le proviseur de cet établissement parisien, toujours à l’affût d’une innovation pédagogique qui met les élèves au cœur de leur apprentissage.

Qu’est-ce qui vous a amené à lancer une expérimentation d’un premier semestre sans note ?

La note fait rentrer dans un système de compétition où nos élèves sont déjà stigmatisés.

Nous sommes partis d’un constat : nombre d’élèves de seconde arrivent au lycée en étant cassés, en souffrance. A tel point qu’ils ne nous entendent plus, ne nous écoutent plus et ne s’écoutent plus. C’est un refus de l’école qui concerne de plus en plus d’élèves et qui est de plus en plus fréquent. L’an dernier, nous avons atteint un taux d’absentéisme record de 19,4% ! En plus, nous avons eu pas moins de dix conseils de disciplines, cinq élèves réorientés et sept exclus. C’est énorme. De là s’est imposée l’idée qu’il fallait tenter quelque chose de nouveau pour qu’ils soient mieux accueillis, pour qu’ils trouvent du sens à l’école, pour que l’on sorte d’un rapport de sanctions. Car la note fait rentrer dans un système de compétition où nos élèves sont déjà stigmatisés. Nous faisons le pari que la suspension de la note est une chance qu’ils vont saisir.

En quoi le fait de supprimer les notes favoriserait le rapport à l’école ?

Si on enlève la note, il reste l’essentiel : la réponse à la question "qu’est-ce que je suis venu faire pendant une heure dans une classe" ? Ou encore qu’est-ce que j’ai appris ? A utiliser un dictionnaire, à établir une facture, à répondre au téléphone, à conjuguer un verbe au passé simple, à dire une phrase en anglais, etc. Enlever la note c’est libérer la compétence. Car la note est juste une traduction décimologique de la compétence.

Concrètement, comment ce projet est-il mis en œuvre ?

Dans le cadre du lycée professionnel, c’est assez simple car les enseignants sont déjà guidés par des référentiels de compétences. Mesurer l’acquisition de compétences, ils le font déjà sans que l’élève le sache. La note est simplement redondante et masque tout, pire elle stigmatise. Car l’élève ne voit que ça. Désormais, chaque enseignant va se référer aux compétences liées à sa discipline et va pouvoir vérifier, point par point, si elles sont acquises ou non. Au moins le temps de l’accueil, et pendant un semestre on ne casse pas avec un 2/20 dans n’importe quelle matière. Et il n’est pas question de supprimer les notes toute l’année car il y a un contrôle continu à assurer.

Ce projet a-t-il été facilement accepté par les enseignants ?

Un tel projet ne serait pas envisageable sans une implication forte de toute l’équipe pédagogique du lycée.

 Comme toute innovation, c’est un projet qui a été mûri au fil des années. Dans ce cas, le chef d’établissement est le premier pédagogue en direction des personnels enseignants. Sans forcément avoir la réponse à ce qu’il faut faire. Juste poser le problème et tenter des expérimentations. Il peut exister des réticences. Il faut juste expliquer et montrer qu’abandonner les notes ce n’est pas perdre du pouvoir. L’enseignant est plus que jamais là. Et d’ailleurs, un tel projet ne serait pas envisageable sans une implication forte de toute l’équipe pédagogique du lycée. C’est indispensable. Si l’élève sent qu’il y a une équipe en face ça marche.

Comment expliquez-vous que les initiatives de suppressions de notes au lycée soient si rarissimes ?

C’est l’habitude de la note qui est partout. C’est plus facile à lire. C’est aussi très utile en terme d’orientation. On parle de notes en troisième pour passer au lycée, et dans les meilleurs lycées, au lycée pour aller en BTS ou dans les meilleures classes prépas,… C’est la monnaie d’échanges. Or, c’est une révolution copernicienne que de mettre tout l’éclairage sur la compétence et non plus sur la note. Cela permet de mettre l’élève au cœur de son apprentissage, de lui faire comprendre pourquoi il est là au lycée, lui donner envie d’apprendre avant de le sanctionner.  

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