Dominique Gillot (rapporteur de la loi ESR au Sénat) : "On ne peut jamais préjuger de l’issue d’un débat"

Camille Stromboni Publié le
Dominique Gillot (rapporteur de la loi ESR au Sénat) : "On ne peut jamais préjuger de l’issue d’un débat"
Dominique Gillot - sénatrice - rapporteur loi ESR - juin 2013 ©C.Stromboni // © 
AERES, IUT, collectivités locales... A la veille de l'entrée du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche en commission au Sénat, mercredi 12 juin 2013, la sénatrice socialiste rapporteur du texte, Dominique Gillot, fait le point pour EducPros sur les évolutions apportées par les sénateurs, et leurs préoccupations.

La loi sur l'enseignement supérieur et la recherche a-t-elle une chance d'être adoptée au Sénat ?

C’est une question difficile. On entendait au départ que c'était "mission impossible", en regardant d'un point de vue mathématique le vote de l’Assemblée et en le transposant au Sénat. Mais c’est sans compter la capacité de discussion et de conviction.

Certes, nous partons de loin, comme disent les communistes, mais les sénateurs sont ouverts au dialogue. On ne peut jamais préjuger de l’issue d’un débat avant que celui-ci n'ait eu lieu. Je compte de mon côté porter une quarantaine d'amendements [hors amendements rédactionnels sur la forme].

Sur quels points porte la négociation avec les principaux opposants au texte, le parti communiste et les Verts ?

Tout d'abord, nous ne faisons pas du marchandage, j’essaie de comprendre les points de blocage et d'avancer. Sur certaines revendications, comme l'abrogation de la loi LRU, il est difficile d'avancer puisque celle-ci n'est pas à l'ordre du jour. La communauté universitaire a déjà été traumatisée par les bouleversements de cette loi, revenir à la case départ serait un autre traumatisme.

Sur la question des moyens également : il ne s'agit pas d'une loi de programmation, comme le demandent certains. Mais je tiens à rappeler la création annuelle de 1.000 postes dans l'ESR, l'augmentation du budget 2013 de 2.2% ou encore la sécurisation du CAS pensions. Une loi de programmation sur la stratégie de recherche a été en outre actée par l'Assemblée, ainsi qu'un livre blanc sur les moyens tous les cinq ans.

Beaucoup entrent dans le texte par un seul point et n’ont pas la vision d’ensemble. L’enjeu de mon travail est de remettre en perspective la globalité

En revanche, le transfert [nouvelle mission des universités], qui nourrit certaines oppositions, est un point de discussion important. Nous souhaitons expliquer plus précisément de quoi il s'agit. Au-delà de "l'asservissement à l'économie" pour ses détracteurs, le transfert permet d'abord de remettre en avant l'utilité sociale de la recherche. Je vais ainsi ajouter dans le texte cette dimension du transfert comme valorisation des résultats de la recherche au service de la société.

Enfin, concernant les craintes autour de la régionalisation de l'enseignement supérieur chez les communistes, la peur d'un recul de la démocratie universitaire pour les Verts, ou l'opposition aux quotas [pour les bacheliers technologiques et professionnels en DUT et BTS] de l'UMP, nous essayons de surmonter, une à une, ces idées reçues. En montrant l'amélioration qu'apporte cette loi de progrès social, qui marque la volonté du gouvernement de faire de la jeunesse et de la réussite étudiante sa priorité.

C'est un texte difficile à défendre ?

C’est un texte d’une grande technicité, avec plus de 100 articles, qui balaie une large palette de sujets. Et qui trouve justement sa cohérence dans cette forte ambition politique. Mais c’est aussi sa faiblesse : beaucoup entrent dans le texte par un seul point et n’ont pas la vision d’ensemble. L’enjeu de mon travail est de remettre en perspective la globalité du projet.

Source de polémique, l’article 2, qui introduit l'anglais dans les doubles-cursus des écoles et universités, a-t-il retenu l'attention des sénateurs ?

Non, il n'est d'ailleurs pas central. Je propose seulement une précision pour clarifier la part de la langue française dans ces cursus en langues étrangères, ainsi que la manière dont le niveau de français sera évalué dans l'examen final.

Les collectivités locales sont au cœur des préoccupations du Sénat. L'Assemblée a donné une place de choix aux Régions. Pensez-vous aller plus loin ?

Nous tenons en effet beaucoup à ce que les Régions soient associées à la mise en œuvre des stratégies nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche, et au sein du dialogue sur le contrat de site.

Les départements et les autres collectivités qui contribuent à l'enseignement supérieur et la recherche doivent également être associés aux discussions. Mais nous ne souhaitons pas imposer de nouvelles contraintes : la loi ESR est une loi de simplification qui vise à ouvrir le champ des discussions.

Les IUT ont manifesté à plusieurs reprises leurs inquiétudes. Ils ont souvent l'oreille des élus locaux…

Leurs préoccupations ont déjà été prises en compte. Ils font du lobbying car ils craignent que les quotas leur retirent de bons élèves. Nous les rassurons sur ce point. De même concernant leurs moyens : ils voudraient voir mis en place les COM [contrat d'objectifs et de moyens] avec l’Etat, prévus par la loi LRU et jamais appliqués.

Mais ils font partie de la communauté universitaire et c'est donc dans le cadre du dialogue de gestion de l’université qu'ils doivent travailler, tout comme les autres composantes. Il ne peut pas y avoir de procédure particulière pour eux. Sinon, pourquoi pas également en fac de médecine, de droit ou de langues ?

Il serait aujourd'hui très inquiétant de devoir reconstruire une autre structure. Mieux vaut continuer avec l’AERES, en lui imposant des axes de progression


Le projet de loi prévoit la suppression de l'AERES, agence qui a cristallisé un grand nombre de critiques lors des Assises. Vous demeurez opposée à ce choix ?

Après de nombreuses consultations et rencontres, je reste convaincue que l’ensemble de la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche adhère à l’idée d'évaluation, qu'elle veut transparente et indépendante.

Les critiques envers l’AERES reposent sur des constats anciens. Chacun a remarqué ses évolutions vers plus de simplification, vers une amélioration des méthodes et une meilleure crédibilité des équipes en charge de l’évaluation.

Il serait aujourd'hui très inquiétant de devoir reconstruire une autre structure. Mieux vaut continuer avec l’AERES, en lui imposant des axes de progression. Je propose donc un amendement de suppression de l’article 48, tout en conservant les articles sur les principes de l'évaluation.

La suppression de l'AERES laisserait en outre craindre plusieurs préjudices de taille, au niveau financier, avec ce changement d'organisme et de statut, mais aussi sur le plan opérationnel et scientifique.

Les futurs regroupements universitaires peuvent faire craindre à certains territoires, avec de petits centres universitaires, d'être noyés dans la masse. Envisagez-vous d'insérer des garanties supplémentaires dans le texte ?

Non. Il n'y a pas d'inquiétudes à avoir à ce sujet : nous avons de petits établissements très bien identifiés, à côté de plus grandes entités. Nous souhaitons simplement renforcer le caractère confédéral de l'association, l'une des modalités de regroupement prévue par le texte.

Celle-ci pourrait constituer ainsi une étape intermédiaire pour aller vers la communauté d'universités et établissements, de manière progressive, en maintenant l’autonomie et l’identité de chacun. Il s’agit de donner plus de souplesse et de temps aux établissements.

Allez-vous proposer des amendements sur la gouvernance des universités ?

On nous demande sans arrêt de changer le poids des représentations dans les différents collèges universitaires, dans un sens ou dans l’autre. Il y a un moment où il faut savoir s’arrêter. Les choix retenus laissent assez de souplesse. Et il ne faut pas oublier que le conseil d’administration n’est pas seulement un lieu de contre-pouvoir, c'est aussi et surtout l'enceinte où se dessine une politique.

Les prochaines étapes pour la loi ESR
Transmis au Sénat à la fin mai 2013, après avoir été adopté devant l'Assemblée nationale, le projet de loi ESR passe devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication mercredi 12 juin 2013.

En cas de vote favorable de la commission, le texte amendé par les sénateurs sera transmis au Sénat, en examen en séance publique mercredi 19 juin 2013. En cas de vote négatif, c'est le texte adopté à l'Assemblée nationale qui arrivera devant le Sénat.

Viendra ensuite l'examen en CMP (commission mixte paritaire) du texte, qui suit une procédure accélérée. Si le texte est adopté précédemment au Sénat, c'est cette version de la loi qui arrivera en CMP. En cas d'échec, c'est le texte adopté à l'Assemblée qui sera étudié.

Enfin, le projet de loi fera l'objet d'une seconde lecture à l'Assemblée - d'ici la fin juillet, envisage Geneviève Fioraso - puis au Sénat, le dernier mot revenant à l'Assemblée.
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Camille Stromboni | Publié le