L'entrepreneuriat des femmes, objet de recherche à Sciences po

Catherine de Coppet Publié le
L'entrepreneuriat des femmes, objet de recherche à Sciences po
Anne Boring remarque que les jeunes femmes hésitent à se lancer dans l'entrepreneuriat, notamment par manque de confiance en elles. // ©  plainpicture/Folio Images/Jezzica Sunmo
Sciences po travaille à l'ouverture d'une chaire "Femmes, entrepreneuriat et leadership". Sa future présidente, Anne Boring, chercheure en économie au sein de l'établissement parisien, revient sur les freins qui pèsent sur l'entrepreneuriat des jeunes femmes, en insistant sur la notion de "minorité".

Anne Boring, docteure en économie, travaille sur l'entrepreneuriat des femmes.De quels constats part ce projet de création d'une chaire dédiée à l'entrepreneuriat des femmes ?

En 2015, j'ai mené une brève étude qualitative avec Alessandra Cocito, enseignante et entrepreneure, sur les étudiantes de Sciences po et l'entrepreneuriat. Si le cours d'initiation à l'entrepreneuriat compte la moitié de filles, seules 30 % des start-up de l'incubateur de Sciences po sont cofondées par au moins une jeune femme. Nous avons voulu enquêter sur la baisse de motivation qui intervient entre ces deux moments.

Votre étude a porté sur une quinzaine d'étudiantes, à différents stades d'un projet entrepreneurial. Qu'avez-vous mis au jour ?

L'étude a montré deux sources de motivation principale chez ces jeunes femmes : l'envie d'être autonomes et le besoin de s'investir dans un projet qui fait sens. Ces deux motivations, quand on étudie la littérature de recherche sur ce sujet, sont partagées par les jeunes hommes. Mais ceux-ci avancent également souvent comme motivation l'opportunité de gagner beaucoup d'argent dans l'entrepreneuriat.

Les jeunes femmes l'évoquent plus rarement, même si certaines d'entre elles la partagent sans doute. Cette censure est très intéressante !

Vous insistez également sur les freins à l'entrepreneuriat qui bloquent ces jeunes femmes, notamment la "difficulté à gérer les risques et un moindre goût pour la compétition". Qu'entendez-vous précisément par là ?

Au moment où nous avons réalisé cette étude, le statut d'étudiant-entrepreneur existait à peine. Parmi les risques que ces jeunes femmes ont peur d'affronter, il y a le risque financier, mais pas seulement. Beaucoup craignent de ne pouvoir valoriser cette période entrepreneuriale dans leur curriculum vitæ, si jamais leur projet n'aboutit pas. Elles doivent souvent faire face également à une certaine pression familiale. Certaines évoquaient le fait que leurs parents les décourageaient de se lancer dans la création d'entreprise, au motif que si elles échouaient, cela compliquerait leur vie au moment de vouloir des enfants, quelques années après...

On peut nuancer cet élément en soulignant qu'en fonction de la culture familiale, cette pression liée à la maternité future n'est pas toujours aussi forte. Une jeune femme, dont les deux parents étaient entrepreneurs, ne devait pas contrer ce type d'arguments...

Quant au moindre goût pour la compétition, les jeunes femmes souffrent plus que les hommes du "syndrome de l'imposteur", on le sait. Elles manquent souvent de confiance en elles et ne se sentent pas toujours légitimes pour défendre leur projet. Cette question de la légitimité se pose d'autant plus fortement qu'en créant leur entreprise, elles doivent évoluer dans un univers essentiellement masculin, où l'intimidation peut vite devenir la règle.

Ces mécanismes de retrait sont inévitables dès lors que le groupe étudié est minoritaire dans l'univers dans lequel il évolue.

Votre analyse concerne l'entrepreneuriat mais aussi ce que vous appelez le leadership, c'est-à-dire la possibilité de briguer des postes à responsabilité dans une entreprise...

En effet ! Nous nous sommes rendu compte que cette réflexion croisait celle d'entreprises cherchant à promouvoir les femmes dans la hiérarchie. Celles-ci se demandent comment fixer les cadres avec les différents interlocuteurs dans ces milieux très compétitifs, où on peut vite faire jouer contre vous le fait d'être une femme. Certaines se demandaient par exemple comment s'habiller pour un rendez-vous avec un financeur... La peur de ne pas paraître légitime est donc très forte, dans des univers qui restent, encore une fois, masculins.

Peut-on mettre en regard ces freins à l'entrepreneuriat féminin avec la difficulté de recrutement de profils féminins que connaissent les écoles d'ingénieurs, le monde de l'industrie ou encore la recherche scientifique ?

Tout à fait ! Ces mécanismes de retrait sont inévitables dès lors que le groupe étudié est minoritaire dans l'univers dans lequel il évolue. C'est donc valable pour les hommes dans des milieux traditionnellement féminins, comme celui des aides-soignants par exemple. Il est très difficile de se sentir légitime quand son profil ne correspond pas au cliché de la personne compétente d'un secteur donné.

Quels seront les objectifs de la chaire que vous présiderez à Sciences po ?

La chaire poursuivra trois buts : produire de la connaissance sur ce thème de l'entrepreneuriat et du leadership féminin, en évaluant les comportements des jeunes au sein d'ateliers (gestion du stress, affirmation de ses valeurs, etc.) ; développer des ateliers de formation dédiés à l'entrepreneuriat et au leadership, ouverts à tous les étudiants de Sciences po, et animés par des femmes pour créer un effet de "modèle" et diffuser les connaissances sur ce thème auprès du grand public.

Nous espérons pouvoir ouvrir cette chaire en septembre prochain, en nous basant sur des échanges très fructueux que nous avons eu avec l'université de Stanford et des acteurs de la Silicon Valley.

Dans le cadre du laboratoire d'innovation pédagogique de l'établissement, nous proposerons prochainement une série d'ateliers de formation à la prise de parole, qui est un des points durs sur cette question du leadership des femmes. Ces ateliers seront élaborés en partenariat avec Columbia University, au sein du programme Alliance.

Catherine de Coppet | Publié le