François Fillon : "Les frais de scolarité sont un tabou français"

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
François Fillon : "Les frais de scolarité sont un tabou français"
Pour le candidat des Républicains, "les choix stratégiques relèvent avant tout et d'abord de la responsabilité des établissements". // ©  Hamilton / R.E.A
Prérequis fixés à l'entrée en licence, hausse des droits d'inscription, autonomie accrue des universités... François Fillon, candidat LR à la présidentielle, détaille son programme dans une interview réalisée par écrit pour EducPros. Nouveau volet de notre série d'entretiens avec les candidats à l'élection présidentielle, tous sollicités par notre rédaction.

Vous dites vouloir supprimer le tirage au sort à l'entrée des licences en tension. Vous êtes donc favorable à une sélection à l'entrée des licences ? Si oui, quelle forme prendrait-elle ?

Je récuse le terme de sélection, que vous ne trouverez pas dans mon programme. Le défi de la massification (plus de 300.000 étudiants nouveaux dans les dix ans qui viennent) nous oblige à envisager les choses sérieusement. Et il y a urgence !

D'une part, l'on sait que les filières universitaires classiques sont marquées par un terrible taux d'échec des bacheliers en première année : 58,5 % ! D'autre part, l'on constate que, parallèlement, les filières sélectives (classes préparatoires, grands établissements, IUT, BTS, formations de santé...) sont privilégiées par les étudiants et leurs familles : elles attirent aujourd'hui la moitié des bacheliers généraux.

Je reste fondamentalement attaché à la liberté d'accès à l'université : l'État a le devoir de garantir l'accès des bacheliers à l'enseignement supérieur. Mais il a aussi le devoir de permettre aux élèves de faire des choix éclairés pour leur avenir d'étudiant. Les universités doivent pouvoir indiquer aux lycéens quels prérequis elles attendent dans leurs différentes filières.

Dans les filières dites en tension, il n'est pas normal de recevoir des élèves tirés au sort ; il me semble plus juste de retenir ceux qui se sont préparés dès le lycée à la voie d'enseignement supérieur à laquelle ils postulent, qui s'y sont particulièrement bien investis et qui ont l'envie et le talent nécessaires pour y réussir...

La plate-forme d'inscription APB (Admission postbac) vous semble-t-elle aujourd'hui satisfaisante ?

APB est désormais un outil que les élèves comme leur famille connaissent. Des améliorations doivent lui être apportées. Par exemple, pour y préciser des informations complémentaires, telles que les taux de réussite, les taux d'insertion. Très rapidement, ces données seront collectées et mises à disposition des élèves et de leurs parents afin que l'élève fasse ses choix sur APB en toute connaissance de cause.

Il saura aussi quelles matières l'université recommande dans son parcours au lycée pour intégrer une première année en Staps ou en droit. APB doit mieux symboliser la continuité des parcours entre le lycée et l'enseignement supérieur.

Vous indiquez être favorable à ce que les universités soient libres "de créer des filières d'excellence". Pour cela, avez-vous l'intention d'augmenter leurs moyens, alors qu'elles font face à une explosion de leurs effectifs depuis quelques années ?

L'augmentation des moyens des universités passe par trois voies complémentaires. La première, c'est le maintien et, si possible, l'augmentation de la part de l'État. La deuxième, c'est le soutien du secteur privé : les instruments existent et doivent être pérennisés. La troisième voie de financement, ce sont les ressources propres des universités

L'objectif est clair : renouer avec un niveau de financement qui est celui de la moyenne des pays de l'OCDE (1,6 % du PIB) que nous avions quasiment atteint en 2012 et qui, depuis, a été largement revu à la baisse sous François Hollande. L'enseignement supérieur et la recherche ne sont pas une dépense mais bien un investissement.

Vous êtes le seul candidat à l'élection présidentielle à souhaiter une augmentation des droits de scolarité à l'université. Pourquoi ? Ne craignez-vous pas que cela limite l'accès du plus grand nombre à l'enseignement supérieur ? Comptez-vous augmenter les bourses ?

Les frais de scolarité sont un tabou français. Comme le demandent la plupart des universités, les droits d'inscription en licence doivent rester fixés au niveau national et augmenter raisonnablement, avec une dispense pour les étudiants boursiers.

Pour les autres niveaux, les conseils d'administration des universités doivent avoir la liberté de fixer les frais de scolarité applicables aux étudiants préparant les diplômes nationaux de master et de doctorat. Ils pourront, par exemple, fixer ces frais en fonction de critères tirés des disciplines mais surtout des débouchés professionnels offerts aux diplômés.

La CPU (Conférence des présidents d'universités) sera appelée, dans un souci de bonne harmonisation sur le territoire national, à formuler des propositions de plafond par catégories de master ou de doctorat. À la faveur des demandes d'accréditation présentées par les universités – procédure d'accréditation qu'il faudra d'ailleurs alléger – l'État s'assurera du respect de ce plafond. Les étudiants boursiers resteront exonérés de participation aux frais de scolarité en master.

Comme le demandent la plupart des universités, les droits d'inscription en licence doivent rester fixés au niveau national et augmenter raisonnablement.

Le système actuel des bourses est perfectible. En premier lieu, il importe de maintenir les bourses au mérite dont le gouvernement actuel a réduit le montant, après avoir voulu les supprimer. Mais ces dispositifs – par simple effet de seuil – sont insuffisants. Il faudra, en second lieu, donner plus de liberté aux établissements pour inventer les moyens d'aider financièrement leurs étudiants qui en ont besoin. Au-delà, une réorganisation de fond doit être mise en chantier en liaison avec le CNOUS (Centre national des œuvres universitaires et scolaires), notamment en ce qui concerne le logement et la santé des étudiants.

Pouvez-vous détailler votre réforme du baccalauréat ? Ira-t-elle de pair avec une réforme globale du lycée ?

Le ministre de l'Éducation nationale fera une véritable réforme du baccalauréat, avec la volonté d'en restaurer toute la signification de premier grade universitaire. Il s'agit de repenser l'organisation de nos baccalauréats général et technologique, pas seulement pour les simplifier mais aussi pour en revaloriser le contenu. Si le baccalauréat continue à être délivré avec onze ou douze épreuves sans exigences fortes, il deviendra un parchemin sans valeur.

Le baccalauréat, premier grade universitaire, doit permettre à tous un accès réussi à l'université. Toutes les disciplines seront prises en compte, notamment par le contrôle continu. Mais le bac comprendra quatre épreuves – une en français en première, trois choisies par le lycéen dans sa série en terminale – plus solides par leur niveau et comptant pour 60 % des résultats. L'organisation des enseignements du lycée devra être revue pour bien préparer les élèves au nouveau baccalauréat.

Selon le baromètre EducPros 2017, les personnels de l'enseignement supérieur sont passionnés mais démotivés. Surtout, ils ont l'impression que leur travail n'est pas reconnu, notamment au niveau financier : un maître de conférences débute à 2.200 euros nets... Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Mon programme contient une série de mesures de nature à redonner de la fierté aux personnels de l'enseignement supérieur. Elles portent en particulier sur la rémunération des maîtres de conférences et des professeurs, mais aussi des personnels administratifs. Sur leur carrière, aussi.

Au-delà, je crois qu'il est essentiel de replacer les étudiants et les personnels au cœur de la politique de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le temps des structures est derrière nous. Le temps des hommes et des femmes est lui, résolument, devant nous. La liberté doit être la règle, et l'étudiant et l'enseignant-chercheur doivent être placés au cœur de ce projet qui vise à faire de la France la première puissance scientifique européenne d'ici à dix ans.

Vous voulez accroître l'autonomie des universités. En quoi le système actuel n'est-il pas satisfaisant ? En quoi une autonomie accrue consisterait-elle ?

Le processus d'autonomie enclenché par Valérie Pécresse a été freiné, si ce n'est arrêté en 2012. Je ne suis pas le seul à faire ce constat. Je vous renvoie aux conclusions de l'étude de l'UEA (Association des universités européennes). Il faut aussi écouter et entendre les jeunes enseignants-chercheurs qui nous disent leur espoir : par leur parcours qui, souvent, les a amenés à se former ou à travailler hors de nos frontières, ils sont conscients de la corrélation entre le degré d'autonomie et l'excellence de la formation et de la production scientifique des universités.

Les jeunes enseignants-chercheurs (...) sont conscients de la corrélation entre le degré d'autonomie et l'excellence de la formation et de la production scientifique des universités.

Par ailleurs et peut-être surtout, la dernière période a été celle des injonctions contradictoires dans de très nombreux domaines. J'en prendrai deux exemples dans des domaines où je souhaite accorder encore davantage de responsabilité aux établissements : la pédagogie et les ressources financières. Il est incompréhensible que l'on affiche de l'autonomie et que le ministère publie un arrêté – unanimement décrié – sur le doctorat qui uniformise dans les moindres détails la formation doctorale. Laissons faire les écoles doctorales !

Il est également contre-productif que l'on proclame la responsabilité budgétaire des établissements d'enseignement supérieur tout en la brisant par un mode de répartition inédit. Ainsi, les universités et les écoles d'ingénieurs bien gérées, celles qui avaient fait des économies grâce à une gestion sérieuse avec pour ambition d'investir et, par exemple, de réaliser des travaux ou de lancer de nouveaux laboratoires de recherche, ont été ponctionnées en 2015 de 100 millions d'euros au profit des autres. J'avais été, à l'époque, l'un des seuls hommes politiques à contester cette façon de faire...

Il faut davantage d'autonomie dans les textes et avant tout dans la pratique, avec une ligne claire : le ministère doit accompagner les universités, aussi différentes soient-elles, pour qu'elles offrent ce qu'elles ont de meilleur à nos étudiants, à notre pays. Conforme à une logique de subsidiarité, les choix stratégiques relèvent d'abord et avant tout de la responsabilité des établissements, aidés en cela par l'État et appuyés par la région ou les métropoles. Seuls des établissements "agiles" et portant pleinement leur stratégie et leurs partenariats auront des chances d'offrir des parcours d'avenir aux étudiants.

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le