François Laurin, ancien expert de Bologne : "Je crains qu’il reste peu de chose de l’espace européen du supérieur qu’on cherche à construire"

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
François Laurin, ancien expert de Bologne : "Je crains qu’il reste peu de chose de l’espace européen du supérieur qu’on cherche à construire"
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Le 25 mai 1998, quatre ministres européens – allemand, britannique, français et italien – présentaient à la Sorbonne une déclaration commune sur l’avenir de l’université européenne, préfigurant le processus de Bologne. Dix ans plus tard, si toutes les universités françaises ont désormais calé leurs diplômes sur le système LMD, ce processus d’harmonisation européenne de l’enseignement supérieur est loin d’être achevé. L’appropriation très partielle de ses outils (crédits et grades ECTS, supplément au diplôme...) et le rapport de l’IGAENR publié cet automne sur l’usage controversé des compensations de notes viennent le rappeler. François Laurin, qui fut expert de Bologne auprès des établissements hexagonaux, revient sur ces limites.


Sur quoi repose aujourd’hui le processus de Bologne ?
Principalement sur des correspondances de formations en vue de pouvoir échanger des étudiants. Ce système est basé sur des conventions de partenariat conclues entre universités. Et nécessite ainsi une certaine confiance entre établissements concernant leurs méthodes respectives d’enseignement. L’intérêt des crédits ECTS est de pouvoir se fonder sur une grille de lecture des formations qui soit commune. Ceux-ci permettent de déterminer, de manière objective, l’importance donnée à tel ou tel cours, savoir s’il est approfondi : un cours en amphi en France n’aura pas le même poids dans un autre pays où le travail personnel de l’étudiant sera davantage valorisé [en crédits]. Par ailleurs, un crédit – c’est-à-dire une charge de travail demandée à un étudiant – ne veut rien dire en soi : un crédit de licence n’a pas la même valeur qu’un crédit de master.

Comment sont appliqués les ECTS ?
Peu d’établissements appliquent réellement les principes des ECTS. Dans l’esprit des textes de Bologne, à chaque UE (unité d’enseignement) correspondent des compétences, donc on ne doit pas pouvoir compenser des UE par d’autres. Or, en France, on pratique la compensation, contrairement à la plupart des autres pays. Autre point, on devrait théoriquement partir des compétences visées et les traduire en contenus d’enseignement. C’est trop souvent le principe inverse qui est appliqué !

Quel usage est-il fait des autres outils à disposition des établissements ?
L’appropriation de tous les outils par les universités est loin d’être achevée. Pour les grades ECTS, la France s’y était jusqu’à présent montrée défavorable, à la différence d’autres pays européens. Ces grades permettent pourtant de positionner l’étudiant dans son amphi ou sa promotion, et relèvent de la même idée qu’une grille de lecture commune. Ils s’ajoutent à la notation, sans la supprimer. Un étudiant peut ainsi être excellent avec un 11 de moyenne s’il vient d’une université très sévère. Le supplément au diplôme est également un instrument pour que le jeune puisse se situer. Depuis 2002, la France est censée le délivrer, ce qui est techniquement possible et simple avec le logiciel de gestion de la scolarité Apogée, mais les universités n’en font rien, contrairement à une majorité d’autres pays européens.

Quelles sont les difficultés rencontrées avec les autres pays ?
Le processus de Bologne devrait s’appliquer à l’ensemble du supérieur d’ici à 2010. Les diplômes de licence et master sont concernés, mais la déclinaison du 3-5-8 n’est pas celle retenue par tous les pays européens. Les 300 crédits du master sont par exemple mis à mal, notamment par les Anglais qui délivrent un master sur un an ou un an et demi. Je crains qu’il ne reste pas grand chose de l’espace européen de l’enseignement supérieur qu’on cherche à construire, si les établissements tergiversent sur certains de ces principes relativement peu contraignants.

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le