François Testu (chronopsychologue) : «J’ai créé mon domaine, avant de créer la formation qui lui correspond»

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
François Testu (chronopsychologue) : «J’ai créé mon domaine, avant de créer la formation qui lui correspond»
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Membre du comité de pilotage de la conférence nationale sur les rythmes scolaires installé le 7 juin 2010, François Testu, chronopsychologue reconnu, a créé à Tours en 2004 un master 2 professionnel consacré à la gestion des temps éducatifs. L’aboutissement d’une vie universitaire passée à scruter le temps et les effets de son aménagement. Pour le troisième volet de notre série "Les Entrepreneurs pédagogiques", nous avions rencontré en octobre 2009 le créateur d’une formation qui n’a pas d’équivalent en France.

De quoi est née l’envie de créer une spécialité consacrée à la gestion des temps éducatifs dans un cursus professionnalisant, et diplômant, de niveau Master 2 ?
Elle n’est pas née un matin au réveil ! À l’époque, la réflexion sur l’aménagement des temps éducatifs était à la mode. Et mon équipe de recherche était très sollicitée pour travailler avec les collectivités territoriales. Nous avons travaillé notamment sur Rennes, Evry, Paris et aussi à Mayotte. Le plus souvent sur des diagnostics des aménagements mis en place, à l’école et autour : activités périscolaires,  accueils le matin, centres de loisirs… Cela signifiait pour moi qu’il y avait des besoins sur ces compétences là, dans les bureaux des temps qui se mettaient en place dans les villes, par exemple. Et puis mes étudiants évoluaient dans un domaine qui n’avait pas la même reconnaissance que la psychologie du développement ou de l’intelligence. D’où l’idée de leur proposer un diplôme correspondant à leurs compétences. Nous avions déjà mis en place un DU (diplôme universitaire) dans ce domaine, mais cela n’était pas suffisant. Il y avait des étudiants en maîtrise de psychologie qui travaillaient sur les rythmicités et les questions de temps. Je me suis dit que nous pouvions envisager une formation professionnelle dans ce secteur.

Autour du temps, des rythmes et des effets des aménagements du temps, c’est bien cela ?
De ce que l’on appelle pompeusement la "chronopsychologie", en effet. C’est un terme de Paul Fraisse qui a mis 30 ans à s’installer. Aujourd’hui, je peux dire que je suis chronopsychologue. Et que cette formation est la première à se consacrer à ces questions là. C’est le résultat d’un parcours personnel aussi. Il n’y avait personne sur la question à Tours, lorsque j’ai emprunté cette voie, un peu par hasard, au départ.

Vraiment par hasard ?
Un peu, oui. Lorsque j’ai atteint la trentaine, j’ai commencé un doctorat de psychologie. J’étais alors instituteur, depuis l’âge de 30 ans, et je me suis lancé dans les études en parallèle de l’enseignement. À l’époque, un maître de conférence de ma faculté, à Tours,  travaillait sur la thématique de l’effort. Il m’a sollicité pour faire de même sur la fatigue. Comme j’étais aussi en classe, je me suis naturellement lancé dans un travail de recherche sur la fatigue des élèves. En mesurant les variations de l’attention, dans la journée, dans la semaine… Et les effets du nombre d’heures de sommeil et de tous les "donneurs de temps" qui font le rythme d’une journée d’écolier. Tout est parti de là. Je suis devenu prof de fac vers l’âge de 42 ans et je peux dire que j’ai dû créer mon domaine avant de pouvoir envisager de créer cette formation professionnelle qui lui correspond vraiment.

J’imagine qu’il n’a pas été facile d’y parvenir, au sein de l’université…
Il m’a d’abord fallu obtenir la reconnaissance de mes pairs. J’étais doyen de l’UFR des Arts et des Sciences humaines de Tours depuis quatre ans lorsque cette idée de formation a germée. Cela aide ! J’ai eu facilement le soutien du président et du vice-président de la CEVU. Ensuite, il y a des contraintes de calendrier. Ouvrir une formation dans une université n’est possible que dans le cadre du renouvellement du contrat quadriennal qu’elle souscrit avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. À mi-parcours, il faut s’atteler à travailler le contenu, constituer l’équipe. Bref, à construire très précisément la formation pour qu’elle puisse être présente dans le nouveau contrat.

Quel était le profil de votre équipe de formateurs ?
Eclectique. Trois ou quatre collègues de l’université, des professionnels des services éducation des villes, du RFVE (réseau français des villes éducatrices), des responsables associatifs qui travaillent sur l’organisation des temps péri et extrascolaires, et plus largement sur la question de la complémentarité éducative des temps de l’enfant. Du côté des intervenants associatifs, j’ai pu m’appuyer sur un réseau que je connais bien pour m’y investir depuis longtemps et en être encore aujourd’hui le président. Il s’agit de la JPA (Jeunesse au plein air), qui regroupe près d’une cinquantaine d’associations représentant tous les acteurs de l’éducation de l’enfant : parents d’élèves, syndicats d’enseignants et associations qui interviennent sur le temps libre de l’enfant. De plus la confédération était en mesure d’accueillir des stagiaires.

Quelle est la procédure pour que ce type de projet de formation soit validé ?
Le dossier constitué doit obtenir l’aval du Conseil scientifique de l’UFR (Unité de formation et de recherche). Puis il passe devant le CEVU (Conseil des études et de la vie universitaire). Cela doit se faire l’année précédent le renouvellement du contrat quadriennal. Ces instances portent ensuite le projet qui doit être validé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche à la fin de la 4ème année du contrat. Cela dépend d’un tas de paramètres. Une nouvelle formation, ce sont des crédits de fonctionnement et des heures d’enseignement : de l’argent. Rattachée au département de Sciences de l’éducation, cette nouvelle filière a été intégrée, en 2004, au plan de formation de l’Université.

Sur quels soutiens vous êtes-vous appuyé ?
J’ai d’abord testé mon idée en échangeant avec des collègues pour savoir si elle était aussi bonne que je pensais ! Alain Reinberg, qui était chronobiologiste à la Fondation Rotschild à Paris, Touitou, chronopharmacologue à l’hôpital Marie-Curie ou encore Philippe Meirieu, professeur des universités en Sciences de l'éducation. Ils m’ont soutenu et conforté dans l’idée que ce projet avait effectivement sa raison d’être. Il a fallu ensuite convaincre mes pairs à Tours que ce secteur nouveau allait être un plus pour l’Université et une formation utile aux étudiants.

La formation fait sa sixième rentrée, la première sans vous, qui êtes désormais en retraite. Vous êtes confiant ?
C’est un fidèle qui s’occupe maintenant de mon "bébé" ! Il s’agit de René Clarisse. Il a été l’un de mes doctorants et fait partie de mon équipe depuis. Et puis je n’ai pas totalement coupé le cordon. Je continue à intervenir dans la formation. Et j’ai toujours des doctorants en tant que professeur émérite. J’aimerais vraiment que cette formation ait de l’effet et se développe pour des gens qui coordonnent les différents temps éducatifs, scolaires et périscolaires, dans les associations éducatives, les villes… Le "bébé" doit maintenant grandir.


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