Françoise Asso (SLU) : "Le discours sur la professionnalisation est une escroquerie"

Propos recueillis par Emmanuel Vaillant Publié le
Françoise Asso (SLU) : "Le discours sur la professionnalisation est une escroquerie"
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La mobilisation anti-LRU couve toujours. Le collectif Sauvons l'université, né en novembre 2007 du mouvement de protestation contre la loi LRU, a coorganisé, le 8 février, avec une intersyndicale une Rencontre nationale sur l’enseignement supérieur et la recherche. Françoise Asso, maître de conférences et membre du collectif Sauvons l’université , dénonce le « silence des journalistes » concernant la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, contre laquelle la « mobilisation se poursuit ».

Pourquoi cette charge sur le traitement médiatique de la loi LRU ?

Nous sommes nombreux dans les universités à avoir l’impression que tout le monde fait comme si tout allait bien, comme si la contestation de la loi LRU s’était arrêtée avec la fin des blocages, comme si les présidents d’université qui sont les interlocuteurs uniques du ministère parlaient au nom de tous les universitaires. La réalité est toute autre. Une grande partie de la population n’est informée ni de ce qui se passe dans les universités, ni de ce que signifie la réforme mise en oeuvre. L’opposition à cette loi est toujours vive. Il suffit de se rendre sur le site du collectif Sauvons l’université et sur quelques autres pour s’en rendre compte.

Les universitaires seraient-ils « inaudibles » ?

Aujourd’hui, chacun est entraîné dans l’idée qu’il faut « réformer ». Vouloir réformer, c’est « moderne ». S’opposer, de ce fait, devient un comportement réactionnaire, un signe d’immobilisme, de passéisme. En réalité, on n’a plus le droit de réfléchir. Le terme même d’intellectuel est d’ailleurs aujourd’hui une insulte. Nombreux sont ceux qui estiment que les profs en général et les universitaires en particulier sont des gens « qui ne fichent rien, qu’il y en a trop, et qu’il faut les mettre au pas ». Et l’on reproduit un discours commun sur le mode : les universitaires ne veulent pas changer, ils ne se rendent pas compte que le monde évolue. Par ailleurs, on ne cesse de dire que l’université n’a pas connu de réforme depuis des années. C’est une contre-vérité évidente quand on pense à la réforme LMD ou à la semestrialisation, imposée dans des disciplines où l’on a besoin de temps. Nous nous opposons à la loi LRU parce que, sur de nombreux points, nous estimons qu’elle est mauvaise et dangereuse.

Quels sont justement les points contestés ?

On entend dire que les universitaires refusent l’autonomie : c’est le contraire. Étant donné le nouveau mode de gouvernance institué et le recours important aux fonds privés, l’université ne sera plus indépendante, ni du ministère ni des entreprises. Sans compter que le statut des enseignants-chercheurs est gravement remis en cause.

Pourquoi êtes-vous opposée au nouveau mode de gouvernance ?

Réduire le nombre d’instances décisionnelles pouvait être une bonne idée. Seulement la loi donne plus de pouvoirs à un président qui en avait déjà énormément, et ce sans permettre l’existence de contre-pouvoirs. Les différents conseils n’ont plus qu’un avis consultatif. On se retrouve dans un système d’oligarchie, avec un groupe restreint de décisionnaires n’ayant aucun compte à rendre pendant toute la durée de leur mandat.

À l’heure où les universités sont sous-dotées, le développement des financements privés n’est-il pas indispensable ?

L’université a absolument besoin d’argent : il suffit de voir l’état de délabrement des locaux dans lesquels nous travaillons pour s’en rendre compte. Je ne suis pas, quant à moi, opposée par principe à l’argent du privé. Mais cela ne doit pas entraîner un désengagement financier de l’État ; et un contrôle est absolument nécessaire pour que ce ne soient pas les entreprises qui donnent forme à l’université en fonction de leurs propres besoins. On sait aussi que l’argent n’ira pas dans certaines disciplines : dans ces conditions, la loi va accentuer la disparité qui est déjà très grande entre les universités mais aussi entre les disciplines. Autant dire que la littérature et les sciences humaines sont évidemment menacées.

On a l’impression que deux visions de l’université s’opposent encore. D’un côté, une université ouverte à la professionnalisation, de l’autre, une université tournée vers les savoirs. Sont-elles incompatibles ?

Il faut le dire clairement : le discours actuel sur la professionnalisation à l’université est une escroquerie. Si, dès la première année, on pense les formations en termes de compétences à acquérir pour une insertion professionnelle immédiate, on va « formater » des gens qui risquent d’être condamnés à occuper des emplois sans réel intérêt. C’est le contraire de ce qui se fait dans plusieurs pays anglo-saxons où l’on sait qu’à un certain niveau d’études les disciplines censément « inutiles » deviennent « utilisables ». L’université n’est pas une école professionnelle : elle doit continuer de permettre d’acquérir des savoirs – et non des savoir-faire. Un lieu de savoir et de recherche, qui développe des capacités de réflexion et de critique, n’est pas déconnecté de ce que certains appellent la « réalité » du marché du travail. Au contraire. Mais j’ai bien conscience que la vision que nous défendons peut paraître dépassée dans une société qui se désintéresse de la formation intellectuelle. Il n’est pas excessif de dire que le pouvoir en place désire à l’évidence notre disparition.

Notes * Maître de conférences en littérature française à l’université de Lille 3, elle a publié une tribune dans Libération le 18 janvier 2008 (« Relents d’omerta sur les universités »).
** Présidée par Jean-Louis Fournel, professeur à Paris 8 Saint-Denis, Sauvons l’université vient de déposer un statut d'association. Son site : www.sauvonsluniversite.fr

Propos recueillis par Emmanuel Vaillant | Publié le