Françoise Fabre (directrice adjointe de la valorisation du CEA) : "Une fois les résultats de recherche publiés, il n’est plus possible de déposer un brevet"

Propos recueillis par Frédérique Letourneux Publié le
Françoise Fabre (directrice adjointe de la valorisation du CEA) : "Une fois les résultats de recherche publiés, il n’est plus possible de déposer un brevet"
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IncubAlliance, l’incubateur qui se situe au coeur du dispositif de valorisation du plateau de Saclay, a inauguré ses nouveaux locaux en janvier 2009. Il regroupe déjà l’ensemble des partenaires du projet Campus du plateau de Saclay. Son rôle ? Soutenir le long processus de maturation des projets jusqu’à la création d’une start-up. Anticipant la création du campus sur le plateau, des établissements ont déjà mis en commun leurs outils de valorisation en créant, en octobre 2006, Digiteo, un réseau thématique de recherche avancée (RTRA) dans le domaine du logiciel. Bilan et perspectives avec Françoise Fabre, directrice adjointe de la valorisation du CEA, présidente d’IncubAlliance et du comité Digiteo valorisation, qui occupe une place centrale dans ce dispositif.

Quelle place occupe Digiteo dans le schéma de valorisation du plateau de Saclay ?

Digiteo valorisation permet une vraie synergie entre les différents établissements du réseau et une mise en commun de leurs compétences. Nous faisons à la fois des études marketing et de concurrence, nous encadrons l’aspect juridique et le dépôt de brevets, et veillons sur toute la phase de maturation technique, qui consiste à transformer un projet scientifique en un produit répondant à un marché. Une fois par an, Digiteo sélectionne cinq projets de valorisation portés par au moins deux des partenaires du RTRA pour apprendre à valoriser ensemble. Chaque projet peut durant un an bénéficier d’un coaching personnalisé, avec l’intervention conjointe d’un ingénieur marketing, d’un cabinet spécialisé dans le droit des brevets et d’un ingénieur développeur. C’est un système qui marche tellement bien que Digiteo a été retenu dans le cadre d’un projet européen qui doit débuter en janvier 2009 (avec huit pays différents) dont l’objectif est de répertorier les bonnes pratiques de valorisation existantes dans le domaine du logiciel.

Quelles sont, selon vous, les clés d’un processus de valorisation réussi ?

Il faut à la fois être au plus près des chercheurs et des équipes et en même temps favoriser l’aspect « cluster » (c’est-à-dire la coordination de différents établissements). Cela permet d’atteindre une masse critique de moyens et de compétences très pointues, notamment en marketing ou dans les domaines juridiques, dont chacune des cellules de valorisation prises individuellement
ne peut pas disposer. C’est aussi très important de connaître toute la chaîne, de l’idée qui émerge d’un laboratoire à sa valorisation industrielle... et de créer des liens entre tous les acteurs : le monde académique, les PME, les acteurs politiques locaux, les business angels, etc. Avec les pôles de compétitivité, comme System@tic, nous avons appris à nous connaître et à travailler ensemble sur un territoire donné et nous poursuivons le dialogue au sein d’IncubAlliance . Une bonne opération de valorisation ne consiste pas seulement à faire un simple transfert de technologie, mais également à encourager la persistance des liens entre les entreprises créées et les laboratoires de recherche, à travers des contrats de recherche récurrents.

On a coutume de parler d’une rupture entre les chercheurs et le monde industriel... Percevez-vous une évolution en la matière ?

Il est vrai que les choses commencent à changer un peu, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir. Quand un chercheur a une idée, son premier réflexe est de la publier, dans l’attente d’une reconnaissance par ses pairs et le monde académique. Or, une fois que les résultats ont été publiés, il n’est plus possible de déposer un brevet. Mais, à l’inverse, il ne sert à rien de protéger une innovation technique s’il n’existe pas de marché. Il est donc indispensable de faire une étude marketing et de très bien connaître l’écosystème dans lequel est inclus le projet avant d’engager des frais importants.

Mais le monde académique est-il réellement équipé pour mener une telle étude marketing ?

Les structures de valorisation des universités manquent effectivement souvent de moyens et d’effectifs pour conduire une telle démarche. Le cas du CEA est, en la matière, un peu à part, dans la mesure où une grande partie du budget doit être chaque année abondée par des contrats établis avec des industriels. C’est tout l’intérêt de Digiteo de pouvoir mutualiser nos compétences et d’en faire profiter nos partenaires. Et le résultat est là : de nombreux projets de transfert vers le monde économique émergent et sont pérennisés. Encore une preuve de l’importance de la synergie aussi bien au niveau de la valorisation que de l’incubation.

Plateau de Saclay : les clés d’une innovation réussie
L’une des ambitions du projet de campus du plateau de Saclay est de développer l’innovation : cela passe d’abord par les partenariats avec les industriels par exemple dans le cadre des pôles de compétitivité tels que System@tic. Mais cela passe aussi, au sein des laboratoires, par la détection puis la valorisation des projets qui seront soit transférés à un industriel, soit portés par une start-up soutenue par l’incubateur local IncubAlliance. Mais, avant de créer des start-up, il y a un long processus de maturation des projets qui n’est généralement pas financé par les laboratoires et qui est pourtant capital pour une innovation réussie.

Propos recueillis par Frédérique Letourneux | Publié le