Geneviève Fioraso : "Il n'y a pas de miracle en matière de financement des universités"

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
Geneviève Fioraso : "Il n'y a pas de miracle en matière de financement des universités"
Geneviève Fioraso, ancienne ministre et secrétaire d'État à l'Enseignment supérieur et à la Recherche. // ©  Bruno Moyen
Alors que l'heure du bilan du quinquennat Hollande a sonné, Geneviève Fioraso revient, deux ans après sa sortie du gouvernement, sur les critiques à l'encontre des Comue et le manque de moyens des universités.

Ministre puis secrétaire d'État de l'Enseignement supérieur et de la Recherche de 2012 à 2015, vous avez fait adopter la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche de juillet 2013. Quels étaient vos objectifs et quel bilan faites-vous de l'action menée sous ce quinquennat, deux ans après votre départ ?

Ma priorité a toujours été les conditions de vie des étudiants, ce qui n'a pas forcément fait l'unanimité. Par rapport à cet objectif, nous n'avons pas à rougir du bilan de ce quinquennat.

Je tenais à m'occuper des bacheliers technologiques et professionnels, souvent issus d'un milieu modeste, qui échouent massivement en licence par rapport aux bacheliers généraux, en intervenant en amont sur leur orientation. Nous avons réussi à augmenter de 11 % leur accès en STS et en IUT : ce n'est pas suffisant car ils représentent 50 % des bacheliers et cette orientation prioritaire doit être amplifiée.

Nous avons aussi relancé le plan Campus, qui était en panne à cause de la procédure imposée des PPP [partenariats public-privé], ce qui a eu un impact sur la rénovation des campus et les conditions de vie des étudiants : 42.000 logements étudiants de plus seront construits d'ici à la fin de 2018, un chiffre jamais atteint. De plus, 550 millions d'euros ont été dégagés pour les bourses à destination des étudiants les plus défavorisés mais aussi issus du bas des classes moyennes.

Nous avons enfin favorisé une pédagogie nouvelle, avec les Mooc, les amphis inversés, les espaces de coworking, et nous avons simplifié l'offre de formation pour les étudiants, leurs familles et leurs futurs employeurs. Ce n'était pas si facile de passer de 5.000 intitulés de masters à 250 : nous l'avons fait, en concertation.

Malgré ces mesures, le fond du problème soulevé par les syndicats et la CPU [Conférence des présidents d’université] reste le manque de moyens des universités pourtant confrontées à un afflux massif d'étudiants. L'augmentation du budget de l'ESR sur le quinquennat semble peu de chose en comparaison avec ce que préconise le livre blanc : 1 milliard d'euros supplémentaire par an...

L'afflux d'étudiants à l'université est positif : cela prouve la confiance. Il a été compensé dans les budgets 2016 et surtout 2017. Dans un contexte financier très contraint, de 2012 à 2015, je me suis battue pour avoir un budget en constante augmentation, même si cela restait insuffisant. Thierry Mandon a fait de même. Le dernier budget, pour 2017, a bénéficié d'une augmentation globale de 850 millions d'euros, qui a largement bénéficié aux universités, moins à certains organismes de recherche qui en ont aussi besoin.

Bien entendu, un milliard d'euros supplémentaire pour le budget global de l'ESR serait bienvenu, mais il n'y a pas de miracle possible. Les moyens, c'est soit l'État, avec les contraintes que l'on connaît, soit les entreprises, soit les étudiants via les frais d'inscription. On devrait d'ailleurs revoir la possibilité d'une augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers hors Union européenne, surtout à partir du master, mais cette proposition se heurte à de nombreuses résistances que j'ai pu mesurer.

On ne perd pas son âme en travaillant avec des entreprises.

Il est également aberrant de constater que les universités ne bénéficient que de 4 % des 24 milliards de la formation continue. Il faut enfin développer les partenariats avec le privé. On ne perd pas son âme en travaillant avec des entreprises. Personne n'imagine en Allemagne ou aux États-Unis, où les partenariats sont plus nombreux qu'en France, que cela influence le contenu académique. Le problème, c'est que ce sont deux mondes qui s'ignorent encore trop. Pourtant, cela faciliterait aussi l'insertion professionnelle des étudiants.

Avez-vous des regrets sur les Comue ? Elles font aujourd'hui l'objet de vives critiques, la plupart des acteurs dénonçant leur trop grande rigidité et le temps passé sur les statuts au détriment des projets...

L'objectif de la loi était de faire en sorte que les gens se parlent sur un même site pour définir une stratégie commune en matière d'ESR. Une grande liberté était laissée aux acteurs – Comue, fusions, associations – en fonction des spécificités du site.

Le CGI pose un problème de démocratie.

Cette politique de regroupements, je trouve qu'elle a plutôt bien fonctionné, surtout dans les régions, car tout est plus compliqué en Île-de-France. Si les discussions ont été longues, c'est parce que les acteurs ne se parlaient pas auparavant et qu'ils font l'apprentissage de la prise de décision collective et du partenariat de site. Avec trois ans de recul, il faut sûrement simplifier certaines instances qui, à l'usage, paraissent trop lourdes : cela doit se faire sur le terrain, en concertation et à l'initiative des acteurs eux-mêmes.

J'aimerais par ailleurs souligner l'ironie de la situation. Aujourd'hui, certains demandent à bénéficier de dérogations pour obtenir le statut de grand établissement, alors qu'en 2013 la demande de suppression de cette mesure prévue par le projet de loi avait été unanime. Il y a donc des évolutions à faciliter, mais sans y passer non plus trop de temps car la gouvernance des universités n'est pas la priorité des Français. À juste titre, LA priorité, c'est la réussite du parcours des étudiants, leur insertion professionnelle et la qualité de la recherche, source de progrès pour la société.

Quel bilan faites-vous de la politique des investissements d'avenir ?

Par nature, je ne suis pas défavorable aux appels à projets et les PIA ont insufflé une dynamique en identifiant des actions précises (Idex, Idefi, Labex...), même s'ils ont contribué à multiplier les couches de structures nouvelles. Placé directement auprès du Premier ministre, le CGI (Commissariat général à l'investissement) a eu tendance à développer ses propres règles et structures, en toute autonomie des circuits décisionnels politiques : cela pose un problème de démocratie.

Vous avez été ministre puis secrétaire d'État. Au vu de cette double expérience, pensez-vous qu'il est nécessaire d'avoir un ministère dédié à l'Enseignement supérieur et à la Recherche ?

Il est indispensable d'avoir un ministère dédié à l'Enseignement supérieur, à la Recherche et, je rajouterai, à l'Innovation, pour deux raisons essentielles. D'abord parce que le développement des pays, sur le plan économique comme social, s'appuie de plus en plus sur une société de la connaissance, ensuite parce c'est une reconnaissance de l'excellence française en matière de formation comme de recherche dans des domaines aussi divers que la santé, l'économie,les humanités, le spatial...

Il est indispensable d'avoir un ministère dédié à l'Enseignement supérieur, la Recherche et, je rajouterai, à l'Innovation.

Le président de la République s'intéressait-il aux universités ?

Oui, mais comme beaucoup de membres du gouvernement et quasiment toute la haute administration publique, il n'a pas été formé à l'université. Ma volonté d'ouvrir la haute fonction publique aux titulaires de thèses universitaires n'a pas rencontré un accueil enthousiaste, c'est peu de le dire, et j'ai entendu à cette occasion quelques contrevérités affligeantes sur les universités. Mais il faut persévérer pour avoir des décideurs venant d'horizons et de cultures plus diversifiés.

Quel serait selon vous le profil idéal du futur ministre de l'Enseignement supérieur ?

Cela facilite la tâche d'être issu du milieu universitaire mais il faut aussi avoir une sensibilité particulière à l'innovation, ce qui implique une connaissance du milieu économique et du contexte européen et international. Ce n'est pas évident de trouver quelqu'un qui coche toutes ces cases.

Ce serait bien que ce soit une femme : j'ai mis la parité à tous les étages dans la loi de 2013, mais le plafond de verre est tenace et les résistances sont bien là. Il y a même eu des recours contre la loi, heureusement rejetés, sous prétexte que le vivier ne permettait pas la parité. Pour un milieu qui produit autant d'études sur le genre, c'est navrant. J'espère que le président Macron aura l'audace de choisir un ou une ministre qui ait une certaine ouverture. 

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le