Gérard Giraudon : "L'éthique est à prendre en compte dans la recherche liée aux EdTech"

Céline Authemayou Publié le
Gérard Giraudon : "L'éthique est à prendre en compte dans la recherche liée aux EdTech"
L'Inria a inscrit l'éducation dans ses plans stratégiques depuis 1994. // ©  Inria / Photo Kaksonen
Veiller à la protection de la vie privée des étudiants tout en personnalisant leur formation grâce aux outils numériques. Tel est le défi aujourd'hui du système éducatif, selon Gérard Giraudon. Le directeur du centre de recherche de Sophia-Antipolis de l'Inria fait le point sur les recherches dans les EdTech à l'occasion de la conférence Ed_Up du 15 décembre.

Gérard Giraudon, directeur du centre de recherche INRIA Sophia AntipolisDepuis combien de temps l'Inria s'intéresse-t-elle aux EdTech ?

Nous organisons une journée dédiée aux EdTech ce 1er décembre, mais c'est une thématique que nous avons identifiée il y a déjà un certain nombre d'années. Dès 1994, l'Inria a inscrit l'éducation dans ses plans stratégiques. En 1999, nous criions déjà que le numérique allait arriver dans ce secteur mais nous n'étions pas très entendus...

Nous avons donc préféré nous concentrer sur le domaine de la santé. Mais, depuis cette date, nous observons le secteur, nous continuons de suivre attentivement ce qu'il s'y passe. C'est pour cela que nous avons pu être réactifs dès l'apparition des premiers Mooc, à la fin des années 2000, prémices au lancement de Courseraen 2012.

Nous avons tout de suite vu les enjeux déontologiques et éthiques liés à ces initiatives. À l'époque, nous avions sensibilisé le ministère de l'Éducation nationale sur le fait qu'il fallait très vite mettre en place une offre publique française, francophone, pour éviter que le marché soit phagocyté par les grandes plates-formes américaines. Il est primordial que des alternatives à ces projets portés par des entreprises et donc, à vocation commerciale, existent.

Cette réflexion a donné naissance à FUN (France université numérique). L'Inria a conçu la plate-forme, à partir d'un modèle open source, appelé Open EdX. C'est cette plate-forme qui porte notamment EdX. Le développement s'est fait en quelques mois.

En juin 2016, vous avez créé un Learning Lab, dédié aux EdTech. Quel est son objectif ?

Jusqu'à présent, l'Inria disposait d'un groupe qui s'occupait de la conception des Mooc et de leur mise en ligne. Nous avons décidé d'adjoindre une seconde mission à ce pôle : elle consiste à fédérer les différentes équipes de recherche Inria travaillant de près ou de loin sur la problématique des EdTech. Cela va du big data au web sémantique en passant par le machine learning, la sécurisation des réseaux, etc. Sur les 180 équipes projets que compte l'Inria, cela en représente une vingtaine.

Outre les Mooc, portés entre autres par Coursera, EdX et FUN, quelles sont les autres innovations technologiques à l'étude ?

Il n'y a pas de réponse unique. Cela reviendrait à désigner le meilleur instrument d'un orchestre symphonique ! Ce qui est sûr, c'est que pour développer toutes les nouvelles pratiques pédagogiques, il fallait qu'il y ait Internet, qu'il y ait le haut débit. Tout cela est fait, l'infrastructure est en place.

L'adaptive learning est un pan important de vos recherches. Pour quelles raisons vous intéressez-vous à ce domaine ?

L'adaptive learning, c'est la capacité à mettre en place des outils pour personnaliser la façon dont l'information va être délivrée. Cela concerne aussi bien le secteur de la santé que celui de l'éducation. De tout temps, les cours individuels ont toujours été plus performants que les cours collectifs, pour une raison simple : le professeur a plus de temps et il peut s'adapter à l'élève. Quand vous avez un enseignant dans une classe hétérogène de 35 élèves, c'est compliqué de personnaliser !

L'exemple classique d'adaptive learning est celui de l'apprentissage des divisions à virgule, en mathématiques : certains enfants échouent à cet exercice car ils ne maîtrisent pas les divisions simples. Un programme personnalisé détermine pourquoi ils butent sur les exercices et renvoie ainsi les enfants vers des exercices plus simples, pour acquérir les compétences de base avant de poursuivre. L'algorithme s'adapte.

Dans ce système, les données deviennent-elles donc la clé ?

Exactement, avec une problématique cruciale à prendre en compte, celle du respect de la vie privée. Car une fois que vous proposerez de l'apprentissage personnalisé, vous engrangerez des données sur les modes d'apprentissage des utilisateurs. C'est pourquoi les questions d'éthique sont à prendre en compte dans toutes les recherches.

Pour avoir la meilleure efficience dans ce domaine, il faut imaginer simultanément les outils pédagogiques et leurs contenus.

Pour vous, le contenu pédagogique doit être conçu en étroit lien avec les outils eux-mêmes. Pour quelles raisons ?

Aujourd'hui, vous avez énormément de contenus disponibles. Prenez l'exemple des éditeurs de livres scolaires, qui se demandent comment numériser leurs ouvrages à moindre coup. S'ils partent sur ce modèle-là, ils vont se faire ubériser ! Je suis convaincu que pour avoir la meilleure efficience dans ce domaine, il faut imaginer simultanément les outils pédagogiques et leurs contenus. En faisant cela, vous pouvez ainsi intégrer des contraintes telles que la sécurité, la vie privée, etc.

Mais cela n'est pas aisé, car il faut réunir des personnes qui ont le savoir pédagogique et d'autres qui ont les outils. C'est là tout l'enjeu...

L'arrivée du numérique dans l'éducation questionne inévitablement sur le rôle de l'enseignant...

La façon dont on délivre le savoir du haut de l'estrade, face à des gens passifs va disparaître. À l'enseignant de la classe de Jules Ferry, va succéder le professeur du 21e siècle, qui peut s'aider d'outils pour suivre individuellement sa classe de 35 élèves. Il ne sera plus dans la délivrance du savoir, mais dans le pilotage, dans l'accompagnement.

Le rôle du professeur va changer et cela ne se fera pas sans douleur. Ces évolutions vont crisper, cristalliser les craintes autour de la machine venant remplacer le professeur. Mais la question n'est pas de savoir si l'enseignant va disparaître mais plutôt comment ce dernier va s'emparer des outils pour personnaliser son enseignement et avoir une relation privilégiée avec ses élèves. À l'Éducation nationale de s'adapter et à l'enseignant de trouver sa place.

Ed_Up, l'événement EdTech d'EducPros
Le 15 décembre 2016, EducPros organise sa première conférence Ed_Up, en partenariat avec la Caisse des dépôts. Conçu pour connecter établissements, entrepreneurs et chercheurs travaillant sur les EdTech dédiées à l'enseignement supérieur, l'événement proposera keynotes d'experts, networking et ateliers collaboratifs.
Céline Authemayou | Publié le