Grandes écoles : un livre blanc pour soutenir l'innovation pédagogique

Céline Authemayou Publié le
Grandes écoles : un livre blanc pour soutenir l'innovation pédagogique
Pour Jean-Christophe Hauguel, directeur général adjoint de l'EM Normandie, "les dix années à venir seront celles où l'on redonnera à la pédagogie une place cruciale." // ©  EM NORMANDIE
À l'occasion d'un colloque dédié à l'innovation pédagogique, le 18 mai 2017, la Conférence des grandes écoles a publié un livre blanc consacré au sujet. Elle y livre six propositions pour remettre la pédagogie au cœur du développement des écoles de management. Explications avec Jean-Christophe Hauguel, coordinateur du document.

nullDans quel contexte ce livre blanc, dédié à la pédagogie innovante en écoles de management, a-t-il été rédigé ?

Il y a trois ans, la Conférence des grandes écoles a créé, au sein du Chapitre des écoles de management, un groupe "innovation pédagogique", à l'initiative de Loïc Roche. Pendant trois ans, une quinzaine de représentants d'établissements – enseignants-chercheurs, responsables de programme, responsables pédagogiques, etc. – se sont réunis régulièrement, pour échanger sur leurs pratiques.

En 2016, a émergé l'idée qu'il fallait que nous partagions nos réflexions. Car, au fil des discussions, nous en sommes arrivés à un même constat : dans les écoles de management, un investissement très fort est fait en matière de pédagogie, de transformation pédagogique, d'innovation numérique, etc. Mais cet investissement n'est pas assez pris en compte, et ce, par trois grandes catégories d'acteurs : les tutelles, les organismes accréditeurs et les palmarès, qui ne tiennent pas compte de la pédagogie comme critère de classement.

Depuis quinze ans, un GPS guide les établissements dans leur développement : c'est la recherche. Mais la grande oubliée reste la pédagogie. On pense, et on le sent, que les dix années à venir seront celles où la pédagogie retrouvera une place cruciale.

Quels éléments vous confortent dans cette analyse ?

De nouveaux outils pédagogiques apparaissent, numériques ou non, il y a une nouvelle génération de professeurs, d'étudiants... Nous assistons à une sorte d'alignement des planètes faisant qu'il est temps de reparler de pédagogie !

Vous évoquez l'investissement mené par les écoles en matière d'innovation pédagogique. S'agit-il uniquement d'une question de budget ?

C'est un élément parmi d'autres. Le développement de ces innovations passe à la fois par du temps (à la fois pour les enseignants que pour les étudiants), des outils (espaces pédagogiques en ligne par exemple) et de la formation. Sur ce dernier point, il faut former les enseignants à envisager leur métier de manière évolutive, à changer de posture, à passer dans une logique de co-construction avec leurs étudiants.

Depuis quinze ans, un GPS guide les établissements dans leur développement : c'est la recherche. Mais la grande oubliée reste la pédagogie.

Votre livre blanc liste six propositions visant à améliorer la prise en compte de l'innovation pédagogique au sein des écoles de management. La première évoque la création d'une commission d'évaluation de la pédagogie dans les écoles. Quelle forme cette entité pourrait-elle prendre ?

Tout reste encore très ouvert. Ce que l'on constate, c'est que les établissements d'enseignement supérieur sont soumis à des évaluations diverses, pour leurs programmes, pour leur recherche, pour leur organisation institutionnelle, avec le HCERES notamment. Mais il n'existe pas de commission nationale, centrale, dédiée à la pédagogie.

Nous proposons quelque chose pouvant être mené par les tutelles, pour évaluer la pédagogie au sens large : rythmes d'enseignement, volumes horaires, outils utilisés, objectifs pédagogiques définis et mesurés... Cela engagerait forcément une approche réflexive de la part des établissements.

Cette commission délivrerait-elle un label, par exemple ?

Pourquoi pas. Nous n'en sommes pas à ce niveau de détail, mais on sait que les tutelles s'interrogent beaucoup sur le sujet. Nous imaginons, à ce stade, une évaluation périodique, assortie de recommandations...

Autre proposition : la valorisation des pédagogies innovantes dans le recrutement et la carrière de l'enseignant. Ce qui n'est pas vraiment le cas aujourd'hui...

Pour préparer le livre blanc, nous avons mené une enquête auprès de 158 enseignants d'écoles de management. On leur a demandé si les questions de pédagogie avaient été prises en compte durant leur recrutement ou encore dans leur promotion. Les résultats sont assez éloquents : 38 % des enseignants affirment qu'aucune pièce relative à la pédagogie n'était demandée dans le dossier ayant permis leur recrutement. Pour 25 % d'entre eux, il n'a même jamais été question de pédagogie durant leur entretien.

38 % des enseignants affirment qu'aucune pièce relative à la pédagogie n'était demandée dans le dossier ayant permis leur recrutement.

De plus, 80 % des sondés le disent très clairement : ce qui compte dans leur carrière, c'est la recherche. Viennent ensuite les qualités pédagogiques (un peu plus de 50 %) et la participation à la visibilité externe de l'institution.

Ces chiffres prouvent qu'il faut encore beaucoup progresser en la matière, alors que les écoles de management sont déjà en avance sur ce sujet...

Que proposez-vous ?

Il faut qu'il y ait des incitations fortes, que des résultats en matière de pédagogie soient pris en compte dans l'évolution de carrière des enseignants.

Ce qui est compliqué, c'est que la pédagogie peut être plus complexe à évaluer que la recherche, qui dispose d'indicateurs tangibles, comme le nombre de publications…

La difficulté d'évaluation de la pédagogie est pour moi une idée reçue. Il existe des façons très objectives de mesurer les actions menées en la matière. Des pays sont très en avance sur ces sujets, à l'image de l'Australie ou encore de l'Irlande. La Dublin City university par exemple, met à la disposition des enseignants une liste de 13 critères destinés à guider leurs pratiques.

Votre document s'adresse aux écoles de management. A-t-il vocation à s'adresser aux autres établissements membres de la CGE, notamment les écoles d'ingénieurs ?

Bien sûr. Nous répondrons présent aux sollicitations, s'il y en a. Nous attendons que les tutelles s'approprient ces propositions, pour faire évoluer leurs critères d'évaluation. Mais l'objectif est également de partager les bonnes pratiques, dans un but collaboratif.

Céline Authemayou | Publié le