Interview exclusive de Refaât Chaâbouni (ministre tunisien de l’Enseignement supérieur) : « Dès la révolution, nous avons éliminé la police universitaire »

Propos recueillis à Tunis, par Guillaume Mollaret Publié le
Interview exclusive de Refaât Chaâbouni (ministre tunisien de l’Enseignement supérieur) : « Dès la révolution, nous avons éliminé la police universitaire »
Photo de G. Mollaret // © 
Refaât Chaâbouni aurait pu ne pas survivre au changement de régime tunisien après la révolution du 14 janvier 2011. Ancien secrétaire d’État sous Ben Ali, ce maître de conférences en chimie, formé en France et aux États-Unis, a été rappelé pour conduire les réformes dans l’enseignement supérieur tunisien. Son programme : finir l’année universitaire, accompagner le changement des gouvernances dans les universités, avec la fin de la police universitaire. Et rationaliser l’offre de formations pour éviter le gâchis des diplômés au chômage. Interview exclusive avec le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche tunisien.


Dans quel état se trouve votre ministère après la révolution du 14 janvier 2011, et le départ du président Ben Ali ?

Je dirai que le ministère est dans un état satisfaisant parce que c’est un ministère qui est doté de pas de mal de compétences, avec des directeurs généraux ayant une longue expérience, des cadres de haut niveau et, surtout, il y a ces mêmes prolongements au niveau des universités avec des présidents [deux sur treize ont été évincés, NDLR], des doyens, des directeurs… En réalité, la machine administrative est en état de fonctionnement. Bien sûr, après des changements successifs de ministres de l’Enseignement supérieur [au nombre de deux depuis la révolution, NDLR], il y a eu une période de flottement, mais cela n’a pas touché l’administration. Grâce à ces commis de l’État, les choses ont continué à se faire normalement.

Les enseignants et les étudiants tunisiens ont été à la pointe de la contestation cet hiver. Comment s’est passé le retour dans les amphis ?

On peut saluer la très grande maturité des étudiants. Après la révolution et une période d’ajustement d’un mois et demi, les choses sont parfaitement rentrées dans l’ordre. Deuxième point, il y avait une police universitaire sous Ben Ali. Elle avait un local dans les établissements. Dès la révolution, nous avons éliminé cette police, et les étudiants ont montré qu’ils pouvaient se gérer eux-mêmes malgré les divergences de vues politiques qui pouvaient y avoir entre eux. Au niveau des enseignants, les collègues ont pris sur eux d’organiser des sessions de rattrapage et de revoir un certain nombre de points de programme. Du coup, il y a simplement trois semaines de décalage dans l’organisation des examens. Par ailleurs, c’est remarquable : en dehors des heures d’enseignement, ils ont invité des conférenciers pour expliquer ce qu’est la démocratie aux étudiants.

Quels sont les objectifs de votre ministère d’ici aux élections prévues le 24 juillet 2011 ?
Depuis ma prise de fonction le 7 mars 2011, je poursuis trois objectifs. Le premier : faire en sorte de sauver cette année universitaire. Ensuite, réussir la prochaine rentrée. Enfin, instaurer des pratiques démocratiques au sein des universités. Un certain nombre de choses vont changer. Au niveau de la gouvernance des établissements d’enseignement supérieur et des universités, il y aura des élections au mois de juin 2011. Nous avons en fait démocratisé la direction des instituts, des écoles, ainsi que la présidence des universités [auparavant désignée par le ministre de l’Enseignement supérieur, NDLR]. Ces gouvernances seront dès lors légitimes. Les étudiants seront membres des différents conseils universitaires, mais ne prendront pas part à l’élection des présidents. Ce sont les enseignants qui choisiront.

Enfin, nous allons changer l’offre de formations à moyen terme. Nous allons supprimer toutes les licences à faible taux d’employabilité. La professionnalisation de l’université, tout le monde y souscrit. Il y a cinq ans, le ministère avait institué la présence de deux licences professionnelles pour une licence fondamentale. Du coup, nous avons un nombre incalculable de formations. Désormais, l’urgence est de rationaliser l’offre, et de faire en sorte que notre LMD permette à chaque étudiant de créer son propre parcours. Comme en Europe. Mais cela va nécessiter du temps.

Est-ce ainsi que vous comptez résorber le chômage chez les diplômés ?
Selon les dernières statistiques, la Tunisie enregistre entre 25 et 30 % de chômage parmi ses diplômés. Ce chômage est dû à la faiblesse de la formation, mais aussi à l’économie. Pendant des années, l’économie tunisienne a peu embauché de diplômés, alors que leur nombre explosait. Parallèlement à l’amélioration de la qualité de l’enseignement supérieur, il faut considérer le système de formation dans sa globalité et notamment rendre les voies professionnelles de type BEP plus nombreuses et plus attractives. Nous devons travailler en étroite collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Emploi et de la Formation professionnelle.

Comment envisagez-vous les échanges internationaux ?
Ils sont absolument nécessaires. Il faut développer les stages à l’étranger. En France, en Allemagne, en Italie…

Vous n’avez pas peur d’une fuite des cerveaux ?
Ces étudiants ont fait une révolution. Je n’ose pas imaginer qu’ils n’aient pas à cœur de participer à la construction de la Tunisie.

Comptez-vous sur un poste de ministre après les élections du 24 juillet ?
Ce n’est pas ma préoccupation du moment.

Refaât Chaâbouni, un ancien ministre de Ben Ali resté en poste

Sous le régime de Zine El-Abidine Ben Ali, Refaât Chaâbouni (63 ans) était secrétaire d’État chargé de la recherche scientifique depuis janvier 2010. Ainsi, il est un des trois ministres, avec celui de la Planification et de la Coopération internationale, ainsi que celui de l'Industrie et de la Technologie, à être restés en poste à la suite de la révolution du 14 janvier 2011. Discret, Refaât Chaâbouni a été promu le 7 mars 2011 ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche consécutivement à un remaniement ministériel. Il n’a pas été contesté par la population et les politiques tunisiens. « Je suis un technocrate. Je n’ai jamais fait de politique, et n’ai jamais eu de carte dans le parti de l’ancien président », se justifie l’intéressé.

Diplômé d’un doctorat ès sciences en chimie industrielle à l’université Lyon 1 en 1975, Refaât Chaâbouni a ensuite effectué une année postdoc à l’université de Californie avant de rejoindre l’École nationale d’ingénieurs de Tunis où il devient enseignant. Rentré dans son pays, il sera le deuxième Tunisien titulaire d’un titre français de maître de conférences. Directeur du département chimie, il prend une année de disponibilité pour devenir directeur de recherches au CNRS à Toulouse. De retour à Tunis, il est nommé directeur de la planification et de la coopération internationale au ministère des Sciences et de la Technologie, « tout en continuant d’enseigner », précise-t-il.

L’enseignement supérieur tunisien en chiffres

• Nombre d’établissements : 163, dont 13 universités.
• Nombre de laboratoires de recherche : 615.
• Nombre d’étudiants : 357.472, dont 60,1 % de femmes.
• Nombre d’étudiants étrangers : 2.203.
• Taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur : 37,6 % en 2009-2010, 6 % en 1986-1987.
• Part dans le budget de l’État : 6,10 %.

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