Jacques Bittoun : "Sans l'Idex, l'Université Paris-Saclay pourrait se décomposer"

Céline Authemayou, Camille Stromboni Publié le
Jacques Bittoun : "Sans l'Idex, l'Université Paris-Saclay pourrait se décomposer"
Jacques Bittoun, à la tête de l'université Paris-Sud depuis quatre ans, revient sur l'un des principaux dossiers de son mandat : la construction de l'Université Paris-Saclay. // ©  CS
Jacques Bittoun va quitter la tête de l’université Paris-Sud en mai 2016. À l’heure du bilan, le président souligne le chemin parcouru au sein de l'Université Paris-Saclay, malgré les crises. Entretien, alors que les représentants du jury de l'Idex réalisent leur visite sur site le 29 mars 2016.

S’il est un dossier sensible que vous avez porté durant votre mandat, c’est la construction de l’Université Paris-Saclay. Avec une dernière année rythmée par la crise avec les grandes écoles autour de l’évaluation de l’Idex. Vous y croyez toujours ?

Je défends ce projet depuis ma candidature à la présidence de l’université : c’est l’opportunité de remettre le système de l’enseignement supérieur français aux standards internationaux. Le dossier d’Idex de Paris-Saclay que nous avons rendu en décembre 2015 est porté par ses 18 membres et il est tout à fait fidèle à notre projet de départ.

Il s’agit de faire la synthèse entre deux mondes jusqu’alors disjoints : celui des universités et celui des grandes écoles. Le but n’est pas d’effacer les différences mais de rapprocher ces modèles, en faisant une large part à l’hétérogénéité, comme c’est le cas dans les grandes universités de référence mondiale.

Nous savions que cela allait être difficile. Nous avons avancé au début de manière sidérante, en faisant un trajet fantastique ! À Paris-Sud, ce sont 100% des doctorats et 80% des masters qui ont été déversés dans l’Université Paris-Saclay. Alors que l’objectif fixé était de 80% pour le doctorat et de 30% pour les masters.

Alors, bien sûr, il y a des remous. Au-delà des établissements, je pense que la crise s’explique aussi par le fait que les ministères de tutelle ont commencé à beaucoup intervenir, alors que nous avions bénéficié, les premières années, d’un parapluie de protection, notamment de la part de Matignon.

Si Paris-Sud a pu, par le passé, freiner le processus de rapprochement, il semble que le ralentissement émane cette fois-ci plutôt des grandes écoles…

J’ai l’impression que, jusqu’ici, nous avons donné plus que les grandes écoles. Nous avons montré que nous voulions vraiment faire la synthèse, notamment en mettant au pot commun ce diplôme phare pour toute université qu’est le doctorat.

Le chantier concernant la mutualisation des licences commence tout juste. Bien sûr, nous restons vigilants à ce qu’il aboutisse. Il ne faudrait pas que l’on vienne dire aux universités : "Gardez vos licences" et que l’on reste dans la situation actuelle, au milieu du gué. Ce serait contraire à ce qui est prévu dans le projet d’Idex.

L'X qui poursuit ses projets de diplômes "maison"  – doctorat ou encore Bachelor –,  n’est-ce pas un signal négatif ?

Tout le monde sait que Polytechnique a vu sa main quelque peu forcée pour rejoindre le projet d’Idex en décembre dernier. Bien sûr, nous espérons qu’ils vont rester, mais ils ont leur libre arbitre. J’espère, quoi qu’il en soit, que le jury de l’Idex exigera un engagement formel de chacun des établissements membres de Saclay au sein de la convention attributive de moyens.

Si nous n’avons pas l’Idex, c’est une vraie catastrophe

Qu’adviendrait-il si le projet d’Idex était retoqué par le jury international ?

Si nous n’avons pas l’Idex, c’est une vraie catastrophe. Tout pourrait se décomposer. Bien que cela soit un très mauvais scénario pour tous les établissements de Saclay, Paris-Sud pourrait être amenée à jouer sa propre carte.

L'entrée du campus d'Orsay de l'université Paris-Sud © S.Blitman mars 2013

Au-delà de Saclay, vous avez pris la présidence de l’université en mai 2012, deux ans après son autonomie. Quel bilan en tirez-vous ?

L’université est un gros bateau qui ne vire pas d’un coup. Je crois que nous avons bien pris le virage, sur une route qui est encore longue. Nous sommes passés brutalement, en 2010, d’un régime de tutelle forte de l’État à celui des responsabilités et compétences élargies. C’est toute une révolution, impossible à devancer. Il a fallu se jeter à l’eau !

Mon chantier premier a donc été de faire évoluer l’ensemble du système de gestion de l’université. Cette réforme n’est pas terminée, il reste du chemin à parcourir, surtout dans les ressources humaines, mais je suis satisfait de la trajectoire prise. Nous avons fait avancer d’importants dossiers, par exemple la concentration des unités de recherche, qui sont passées de 120 à 80 !

La mutualisation n’était pourtant pas forcément dans la culture de l’université, avec une forte tradition facultaire…

Paris-Sud s’est construite de façon particulière, en réunissant les facultés et les IUT situés au sud de Paris, en droit, en médecine, en sciences, etc. Notre université réunit donc des composantes très fortes.

Mon objectif a été de construire un modèle proche de celui du CNRS : chaque composante est maîtresse de la formation et de la recherche dans son domaine pour toute l’université. Mais l’université est, elle, en charge de la stratégie. Avec un rôle fort pour impulser l’interdisciplinarité.

Nous avons été soumis à un régime sévère. Paris-Sud doit trouver 1,5 million d’euros de plus par an

Les mandats des présidents ont été marqués par les difficultés budgétaires qui ont suivi l’autonomie. Quelle est la situation à Paris-Sud ?

Nous avons été soumis à un régime sévère de GVT [Glissement- vieillesse-technicité, soit la progression de la masse salariale en raison de l’évolution des salaires des fonctionnaires]. Paris-Sud doit trouver 1,5 million d’euros de plus par an. Évidemment, cela use et met en difficulté notre capacité d’investissement.

Et pourtant, nous venons tout juste de commencer à geler des postes, 12 postes d’enseignants-chercheurs et 2 postes d’enseignants. Nous avons déjà rogné partout où cela était possible, notamment en réduisant les maquettes. Nous rééquilibrons aussi progressivement les effectifs d’enseignants-chercheurs entre facultés. Avec des situations historiques : celle de droit-économie-gestion est particulièrement mal pourvue au regard du nombre d’étudiants.

Mais il restera encore des mesures difficiles à prendre, avec probablement de nouveaux gels jusqu’à ce que ce coût du GVT se retourne.

Pourquoi avez-vous choisi de ne pas vous représenter ?

J’aurais pu, en effet. Mais il y a des jeunes valeureux qui pourraient apporter leur dynamisme ! Il y a quelque chose de très physique dans la fonction de président et c’est bien de passer la main.

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