Jean Bertsch, directeur de l'agence Europe Éducation Formation France : «Accroître la mobilité passe par une infusion progressive auprès des cadres de l'enseignement»

Propos recueillis par Mathieu Oui Publié le
Jean Bertsch, directeur de l'agence Europe Éducation Formation France : «Accroître la mobilité passe par une infusion progressive auprès des cadres de l'enseignement»
Jean Bertsch, directeur 2e2f // © 
À l'occasion du colloque sur la mobilité internationale, « La lettre et l'esprit », les 28 et 29 juin 2010 à Bordeaux, nous avons rencontré Jean Bertsch , directeur de l'agence 2E2F. L'événement marque les 10 ans d'existence de l'agence à Bordeaux. Son leitmotiv : convaincre les chefs d'établissement, les enseignants et les inspecteurs de l'intérêt de la mobilité aura des effets démultiplicateurs auprès des élèves et des étudiants.

En septembre 2010, cela fera un an que vous aurez été nommé à la tête de l'agence Europe Éducation Formation France. Quel est le bilan de votre action sur ces premiers mois ?

Tout d'abord, nous bouclons la réorganisation de l'agence prévue avant mon arrivée et qui doit mieux l'adapter à ses missions actuelles. Dix ans après la création du GIP, ses missions évoluent. D'un côté, nous avons la grande mission régalienne de gestion des programmes européens, l'instruction des dossiers, leur évaluation et leur financement et, de ce point de vue, l'agence fonctionne bien. Et puis, il y a la politique d'accompagnement des missions de nos trois principales tutelles, le ministère de l'Éducation, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et enfin celui de l'Économie, des Finances et de l'Emploi. C'est donc une triple politique.

Par exemple, pour le ministère de l'Éducation, il s'agit d'amener à l'international tous les cadres, chefs d'établissement ou inspecteurs. Pour le supérieur, la loi LRU prévoit le développement international des établissements, et l'objectif de mobilité défini en Europe s'établit à 20 % en 2020. Quant au ministère de l'Emploi, Laurent Wauquiez a lancé une véritable politique de mobilité chez les apprentis. Une réorganisation s'imposait pour prendre en compte ces nouvelles missions. Parallèlement à notre département gestion, nous avons donc créé à l'agence un nouveau département « développement et dissémination » pour accompagner ces politiques des tutelles.

Le programme Erasmus, qui représente la moitié du budget de l'agence, est aussi le plus connu des dispositifs de mobilité. N'est-il pas l'arbre qui cache la forêt ?

Il est vrai que, sur 82.000 jeunes Français partis en 2009, seuls 28.000 d'entre eux ont bénéficié d'un accord Erasmus . Les autres ont utilisé les programmes Leonardo, Comenius , Grundtvig et d'autres dispositifs. Erasmus est un produit d'appel qui fait boule de neige. Désormais, la mobilité est partout, chez les cadres, les enseignants, les élèves, les apprentis. Cela dit, les chiffres nous obligent à relativiser. La mobilité n'est pas la solution miracle et, si tout le monde la pratique, cela risque de remettre en cause sa raison même d'exister, la découverte et l'échange avec l'autre.

Compte tenu de la crise financière et budgétaire actuelle, la mobilité n'est-elle pas un luxe aujourd'hui pour les jeunes et leur famille ?

Il est toujours plus coûteux de se déplacer que de rester chez soi. Mais la priorité pour les jeunes de se former aujourd'hui passe par l'échange, la découverte d'autres cultures et de manières de penser, la nécessité de parler plusieurs langues. Je pense qu'il faut trouver un équilibre entre l'attitude casanière qui consiste à ne pas sortir de son village, et celle du businessman chanté par Nicole Croisille, qui attrape le blues à force de vivre entre les hôtels et les aéroports. Mais, pour revenir à votre question, se former et notamment par la rencontre de l'autre n'est pas un luxe, mais une priorité. C'est même un investissement sur l'avenir. Il est vrai que cela est parfois difficile à faire comprendre.

Les enseignants sont encore trop peu mobiles alors qu'ils se trouvent en première ligne dans la transmission de cette culture internationale. Comment mieux les inciter à voyager ?

Je discutais ce matin avec une formatrice de l'IUFM de Bretagne qui évoquait l'obligation de mobilité pour ses étudiants et j'étais assez convaincu. D'un côté, il me semble que tout système obligatoire peut-être contreproductif et entraîner des effets pervers, notamment en termes de coûts. Mais il faut bien trouver un moyen pour, si ce n'est obliger, au moins inciter les enseignants à suivre, à un moment de leur formation, en M1 ou en M2, l'équivalent d'un semestre de confrontation à l'international. Ces jeunes enseignants vont ensuite fonctionner comme une caisse de résonance auprès des jeunes. Je crois beaucoup à l'infusion progressive. Si nous commençons dès le collège, avec des jeunes bien encadrés, dans le cadre de Comenius 2, ils repartiront en Europe ensuite au lycée, puis lorsqu'ils seront étudiants. Il ne s'agit plus de cibler les usagers, mais leur environnement. Convaincre les chefs d'établissement, les enseignants et les inspecteurs de l'intérêt de la mobilité doit avoir des effets démultiplicateurs auprès des élèves et des étudiants.

Commencez-vous à voir les premiers effets de la loi LRU sur les universités et du passage à l'autonomie ?

Oui, on le voit concrètement à travers les fondations par exemple. Les établissements, au sein de leur fondation, décident de mobiliser des fonds privés dans une politique stratégique de relations internationales. C'est le cas notamment de l'université de la Méditerranée à Marseille . Celle-ci espère tirer des bienfaits de cette politique, en ayant des étudiants mieux formés, avec de l'expérience et des compétences linguistiques. De même, quand les régions investissent dans les relations internationales, ce n'est pas à fond perdu. C'est d'ailleurs le sens de la mission que m'a confiée Valérie Pécresse, le 1er juin, de recenser l'ensemble des aides financières à la mobilité existantes sous forme d'un guiche unique. Et si jusqu'à présent les régions n'étaient pas partenaires de l'agence, nous souhaitons désormais mieux les associer. Certaines comme l'Aquitaine, Rhône-Alpes, la Normandie sont particulièrement en pointe en matière de mobilité et il faut reconnaître ce travail. D'une façon générale, l'agence souhaite développer les partenariats avec tous ceux qui interviennent déjà dans le champ de la mobilité, que ce soit l'ESEN (École supérieure de l'Éducation nationale), l'UNSS (Union nationale du sport scolaire) ou l'Agence universitaire de la francophonie. Un large réseau de partenariats institutionnels ou associatifs doit participer à cette diffusion large de la culture de la mobilité.

En octobre prochain, l'agence organise à Bordeaux l'opération « Youth on the move ». De quoi s'agit-il ?

C'est une initiative de la Commission européenne. Dans la perspective du prochain programme européen en 2013, qui prendra la suite du programme actuel « Éducation et formation tout au long de la vie », elle a souhaité organiser une sorte de précampagne sur la mobilité. Cet événement aura lieu en parallèle en France et en Hongrie. Autour de cette opération festive de jeunes dans la rue, il s'agit de repérer les nouveaux besoins en matière de mobilité et d'anticiper un nouveau programme transversal de mobilité.

Propos recueillis par Mathieu Oui | Publié le