Jean Chambaz (UPMC) : "Les universités de recherche ont besoin de plus de moyens pour maintenir leur niveau de recherche intensive"

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
Jean Chambaz est vice-président en charge de la recherche à l’université Pierre et Marie Curie (UPMC). Ce professeur de biologie cellulaire préside aussi le Conseil pour les formations doctorales créé il y a un an au sein de l’EUA (association des universités européennes). Il donne sa vision sur les moyens donnés à son université, sa stratégie de recherche, les classements mondiaux, les doctorants...

Que pensez-vous de la dotation budgétaire reçue par votre université avec le nouveau système de répartition des moyens ?  

Ce système est totalement inadapté : on reste dans une moyennisation des moyens entre universités, dans la logique de San Remo. Alors que le Premier ministre affirme que l’enseignement supérieur et la recherche sont des priorités nationales, les moyens à répartir sont fixes. Pour nous, il s’agit de donner les moyens aux universités pour travailler. Les universités de recherche ont besoin de plus de moyens pour maintenir leur niveau de recherche intensive. Les licences classées A par l’AERES ou le doctorat ne sont pas pris en compte dans le calcul des moyens. Cela signifie-t-il que ce ne sont pas des missions de l’université ? Sur le nombre de nos chercheurs publiant, on ne se retrouve pas dans le décompte du ministère et on a l’intention de le contester lors de la négociation quadriennale en mars prochain. L’université a bien négocié sur la masse salariale et les plafonds d’emplois mais a été sous-évaluée sur ses performances. Par ailleurs les personnels ITARF ne sont comptés que dans les formations et non en recherche alors que pour nous deux tiers de ces personnels se retrouvent en recherche. Ce système nie la diversité des universités alors que celle-ci existe. L’UPMC, avec une vocation européenne voire mondiale, n’est pas aidée dans ce sens. Si le gouvernement avait vraiment une ambition dans ce domaine, il faudrait qu’il rattrape la moyenne européenne des dotations par étudiant. Là, le ministère du Budget veut qu’il y ait des universités gagnantes et des universités perdantes.      

Cette nouvelle répartition des moyens vous incite-t-elle à développer une nouvelle stratégie de recherche ?  

Ce qui nous aiguille dans une nouvelle stratégie de recherche, c’est notre coopération avec les grands organismes (CNRS, Inserm, INRA, IRD) développée l’an dernier dans le projet d’établissement, pas cette nouvelle répartition des moyens. 95 % de nos unités de recherche sont mixtes et on plaide pour le renforcement de ces partenariats et pour que les préciputs de l’ANR [Agence nationale de la recherche] soient augmentés et versés à l’hébergeur des équipes de recherche. Ce projet a été développé dans le contexte du nouveau paysage de la recherche avec l’augmentation des financements sur projets. Nous avons misé sur les infrastructures des unités de recherche pour assurer la pérennité des équipes. Plusieurs équipes ont été restructurées pour former des grandes unités de recherche, comme en mécanique et robotique, en sciences de la Terre, en sciences de la vie. L’institut du cerveau et de la moelle a remplacé 15 unités de recherche. Nous voulons réduire les 70 unités de recherche en sciences de la vie à 10-12. On va continuer cette politique pour autant que les chercheurs s’y inscrivent.   

Quel regard portez-vous sur un possible classement européen des universités mondiales ?  

Les classements sont pour nous un thermomètre et nous ne sommes pas obsédés par Shanghai. Les Etats-Unis s'en moquent d’ailleurs. A l’Association des universités européennes (EUA), on considère ce nouveau classement européen avec beaucoup de perplexité. Je me demande si ce n’est pas une usine à gaz et s’il n’y a pas derrière la volonté de placer l’UPMC derrière les grandes écoles… Plutôt qu’un nouveau classement, mieux vaudrait trouver une solution en France au comptage des publications entre universités et grands organismes. Ma recommandation : renforcer le lien avec ces EPST et signer dans les publications au nom de l’université.    

Quel bilan tirez-vous du Conseil pour les formations doctorales de l’EUA après un an d’existence ?  

Sur les 800 membres de l’EUA, 120 universités adhèrent au Conseil, mais seulement six françaises. C’est une voix représentative des universités sur le doctorat en Europe qui diffuse les bonnes pratiques en la matière. En décembre 2008, nous avons lancé une liste mail entre adhérents, sorte de hot line sur les questions que peuvent se poser les responsables des doctorants. Un séminaire à Londres a réuni les directeur de thèse sur la formation des supervisors. Sans avoir un modèle unique du doctorat, nous en avons une vision commune  : une formation par la recherche sur un projet de recherche innovant, en trois-quatre ans qui développe la créativité du doctorant appelé à poursuivre sur des métiers liés à la recherche dans le public et le privé ou dans des domaines comme la politique, la création d’entreprise où la créativité est nécessaire.

Quelles sont les conditions pour promouvoir ce type de doctorat ?

Pour assurer cette vision, il faut réunir une masse critique dans un groupe de recherche comme dans les écoles de recherche en Allemagne, les écoles doctorales en France, ou les graduate schools en Angleterre. Les faiblesses du modèle de l’école doctorale résident dans le manque de support administratif et le faible lien institutionnel avec l’université. L’école doctorale est un peu en suspension et l’université a une politique doctorale à développer. C’est pourquoi nous avons créé, à l'UPMC, l’institut de formation doctoral il y a trois ans. En charge de la politique doctorale, il rassemble les différentes écoles doctorales, le département formation et carrière, le bureau d’insertion professionnelle des doctorants, la cellule d’appui aux actions internationales…    

Les chiffres du ministère annoncent des réductions de 30 % du nombre de doctorants d’ici à 2017. Comment les avez-vous reçus ?  

C’est irresponsable de la part d’un service du ministère. Qu’ils nous expliquent comment ils calculent. Ils projettent sur l’avenir une vision du passé où les étudiants allaient moins à l’université. Ils nient les effets positifs du plan licence ou les initiatives prises par les universités pour mieux orienter les étudiants. Est-ce que le découplage des CPGE des universités est une politique responsable ? Si l’objectif de Lisbonne est de développer en Europe l’économie de la connaissance, ces chiffres ne nous placent pas en bonne position…  

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le