Jean-Louis Billoët (Insa Rouen): "Les écoles d'ingénieurs ne sont pas en faillite mais leur dynamique est impactée"

Delphine Dauvergne Publié le
Jean-Louis Billoët (Insa Rouen): "Les écoles d'ingénieurs ne sont pas en faillite mais leur dynamique est impactée"
Jean-Louis Billoët, directeur de l'Insa Rouen // © 
Jean-Louis Billoët, directeur de l’Insa Rouen, constate, dans un entretien accordé à EducPros, le manque de financements des écoles d’ingénieurs, tout en expliquant les solutions auxquelles celles-ci ont recours pour pallier les restrictions budgétaires.

Est-ce que les écoles d'ingénieurs publiques sont autant touchées par les économies budgétaires que les universités ?

L'Enseignement supérieur bénéficie d'un budget préservé, avec des créations d'emplois, alors que les ministères techniques, dont dépendent la plus grande partie des écoles externes aux universités, sont impactés plus brutalement.

Selon les ministères, il ne s'agit pas du même degré de soutien, car chacun a ses propres critères de dotation et peut imposer des charges qui lui sont propres, comme un investissement dans une formation précise par exemple. Le ministère de l'Agriculture n'aura pas les mêmes préoccupations que le ministère de la Défense. Certaines formations demandent aussi plus de travaux pratiques que d'autres et sont plus chères.

Que font les écoles d'ingénieurs publiques pour pallier l'insuffisance des dotations ministérielles ?

Depuis quelques années, elles développent un arsenal pour capter les fonds dont elles ont besoin. La LRU leur a donné des outils nouveaux, notamment les fondations universitaires ou partenariales. Cette vingtaine de fondations sont très thématiques et portent sur une partie des activités des écoles. On constate une disparité, liée à leur taille et à la capacité des entreprises à les abonder. Les écoles ne se battent pas avec les mêmes armes. Un jeune établissement situé dans une zone touchée par la crise économique et une école bien renommée qui bénéficie d'un important réseau d'anciens n'ont pas le même périmètre d'influence.

Pour augmenter leurs fonds propres, les écoles développent d'autres activités partenariales avec les entreprises, que ce soit avec des contrats de recherche ou des transferts de technologies. Mais cela demande des moyens, en personnels mais aussi en équipements. Les écoles ont su aussi se trouver de nouveaux partenaires, avec les collectivités territoriales.

Le développement de la formation continue permet-il de récolter des fonds significatifs ?

On peut réussir à dégager un peu de marge pour financer une partie des besoins en équipements et la maintenance des biens. Mais la formation continue reste complexe à mettre en place, car le niveau d'exigence des entreprises est élevé. De plus, même si les écoles d'ingénieurs développent leur offre, il faut de la demande. Or, depuis 2008, le ralentissement de l'activité économique la rend difficile. Par ailleurs, beaucoup d'entreprises ont préféré investir dans l'apprentissage, ce qui se répercute sur la formation continue.

L'apprentissage est-il une nouvelle source de revenus ?

L'apprentissage s'est fait une place au soleil dans l'enseignement supérieur depuis une quinzaine d'années. La quasi-totalité des écoles d'ingénieurs propose aujourd'hui une formation en apprentissage. Mais cela n'apporte pas réellement d'argent aux écoles, car ce type de formation a aussi un coût. L'apprentissage permet cependant de lier des relations étroites avec des entreprises. On constate aussi une disparité du financement de l'apprentissage selon les territoires, car les régions choisissent les formations qu'elles veulent soutenir.

Les étudiants payent 600 euros pour une formation d'ingénieur publique qui coûte entre 12.000 et 15.000 euros par an, avec un taux d'insertion professionnelle exceptionnel.

Comment les écoles d'ingénieurs économisent-elles ?

Elles rationalisent leurs moyens, que ce soit pour la gestion patrimoniale ou pour réduire l'impact des charges fixes. Elles peuvent ainsi développer des programmes avec l'aide des collectivités territoriales pour faire des économies d'énergie, par exemple en mettant en place un système de détection pour l'éclairage.

Les écoles optimisent également leurs maquettes pédagogiques, en jouant notamment sur la taille des groupes d'étudiants, ou encore en favorisant l'autodidactie pour que les étudiants travaillent davantage par eux-mêmes.

Les partenariats entre les écoles se développent, de même que les stratégies de réseaux. Par exemple, le recrutement à l'international, effectué de manière groupé avec d'autres écoles, permet d'économiser tout en étant plus performant.

Mais toutes ces petites économies ne sont pas suffisantes...

Face à ces constats, êtes-vous alarmiste sur la situation financière des écoles ?

Les écoles externes publiques restent soutenues par l'État, les dotations représentent entre 60 et 70% de leur budget (incluant la masse salariale). Les écoles ne sont pas en faillite, mais leur croissance et leur dynamique sont impactées. On leur demande d'avoir des formations innovantes et de former plus d'ingénieurs, mais cela nécessite des moyens supplémentaires qu'elles n'ont pas. Et sur les fonds en provenance des entreprises, les établissements sont en concurrence. Un financement obtenu par une école, via une fondation ou via la taxe d'apprentissage, se fera au détriment d'une autre.

De ce fait, l'augmentation des droits d'inscription est-elle une fatalité ?

Les étudiants payent 600 euros pour une formation d'ingénieur publique qui coûte entre 12.000 et 15.000 euros par an, avec un taux d'insertion professionnelle exceptionnel. Pour maintenir la qualité, il faut un complément de financement. Après, ce n'est peut-être pas à l'étudiant de payer... La France est loin de consacrer une part importante de son PIB à la formation des ingénieurs.

Delphine Dauvergne | Publié le