Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris : «Le nombre global de mètres carrés scientifiques ne devra pas diminuer au centre de Paris»

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier Publié le
Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris : «Le nombre global de mètres carrés scientifiques ne devra pas diminuer au centre de Paris»
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Constitution des PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur) Sorbonne Universités, Sorbonne Paris Cité ou encore HESAM, émergence des campus Condorcet ou Saclay... l’enseignement supérieur francilien se restructure. Un acteur regarde ces mouvements d’un œil vigilant : la mairie de Paris. Propriétaire de 40 % de l’immobilier universitaire de la capitale, membre du conseil d’administration de nombreux établissements et PRES franciliens, tutelle de quelques écoles comme l’ESPCI ou l’EIVP, la Ville se veut le garant du patrimoine scientifique intra-muros. Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris en charge de l’innovation, de la recherche et des universités, livre à Educpros son point de vue sur les restructurations en cours et fait le point sur le rôle de la mairie de Paris en la matière.

Entre les PRES, l’Opération campus et bientôt le grand emprunt, comment jugez-vous les reconfigurations qui s’opèrent dans l’enseignement supérieur francilien ?
Les universités parisiennes se sont remises en mouvement. C’est une bonne chose. Maintenant, il reste encore des cohérences à trouver. L’histoire des universités parisiennes n’est pas simple. Elle repose sur des liens anciens, complexes et foisonnants entre les huit universités, 40 écoles et la centaine de laboratoires de recherche que compte la capitale. Il ne faut pas tout figer. Une université ne pourra

Le modèle canonique,
c’est la grande université pluridisciplinaire de recherche

pas travailler uniquement avec les membres de son PRES. Plus largement, le modèle canonique, c’est la grande université pluridisciplinaire de recherche. Partout dans le monde, ces établissements réussissent car la recherche pluridisciplinaire les tire vers le haut. Or, à Saclay et à Condorcet, les campus qui émergent sont, pour le moment, trop marqués « sciences de l’ingénieur » pour l’un et « sciences humaines » pour l’autre. Cela pourra être corrigé progressivement, à condition d’en avoir conscience.

Êtes-vous hostile à la constitution du campus de Saclay, qui devrait conduire certaines écoles d’ingénieurs à quitter Paris pour l’Essonne ?
Je ne suis pas hostile sur le principe. L’axe Paris-Saclay représente une force scientifique de dimension mondiale, capable de relever les défis académiques du XXIe siècle. La solution ne consiste pas à déplacer de vingt kilomètres des établissements entiers par principe, il faut tenir compte de manière fine des collaborations de chaque établissement, répartir harmonieusement masters et laboratoires entre Paris et Saclay, et structurer le maillage scientifique le long de la vallée de la Bièvre. N’oublions pas que la Silicon Valley s’étend sur quatre-vingts kilomètres, soit plus de quatre fois la distance Paris-Saclay !

L’État doit comprendre qu’il faudrait négocier un projet plus cohérent d’articulation entre Saclay et Paris

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L’État doit comprendre qu’il faudrait négocier un projet plus cohérent d’articulation entre Saclay et Paris. Car c’est bien le couloir scientifique Paris-Saclay qu’il faut considérer. Le travail engagé par Télécom ParisTech me paraît sérieux par exemple. Ils envisagent une implantation bipolaire avec une partie de leurs masters et de leur recherche qui partent à Saclay et l’autre qui reste à Paris.


Avez-vous peur que l’émergence d’un campus à Saclay concurrence Paris intra-muros ?
Paris est un cluster scientifique depuis huit siècles. Sa capacité de survie n’est plus à démontrer. Dans la bataille mondiale pour l’excellence scientifique, Paris dispose d’atouts, mais il ne faudrait pas que les réformes en cours viennent fragiliser sa position. Il ne faut pas raisonner en termes de concurrence entre Paris et Saclay, qui sont plutôt des alliés face à Boston, San Francisco ou Shanghai. Bien sûr, il faut que le gouvernement investisse de façon équilibrée : si plus de 4,5 milliards d’euros sont investis pour les futurs 30.000 étudiants du plateau de Saclay, je pose la question : combien pour les 300.000 étudiants de Paris ? J’imagine mal que l’État soutienne moins Paris que Saclay. Nous verrons bien avec le grand emprunt si le syndrome antiparisien frappe encore. L’État oubliera-t-il le principal cluster scientifique de France ?

Et la rationalisation des implantations universitaires parisiennes préconisée par le rapport Larrouturou fin 2009, qu’en pensez-vous ?
Nous sommes pour une rationalisation, mais contre un rétrécissement. De même, nous ne jugerons pas acceptable un simple transfert des sites universitaires du centre vers la périphérie de Paris. Rappelons que l’étudiant parisien est l’un de ceux

Nous sommes pour une rationalisation, mais contre un rétrécissement

qui dispose du moins de mètres carrés pour étudier. La norme mondiale est de neuf mètres carrés, quand l’étudiant parisien peut se prévaloir de deux mètres carrés. Étendre l’espace de travail des universités parisiennes n’est donc pas un luxe : les implantations nouvelles doivent être une extension et non une substitution.

Autre proposition du rapport Larrouturou : la création de l’EPAURIF [Établissement public d’aménagement universitaire de la région Île-de-France], qui se met en place en juin. Une manière de reprendre le pouvoir sur l’immobilier universitaire parisien ?
L’EPAURIF prend la suite de l’EPC Jussieu [Établissement public du campus de Jussieu]. Attendons de voir ce qu’il devient. Si l’EPAURIF devient une vraie structure de conseil, pas de problème. Si l’État reprend d’une main l’autonomie qu’il a donnée de l’autre aux universités, nous ne serons pas d’accord. Mais, quoi qu’il arrive, ce nouvel établissement public ne change rien aux prérogatives de la mairie de Paris sur les bâtiments dont elle est propriétaire.

Quel rôle la mairie de Paris joue-t-elle dans ces mouvements en cours ?
Nous pesons bien évidemment sur les décisions qui sont prises. La Ville est présente dans les conseils d’administration de plusieurs universités et PRES, et possède une partie significative de l’immobilier universitaire parisien. Nous serons en outre vigilants à travers l’application du plan local d’urbanisme. La position de la Ville est claire : le nombre global de mètres carrés scientifiques ne devra pas diminuer au centre de Paris. Il n’est pas question de transformer un tel patrimoine en immobilier de bureau.

Comment travaillez-vous avec l’État et la région Île-de-France ?
Avec l’État, nous devons mieux coordonner nos efforts. On échoue ensemble ou on réussit ensemble. Le campus Rive-Gauche est une vraie réussite par exemple. Il a redonné une véritable visibilité à Paris-Diderot et il en sera de même pour l’Inalco. Mon inquiétude est qu’aucun projet équivalent n’émerge à Paris d’ici à 2012 car beaucoup de temps est perdu en tergiversations. Condorcet est un projet superbe mais de longue haleine. Nous pouvons encore imaginer une rénovation complète et d’envergure du Quartier latin notamment. Aujourd’hui, les financements de l’Opération campus n’ont pas été complètement distribués. Quant à ceux du grand emprunt, on peut se demander s’ils seront attribués d’ici à 2012.

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier | Publié le