Jean-Loup Salzmann (Conférence des présidents d'université) : "Il faut que les sciences humaines n’aient plus peur de l’entreprise"

Camille Stromboni Publié le
Jean-Loup Salzmann (Conférence des présidents d'université) : "Il faut que les sciences humaines n’aient plus peur de l’entreprise"
Jean-Loup SALZMANN - Université CPU - Avril 2014 - © CS // ©  Camille Stromboni
À l'occasion du colloque annuel de la CPU (Conférence des présidents d'université) organisé du 21 au 23 mai 2014 à Lyon, Jean-Loup Salzmann, son président, revient sur les enjeux du transfert technologique et de l'innovation pour les universités, thème à l'ordre du jour de la rencontre. Le responsable regrette que le tissu des entreprises françaises ne soit pas assez irrigué par la recherche et défend une meilleure reconnaissance du doctorat.

Pourquoi avoir choisi cette année l’innovation comme thème du colloque de la CPU (Conférence des présidents d’université) ?

Il s’agit de montrer que l’université participe au redressement économique de la France par l’enseignement, mais aussi grâce au transfert de technologie, à la recherche partenariale et à l’innovation.

Affiché comme l’une des priorités de Geneviève Fioraso, le transfert a été intégré dans la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, votée à l’été 2013. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Il s’agit d’abord d’un signal très fort. Ce n’est pas une injonction, mais une incitation. De la même manière que la loi LRU ajoutait aux missions de l’université l’insertion professionnelle, cela ne signifie pas pour autant que nos établissements ont découvert soudainement cette mission, ou à l’inverse que tout le monde s’y est mis d’un coup. 

Cela a conforté ceux qui étaient déjà fortement engagés en ce sens, et encouragés certains à s’y lancer. Plusieurs autres mesures convergent en la matière : la création des SATT (sociétés d’accélération du transfert de technologies), le développement de France Brevet, le nouveau décret sur les hébergeurs...

Sans oublier tous les dispositifs de valorisation de l'entrepreneuriat qui démarrent par la formation et se concrétisent par les actions "Pépites", véritables laboratoires de développement de l'esprit d'entreprise.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les universités pour développer cette mission ?

Il faut mettre fin à la césure entre le transfert, la recherche appliquée, la recherche fondamentale et les entreprises. Tout participe à une même démarche. Le problème en France est que le tissu industriel et entrepreneurial n’est pas assez irrigué par la recherche. Cela se voit dans le manque d’innovation ou encore le faible recrutement des docteurs dans l’entreprise.

D’où la nécessité de populariser le doctorat, notamment avec des actions législatives, mais aussi le concours national "Ma thèse en 180 secondes" que nous portons avec le CNRS, ou encore la promotion des bourses CIFRES, comme ont su s'en saisir de très grandes entreprises, et l’utilisation astucieuse du CIR (Crédit Impôt Recherche) pour promouvoir ces recrutements.

La meilleure reconnaissance du doctorat, soutenue également par la loi ESR, a-t-elle progressé ?

Cela commence à bouger peu à peu, avec les grands corps de l’Etat, qui ont besoin de docteurs ! La mission de Patrick Fridenson et Michel Dellacasagrande sur une meilleure insertion professionnelle des docteurs y participe.

Les entreprises allemandes n’hésitent pas, elles, à recruter des docteurs en philosophie pour en faire des cadres, chez EADS

Le CIR devrait-il être revu à la baisse, afin de redistribuer des moyens aux universités, comme le demandent plusieurs syndicats, d’autant plus après la mise en cause de son efficacité par la Cour des comptes ?

Il faut surtout que les universités travaillent plus étroitement avec les entreprises, en faisant comprendre à ces dernières qu’elles peuvent bénéficier du CIR en développant des recherches partenariales avec les universités.

Les SHS (sciences humaines et sociales) ont-elles un handicap en matière de valorisation de la recherche ?

Il faut que les sciences humaines n’aient plus peur de l’entreprise, tandis que cette dernière doit mieux considérer la recherche en SHS. Nous devons sortir de ce cercle vicieux.

Les entreprises allemandes n’hésitent pas, elles, à recruter des docteurs en philosophie pour en faire des cadres, chez EADS par exemple. Nos entreprises doivent se rendre compte qu’elles ont besoin de ces profils, capables de remplir un grand nombre de fonctions.

Nous devons enfin développer encore, dans les cursus doctoraux, les modules de connaissance de l’entreprise, de ressources humaines ou encore sur la propriété intellectuelle.

Le transfert est-il une source complémentaire de moyens conséquente, au moment où les ressources budgétaires des universités sont très limitées ?

Le transfert est un puissant moteur pour développer la recherche, sans pour autant apporter directement des moyens financiers nouveaux aux universités. Cela correspond parfaitement à notre vocation : nous ne sommes pas une entreprise commerciale qui doit dégager des bénéfices, notre objectif est de remplir notre mission de service public, en étant en équilibre financier.

En période de budgets restreints, le transfert donc est un levier important pour accroître notre activité.

Camille Stromboni | Publié le