Jean-Marc Rapp (ancien recteur de l’université de Lausanne): "l'autonomie doit s'accompagner de contre-pouvoirs"

Publié le
Les universités suisses choisissent en général leurs personnels, disposent de la quasi-totalité de leur budget et d’une totale liberté concernant l’offre de formation

Les universités suisses choisissent en général leurs personnels, disposent de la quasi-totalité de leur budget et d’une totale liberté concernant l’offre de formation. De quoi faire rêver leurs homologues françaises. Jean-Marc Rapp, membre du bureau exécutif de l’Association européenne des universités (EUA) et ancien recteur de l’université de Lausanne, revient pour Educpros sur la question de l’autonomie des universités helvétiques. Une autonomie plus facile à gérer dans un pays où seuls 25 % d’une classe d’âge atteignent le niveau du baccalauréat.


Comment le système d’enseignement supérieur suisse est-il structuré ?

La Confédération helvétique compte deux écoles polytechniques fédérales (Zurich et Lausanne) et dix universités cantonales, qui se réfèrent à des législations différentes. Nous n’avons pas de dichotomie entre « grandes écoles » et « universités » comme en France : seuls 25 % d’une classe d’âge atteignent le niveau du baccalauréat, et tous les établissements sont donc considérés comme des « établissements d’excellence ». D’ailleurs, plus de 90 % des diplômés décrochent un premier emploi en moins de six mois. Il est vrai que nos universités ne sont pas touchées de la même manière par la massification des effectifs : la plus grande, celle de Zurich, accueille vingt mille étudiants. Elles bénéficient par ailleurs de davantage de moyens que les établissements français. Le budget de l’université de Lausanne, par exemple, atteint 187 millions d’euros [près de 10 000 € par étudiant].

De quel degré d’autonomie les universités suisses disposent-elles ?

La tendance est à une autonomie accrue : elles ont en général un budget global et recrutent leurs personnels. Si les salaires correspondent à des barèmes fixés par les autorités publiques, ils sont assez élevés pour permettre aux universités d’attirer des enseignants-chercheurs internationaux (de 30 à 50 % du corps enseignant). À titre d’exemple, un professeur titulaire à temps plein perçoit une rémunération équivalente à 7 000 € en début de carrière. Concernant l’offre de formation, surtout, elles ont une totale liberté. Autrement dit, si l’université de Lausanne souhaite expérimenter un nouveau programme professionnel à destination des bacheliers, elle peut le faire sans l’aval des autorités et donc très rapidement. Avec peu d’établissements et peu d’étudiants, le système suisse a ainsi trouvé le moyen de proposer des cursus diversifiés à ses utilisateurs, qui ne se plaignent nullement d’un traitement inégalitaire. Autre point important pour le bon fonctionnement de l’université, cette dernière gère son parc immobilier et peut affecter ses locaux comme bon lui semble, même si elle n’en est pas propriétaire.

Comment est organisée leur gouvernance ?

Globalement, nous assistons à un basculement du pouvoir vers l’exécutif, c’est-à-dire autour du président. Depuis longtemps, ce dernier peut être réélu et dispose en pratique de deux, voire trois mandats, de quatre ans, durée minimale pour mener à bien une véritable politique de réformes. De plus en plus, le président est nommé en dernier lieu par le gouvernement suisse ou, lorsque l’université en comporte, par le conseil d’administration, lequel est restreint à une dizaine de personnalités extérieures à l’université, issues de la société civile, du gouvernement... Cela nous assure son indépendance, car comment penser qu’un président osera, par exemple, transférer une partie du budget d’une composante à une autre s’il est élu directement par ses pairs ? Mais, dans ce cadre, le contre-pouvoir doit être important, et les universités se dotent d’un parlement interne, composé des acteurs de l’université [ce dernier correspond davantage au conseil d’administration français]. La philosophie est la suivante : en contrepartie de pouvoirs importants, la présidence doit rendre des comptes.

L’autonomie a-t-elle, en Suisse, introduit un système de sélection à l’université ?


Chez nous, le principe est le même qu’en France : tout bachelier a le droit de s’inscrire dans la filière de son choix, et paie pour cela des droits d’inscription modérés, de moins de 1 000 € par an. La sélection s’effectue automatiquement à la fin de la première année, où le taux d’échec dépasse les 30 %. Il y a bien des tentatives de classement, mais, en règle générale, les étudiants poursuivent leurs études dans l’université la plus proche de leur lieu de résidence. Le débat, en Suisse, se cristallise davantage autour de la question de la démocratisation du système, seuls 11 ou 12 % des effectifs étant issus de milieux modestes...

| Publié le