Jean-Michel Courty, chargé de mission pour la communication scientifique (CNRS) : «Il faut associer les scientifiques à la communication»

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Professeur de physique à l’UPMC, Jean-Michel Courty est également chargé de mission pour la communication scientifique au CNRS pour l’Institut de physique. Fort de cette double compétence et convaincu que les établissements ont de plus en plus besoin de communiquer, il met aussi en garde contre les dérives potentielles, liées à un contrôle scientifique insuffisant ou à une trop faible prise en compte des contraintes professionnelles des enseignants-chercheurs. Un aspect qui sera abordé lors de notre prochaine conférence Educpros/letudiant sur la communication scientifique organisée le 17 novembre prochain.

Vous avez encouragé, avec Catherine Dematteis, responsable de la communication de l’Institut de physique du CNRS, le lancement en 2010 d’un club au sein de l’ARCES [Association des responsables de communication de l’enseignement supérieur] dédié à la communication scientifique. Quel en est l’objectif ?

Instituant l’autonomie des universités, la loi LRU a accentué la nécessité de communiquer sur tous les aspects, aussi bien sur la formation que sur la recherche. Jusqu’ici, les services de communication de toutes les universités travaillaient avec les composantes pour valoriser les cursus, mais peu d’entre eux avaient des contacts directs avec les chercheurs et enseignants-chercheurs sur les problématiques de recherche.

Or, ces échanges sont essentiels. Le CNRS en a pris conscience il y a de nombreuses années, en même temps qu’il a travaillé sur l’image de l’institution et a amplifié la communication sur les travaux de recherche. Aujourd’hui, les interactions avec les chercheurs sont pleinement intégrées dans les processus de communication.

Le club ARCES « communication scientifique » se veut un lieu d’échanges sur cette problématique : comment mieux communiquer avec les chercheurs pour mieux communiquer sur la science. Au-delà de la réflexion, nous avons envie de produire des bonnes pratiques afin que les travaux des laboratoires soient mis en avant, dans les médias et auprès du grand public.

D’après votre expérience, quelle place peuvent avoir les chercheurs dans la stratégie de communication des établissements ?

Les universités ont besoin de visibilité et les chercheurs peuvent les y aider. Cependant, il ne faut pas oublier qu’un chercheur tire sa légitimité de la communication de ses résultats de recherche au sein de la communauté scientifique nationale et internationale. Il est donc déjà engagé dans des stratégies de communication visant à promouvoir son travail, son domaine de recherche ou sa discipline auprès des instances d’évaluation et de financement. L’interaction avec les services de communication se passera donc d’autant mieux que ces problématiques sont prises en compte et que l’on a conscience de l’impact éventuel sur l’image que le chercheur s’est forgée dans sa communauté.

En outre, dans un laboratoire et une équipe de recherche, les chercheurs qui travaillent ensemble appartiennent bien souvent à des institutions différentes. Ainsi, l’appartenance la plus importante pour un chercheur est ce qui le rassemble avec ses collègues, c’est-à-dire son laboratoire. S’il est naturel de demander à chacun de ne pas oublier l’institution dont il dépend, il est important de veiller, dans le cas des UMR [unités mixtes de recherche] notamment, à ce que la communication associe toutes les tutelles : la recherche est un travail d’équipe et de collaboration.

Dans tous les cas, l’essentiel, à mon sens, est d’associer les scientifiques à la communication, en leur laissant la possibilité de communiquer de manière déontologique, c’est-à-dire professionnelle et éthique, sans pression de la part ni des politiques, ni des médias, ni de leur hiérarchie dans les établissements ou organismes.

Au-delà de ces pressions, dans quelle mesure peut-il y avoir des dérives dues aux chercheurs eux-mêmes ?

Ne soyons pas naïfs, associer les chercheurs au processus de communication nécessite aussi de mettre en place des contrôles. Il arrive que certains d'entre eux se mettent trop en avant et survendent leurs travaux. Auparavant, communiquer à l’extérieur était mal vu, sauf pour les vedettes. Pour les autres, en communiquant, ils se coupaient de leur communauté et se trouvaient exclus des chaînes de légitimation universitaire. Mais les temps changent ! Aujourd’hui, il est reconnu et apprécié que des scientifiques soient les ambassadeurs de la communauté.

Mais encore faut-il qu’ils le fassent en respectant les hiérarchies fonctionnelles et scientifiques, et qu’ils aient la rigueur de ne parler que des sujets sur lesquels ils s’estiment objectivement compétents. C’est pourquoi il faut rester vigilant, ne pas fabriquer des vedettes parce que tel ou tel chercheur est un « bon client ».

En outre, dans une université, si une personne a en charge un laboratoire de disciplines proches mais différentes, elle peut avoir tendance à favoriser la discipline qu’elle connaît le mieux. D’où l’importance, pour les responsables de communication, de connaître le terrain, les équipes, et de contrôler leurs publications d’un point de vue scientifique.

Les universités ont-elles selon vous les moyens d’établir ce contrôle ?

Au CNRS, qu’il s’agisse de l’actualité des instituts, des communiqués de presse ou du journal, tout est vérifié par des scientifiques : les directeurs scientifiques adjoints pour la pertinence de la communication, et les scientifiques chargés de mission dans les instituts pour l’adéquation entre ce qui est dit dans la communication et le résultat scientifique publié. Cela fonctionne bien car il y a toujours une personne compétente au sein de la direction sur chaque sujet.

Pour les universités, cela est plus difficile essentiellement pour une question de taille. En outre, alors qu’au CNRS, les directeurs scientifiques ont le recul d’une vision nationale, les universités ont souvent leur champion local, qu’il est important de soutenir, indépendamment d’un contexte national plus large.

Une conférence Educpros sur la communication scientifique le 17 novembre
La prochaine conférence Educpros/letudiant s'intitule « Communication : comment enseignants et chercheurs peuvent-ils contribuer à la notoriété de votre établissement ? ». Organisée le jeudi 17 novembre 2011, à Paris, au groupe Express Roularta, elle abordera notamment :
- Première table ronde : Comment s’organiser pour médiatiser les « talents » de son établissement ?
- Deuxième table ronde "Les Enseignants-chercheurs parties prenantes de la stratégie de communication des établissements"
- Troisème table ronde "Comment devenir une référence pour les journalistes ?"

Au sommaire de notre dossier sur la communication scientifique :

strong>- Sortir l'info des labos

strong>- Se constituer un carnet d'experts

strong>- Sensibiliser et former ses enseignants-chercheurs à la communication

strong>- Réagir à l'actualité, mais surtout faire l'actualité

strong>- Diffuser l'information au bon moment, dans le bons medias

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