Jean-Pierre Helfer : "En 15 ans, les écoles de commerce ont gagné en respectabilité"

Géraldine Dauvergne Publié le
Jean-Pierre Helfer : "En 15 ans, les écoles de commerce ont gagné en respectabilité"
Jean-Pierre Helfer // ©  JPH
Depuis le début des années 2000, les écoles de commerce sont passées d'une stature régionale à une dimension internationale, grâce notamment à l'octroi du grade de master. À l'opposé des discours de déclin, Jean-Pierre Helfer, directeur de l'IAE de Paris, ancien directeur d'Audencia Nantes et fondateur de la Commission d'évaluation des formations et diplômes de gestion, croit en l'avenir des écoles de management à la française.

Que vous inspire l'évolution des grandes écoles de commerce au cours des ces quinze dernières années ?

Ce qui me frappe en premier lieu, c'est la fantastique stabilité de cet ensemble par rapport à tous les autres pans de la vie économique : télécommunications, biotechnologies, édition, distribution... Il n'y a pas eu de disparitions dans ce secteur, ni de bouleversement majeur. Dans ce domaine hyper spécialisé, la fusion du Ceram de Nice avec l'ESC Lille au sein de Skema en 2009, prend des airs de tsunami ! Les évolutions des écoles de commerce se limitent finalement à des éléments de fusion, des alliances, des changements de nom, des regroupements stratégiques.

Le changement majeur – auquel je pense avoir contribué à travers l'action de la Commission d'évaluation des formations et diplômes de gestion – est le renforcement et la respectabilité de ces écoles. Au début des années 2000 existait un micro-marché des Sup de Co à vocation régionale. Quinze ans plus tard, on peut comparer HEC à l'École polytechnique. Les écoles de commerce ont acquis un droit de cité, au regard de leurs alliées et concurrentes les écoles d'ingénieurs. Un jour, un ministre a décidé d'établir un registre de comparaison d'unités entre les grandes écoles et les universités, en octroyant aux premières le grade de master. Peu à peu, on a accordé davantage d'honorabilité aux admissions parallèles. Lorsqu'en 2005 le premier classement des Masters in Management du Financial Times est enfin paru, ce fut un appel d'air.

Vous avez fondé et présidé, pendant ses huit premières années, la Commission d'évaluation des formations et diplômes de gestion. Comment jugez-vous la place de cette instance aujourd'hui ?

Elle a fait un bien exceptionnel aux familles, aux jeunes, aux entreprises. Elle a instauré une cohérence entre le milieu universitaire et les grandes écoles de commerce. Sans le grade de master, celles-ci seraient certainement restées à l'écart des Pres [Pôles de recherche et d'enseignement supérieur] puis  des Comue [Communautés d'universités et d'établissements]. Elle a été un important levier de la montée en qualité des écoles.

Il y a eu des moments délicats. La CEFDG a dû prouver qu'elle travaillait bien et facilitait la tâche de tous les autres évaluateurs. Elle a ainsi instauré sa pérennité. Aujourd'hui, les Bachelors foisonnent de la même manière que les masters il y a quinze ans. On ne peut pas laisser cette situation en l'état. La CEFDG prend le problème en main actuellement. L'avenir de la commission sera d'autant plus assuré qu'elle continuera à privilégier l'accompagnement par rapport à la sanction, et à faire progresser plutôt qu'à massacrer.

Comment imaginez-vous l'avenir de ces écoles ?

Je ne suis pas de ceux qui pensent que le business model des écoles de commerce est dépassé, qui affirment que la baisse des ressources en provenance de l'État et des chambres de commerce et d'industrie va mettre à bas un modèle toujours plus onéreux. Nous avons évidemment observé quelques erreurs stratégiques, mais aucune faillite d'école. L'exemple de France Business School a été la plus grande erreur stratégique : une addition d'écoles animées par le désir de jouer "en-dehors du stade" des grandes écoles. Mais ce fiasco n'a pas mis par terre le modèle des grandes écoles. Au contraire ! Les écoles, même parmi les "petites", qui sont restées à l'intérieur du modèle traditionnel en l'adaptant, fonctionnent toujours très bien : les ESC Dijon, Rennes, Pau, La Rochelle... Bien sûr, il faut rationaliser, chercher des relais de marge et de croissance, opérer des rapprochements et des regroupements. Mais je ne souscris pas du tout aux conclusions du rapport récent de l'Institut Montaigne sur les business schools françaises.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que le business model des écoles de commerce est dépassé.

Quel regard portez-vous sur les mutations de l'université ?

Tout en étant universitaire depuis toujours, je ne peux pas avoir une position très affirmée sur l'université en général. J'ai quitté l'université pour prendre la direction d'Audencia en 2004, et ce jusqu'à 2010. Sinon, j'ai toujours vécu dans des endroits très spécifiques à l'université : les IAE. Ceux-ci ont un statut hybride, d'autonomie sans indépendance – celui de Paris est associé à l'université Paris 1. On y fait énormément de formation continue, et les ressources sont essentiellement les contributions des entreprises et la taxe d'apprentissage. Dans ce milieu universitaire très particulier des IAE, il n'y a donc pas eu de bouleversement majeur.

Le grand changement est ailleurs, et concerne pratiquement tout le restant du monde universitaire. Il réside dans l'ampleur des responsabilités qui ont été confiées aux universités avec la LRU. L'université forme un ensemble tellement imposant que la mise en œuvre des principes de cette loi est, bien sûr, très compliquée. Le jour où l'on acceptera le fait que l'université est incroyablement diverse par ses disciplines, ses missions, la taille de ses unités, tout en lui accordant la capacité de se gérer elle-même, le nouveau modèle marchera. La sélection ne doit plus apparaître comme la mise à mal du modèle démocratique, mais comme un moyen pour chacun de trouver son bonheur à l'université.

Comment la recherche en sciences de gestion doit-elle évoluer ?

Je n'ai pas été le meilleur des chercheurs. J'admire ce métier, il m'est même arrivé d'être un peu jaloux... mais pas plus que ça ! Très vite, je me suis consacré à d'autres responsabilités de la carrière universitaire, administratives et institutionnelles : la direction d'établissements, la pédagogie – j'ai produit énormément de manuels destinés aux étudiants (près de 150.000 si l'on cumule éditions et titres), et le conseil auprès d'entreprises, d'écoles ou de gouvernements. Dans ces missions, j'apportais plus, et je me réalisais mieux.

Cela dit, je crois que la recherche en sciences de gestion est en train de prendre un bon virage, encore insuffisamment affirmé. Les activités du chercheur sont mieux reconnues dans leur diversité, et considérées presque à un même niveau d'estime : la publication d'articles dans les revues bien sûr, mais aussi les communications ou la participation à des livres. La recherche en gestion doit rester liée à la pédagogie et elle doit faire la preuve de son impact sociétal. Cela permet d'engager un cercle vertueux, où la recherche s'autofinance. Avec la publication, en 2012, du guide de l'AACSB destiné aux business schools sur l'impact de la recherche, ou la mise au point de l'indicateur BSIS [Business School Impact Survey] de la Fnege [Fondation nationale pour l'enseignement de la gestion des entreprises], ce virage est pris.

La décennie 90 fut pour les établissements du supérieur celle de l'international, les années 2000 furent celles de la recherche. Je crois que la décennie actuelle est celle de la pédagogie : c'est elle que réclament les clients. Son essor est rendu possible par les technologies d'aujourd'hui.

La CEFDG a instauré une cohérence entre le milieu universitaire et les grandes écoles de commerce.

Pourtant, certaines écoles voient une explosion soudaine de leur production de recherche. N'y a-t-il pas des dérives ?

En théorie économique, on appelle "passagers clandestins" ceux qui torturent abusivement les règles à leur profit. Je fus de ceux qui ont établi les règles en matière de production de recherche et j’estime que les utiliser à leur extrême, même sans les transgresser, n’est pas acceptable. Une recherche a pour objet final d’être utile pour les enseignements et pour les entreprises. L’amélioration de la production de recherche dans un établissement demande du temps. Si ce n’est pas le cas, une légitime suspicion est de mise. J’invite chacun à se méfier des victoires à la Pyrrhus ; elles n‘augurent rien de bon pour l’avenir.

Avec du recul aujourd'hui, que pensez-vous des classements de la presse ?

J'ai toujours considéré que les classements ne devaient en rien orienter les décisions stratégiques. C'est dans cet état d'esprit que je me levais le matin... et le soir je m'endormais mal ! Je me félicite du fait qu'il y en ait plusieurs, car si cela ne réduit pas l'importance des classements, le rang exact de chaque école a moins de poids ainsi. Aujourd'hui, je peux dire que les classements sont dans l'ensemble bien faits, pensés et vérifiés... malgré quelques boulettes !

Jean-Pierre Helfer bientôt retraité
Jean-Pierre Helfer ne sera "retraité de l'université" que le 31 août 2016, mais ses collègues, amis et élèves ont d'ores et déjà salué sa carrière et ses réalisations par un recueil de "mélanges" : Le Professeur de management à 360°. Un ouvrage collectif coordonné par Michel Kalika, Géraldine Michel et Jacques Orsoni, qui prend la forme d'une compilation d'articles sur la place et le rôle du professeur en sciences de gestion à l'heure du bouleversement des institutions d'enseignement supérieur.

Lire la biographie EducPros de Jean-Pierre Helfer



Géraldine Dauvergne | Publié le