Santiago Iñiguez : "Dans dix ans, nous pourrons évaluer un candidat sur son intelligence émotionnelle"

Étienne Gless Publié le
Santiago Iñiguez : "Dans dix ans, nous pourrons évaluer un candidat sur son intelligence émotionnelle"
Santiago Iniguez, doyen d'IE Business School et président d'IE University. // ©  Etienne Gless
Le numérique fait évoluer la manière d'enseigner et le rôle du prof. Et ce mouvement ne fait que commencer. Prochaine étape selon Santiago Iñiguez : l'apport des biotechnologies pour maximiser les processus d'apprentissage. Entretien avec le directeur de l'Instituto de Empresa, l'une des cinq meilleures business schools d'Europe, également pionnière dans le développement des programmes en "blended learning".

IE Business School est reconnue pour ses "blended programs", qui allient cours en présentiel et e-learning. Elle a été une des premières à se lancer dans cette voie. Sont-ils l'avenir de l'enseignement supérieur ? 

Nous sommes une des institutions qui a forgé l’expression "blended". À l'époque, les gens pensaient qu’on parlait de tabac, de whisky ou de café ! IE a investi dans ces méthodologies quand sont apparues les premières plateformes d'e-learning créées par les universités américaines de premier rang, dans les années 1980. Le cours traditionnel en classe, en face à face, reste nécessaire mais l'enseignement de haute qualité en ligne renforce le process d’apprentissage dans son ensemble et produit les meilleurs résultats. Mélanger les deux est une combinaison très puissante. Les participants développent ainsi plus facilement des compétences qu'avec les méthodes traditionnelles.

Quels impacts vont encore avoir les nouvelles technologies sur l'enseignement supérieur ?

Ils sont nombreux. Les technologies affectent déjà la manière d’écrire : non plus de longs mémos mais des messages courts et efficaces. Le mouvement de classe inversée est de plus en plus à l'œuvre. Les cours magistraux ne sont plus applicables : les meilleurs cours donnés par les meilleurs professeurs, vous pouvez les obtenir via des Mooc, des vidéoconférences, sur  YouTube. Les technologies permettent de distribuer des pilules de savoir. La classe doit être utilisée dans un sens beaucoup plus participatif avec plus de débats pour renforcer les compétences interpersonnelles. Le professeur doit changer de rôle pour devenir davantage chef d’orchestre et moins maître qui délivre un savoir.

Votre ouvrage "The Learning Curve : How Business Schools are Re-Inventing Education", qui date de 2011, aborde une autre facette du futur de l’éducation, l'impact des technologies sur l'évaluation des compétences ? Qu'est-ce qui va changer ? 

La technologie permet de mieux évaluer les compétences des participants. Elle permet de savoir rapidement si votre classe suit ou si certains participants ont besoin de clarifications. Il suffit de répondre d'un clic sur un terminal. À l'avenir, la technologie va nous aider à évaluer si les participants développent leurs compétences en leadership, motivation, esprit d’équipe, communication, diligence et autres talents requis pour être un bon manager.

Plus surprenant, vous abordez aussi l'apport des biotechnologies à l'éducation...

Dans le futur, nous aurons peut-être des puces dans nos cerveaux qui nous aideront à suivre plus vite et à être plus attentifs ! Selon moi, nous aurons alors des compléments apportés par les biotechnologies, la médecine, la pharmacie pour nous aider à maximiser le processus d’apprentissage. J'anticipe peut-être beaucoup !

Dans le futur, nous aurons peut-être des puces dans nos cerveaux qui nous aideront à suivre plus vite et à être plus attentifs !

Pourquoi le futur de l'enseignement supérieur passe-t-il selon vous par d'autres formes d'intelligence que le pur raisonnement analytique ?  

Jusqu'à aujourd'hui, l’éducation s’est concentrée uniquement sur l’intelligence analytique, qui était reconnue, promue, évaluée. Le traditionnel test GMAT utilisé pour être admis dans une business school ou une grande école se réfère au quotient intellectuel et fait appel au raisonnement analytique. Mais les managers et hommes politiques à succès ont en réalité un QI moyen. Par contre, tous excellent en intelligence émotionnelle ou en "social skills", les compétences relationnelles. Bref, pour exceller en politique ou en business, vous n’avez pas nécessairement besoin d’être un génie. Le génie appartient aux laboratoires, à l’académie ou aux institutions financières requérant de grosses capacités d’analyse. Mais les gens qui dirigent des compagnies ou managent une ville font appel à une forme d’intelligence autre qu’analytique.

Vous voulez donc développer ces nouvelles formes d'intelligence ?

Oui. Dans dix ans, nous serons en mesure d’évaluer un candidat non seulement en fonction de son savoir, de ses connaissances ou de ses compétences analytiques, mais aussi en fonction de son intelligence émotionnelle, de ses goûts artistiques ou de son talent en matière de relations. Il faudra évaluer les étudiants et également les renforcer pendant le processus d’éducation pour produire de meilleurs artistes, managers ou leaders politiques. En peinture, les impressionnistes ont grandi hors de l’académie. En Espagne, nos peintres phares comme Goya ou Picasso ont même été expulsés du système académique ! De même, pourquoi Bill Gates ou Steve Jobs ont-ils abandonné leur école et n'ont-ils pas pas terminé leurs études ? Probablement parce que les universités traditionnelles n'avaient pas sû attirer et garder ces entrepreneurs…

Instituto de Empresa : d'une business school à une université
Créée en 1974 par un groupe d’entrepreneurs, dont Diego del Alcazar, qui en est toujours le président, cette école de management installée dans Salamanca, le quartier le plus huppé de Madrid, rivalise dans les classements avec HEC notamment pour la place de meilleure business school d'Europe. Le succès d'IE, son directeur l'explique principalement par ses programmes résolument orientés marché, pour coller à la demande des entreprises.

En 2007, IE rachète 80% de la SEK University de Ségovie, une université privée rebaptisée IE Universidad, dont la business school devient une composante. Objectif : étendre le modèle éducatif qui a fait son succès à d’autres domaines que le management : l'architecture, la biologie, le droit, l'histoire de l’art, la psychologie ou le tourisme.
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