Enseignants-chercheurs : la difficile équation entre motivation et bien-être

Morgane Taquet Publié le
Enseignants-chercheurs : la difficile équation entre motivation et bien-être
Marion Inigo a orienté ses recherches selon le principe de la théorie du renversement psychologique, qui avance qu'il y a, chez les individus, différentes motivations, influencées par les environnements. // ©  Julien Revenu
Doctorante en psychologie cognitive à l’université Toulouse 2-Jean-Jaurès, Marion Inigo consacre ses travaux de recherche au bien-être au travail des enseignants-chercheurs. Entre implication, motivation et besoins psychologiques, la jeune chercheuse questionne ses collègues avec pour objectif, à terme, d’améliorer la qualité de vie professionnelle des universitaires.

Marion Inigo, doctorante en psychologie cognitive, Université Toulouse 2 Jean JaurèsPourquoi avez-vous décidé de cibler particulièrement les enseignants-chercheurs ?

Quand on regarde la littérature, il existe des travaux en sciences de l'éducation et en psychologie sur les enseignants de l'enseignement secondaire, mais très peu sur ceux du supérieur. À travers mes recherches, j'ai souhaité déterminer les critères du bien-être au travail pour cette population d'enseignants-chercheurs, dont le métier n'est pas uniforme.

En effet, il comporte différents types d'activités (recherche, enseignement, responsabilité collective) susceptibles de satisfaire différemment les besoins psychologiques, donc de donner lieu à des investissements différents.

Comment avez-vous procédé pour mener vos recherches ?

Le bien-être au travail reposant notamment sur la satisfaction des motivations, nous avons souhaité développer une échelle originale, spécifique à l'enseignement supérieur et la recherche. La méthode, la plus scientifique possible, a été la suivante : nous aurions pu mener des entretiens et ensuite élaborer des questionnaire à partir de ces réponses.

Nous avons pris le contre-pied, en nous basant sur la théorie du renversement psychologique, qui avance qu'il y a chez les individus différentes motivations, influencées par les environnements.

Nous avons repris chacune de ces motivations et créé des questions en cohérence avec les missions du métier d'enseignant-chercheur. La conception du questionnaire a été assez longue, je l'ai commencé en 2013-2014, lors de mon master 1. À cette époque, nous avions élaboré 190 questions.

À partir des réponses au questionnaire, vous avez conçu des grands groupes de motivations. Quels sont-ils ?

Lors de ma deuxième année de master, j'ai repris mes questions afin de les affiner et de resserrer le questionnaire. 193 personnes dans des laboratoires ont répondu en ligne. Après avoir réalisé que plusieurs questions fonctionnaient ensemble, le questionnaire a été réduit à 21 questions, portant sur sept grandes motivations : la participation au progrès par l'activité de recherche, le travail en équipe, l'affirmation dans l'enseignement, l'autonomie dans l'activité de recherche, l'autonomie dans l'activité d'enseignement, les bonnes relations avec les étudiants et les bonnes relations avec les pairs.

À chaque motivation correspondent trois questions, la moyenne des réponses aux trois questions donnant la moyenne pour chaque motivation. La collecte de données, qui ne concerne, cette fois, que les enseignants-chercheurs titulaires, vient tout juste de commencer et s'achèvera début février 2018.

Pourquoi avez-vous intégré la notion d'implication temporelle dans vos statistiques ?

En plus des résultats sur les motivations, nous avons en effet souhaité quantifier l'implication au travail. Ainsi, nous avons simplement demandé aux répondants de faire la moyenne de leur implication temporelle entre leurs trois activités (enseignement, recherche et responsabilités collectives). Ils devaient évaluer ce dans quoi ils s'étaient le plus investi.

Cela nous a permis d'identifier six typologie d'enseignants-chercheurs, en fonction de leur implication : équilibré entre les trois activités, plus impliqué dans la recherche, plus impliqué dans les activités collectives (administratives, direction d'UFR, etc.), plus impliqué dans l'enseignement, plus impliqué dans l'enseignement et les activités collectives, plus impliqué dans la recherche et l'enseignement.

Certaines personnes s'impliquent fortement dans leurs missions sans en ressentir forcément de bien-être.

Pourquoi avez-vous déterminé des profils ?

Entre les motivations et le bien-être, il n'y a pas forcément d'adéquation. Certaines personnes s'impliquent fortement sans en retirer forcément un sentiment de bien-être. Prenons l'exemple d'un enseignant fortement motivé par la recherche, mais qui ne pourrait pas s'y investir comme il le souhaiterait. Son niveau de bien-être ne sera pas aussi élevé que s'il pouvait s'investir d'une manière qui lui paraîtrait satisfaisante dans la recherche.

Actuellement, nous cherchons à approfondir notre compréhension des variabilités de bien-être entre les personnes, en étudiant des caractéristiques plus personnelles, comme l'identité, la recherche de la performance ou l'influence de la vie privée. Cela complexifie le travail, mais nous aurons ainsi une vue assez globale du métier.

Votre échelle doit-elle servir d'outil de d'orientation des carrières ?

Notre but est d'essayer de comprendre pourquoi il y a de telles variabilités, car il a été recueilli que les enseignants-chercheurs ressentiraient de l'insatisfaction et aussi de la fierté et de la satisfaction au travail, comme l'a montré le dernier baromètre EducPros. Nous ne cherchons pas de remède miracle, mais en comprenant les motivations, des solutions pourront peut-être être proposées pour améliorer la qualité de la vie professionnelle des universitaires. C'est important : il ne faut pas oublier que ce sont ces enseignants qui forment nos étudiants et font avancer la recherche !

Le questionnaire, ouvert aux enseignants-chercheurs titulaires uniquement, est toujours accessible en ligne.
Morgane Taquet | Publié le